Mon bébé est mort in utero en 2000 : j’ai souffert du manque de suivi …

Echographie de l'enfant de Daniela Bak, mort in utero en 2000, à quelques jours du terme.

Échographie de l'enfant de Daniela Bak, mort in utero en 2000, à quelques jours du terme.

 

Mon bébé aussi est mort in utero. Ça m’est arrivé en 2000, il y a maintenant 12 ans et demi. C’est plus facile d’en parler aujourd’hui qu’à l’époque. Mais la lecture de ce fait divers dans les journaux a remué beaucoup de choses en moi. Surtout qu’après avoir perdu mon bébé je suis aussi allée à Port-Royal, sur les conseils d’une amie.

 

Elle savait que je n’avais bénéficié d’aucun suivi psychologique là où j’aurais dû accoucher de mon premier enfant, dans une clinique du 15e arrondissement. À Port-Royal, j’ai pu voir gratuitement une psychologue une fois par semaine, pendant plusieurs mois. Ça m’a beaucoup aidée, même si, dans la maternité, je croisais des femmes enceintes sur le point d’accoucher, d’autres qui repartaient avec leur bébé, alors que je venais de perdre le mien.

 

J’avais en tête l’image figée de l’échographie


J’avais 40 ans. Je savais que c’était en quelque sorte ma dernière chance, qu’il était un peu tard pour avoir un enfant. Mais je faisais confiance à la nature. Après tout, je n’aurais pas été la seule à avoir un bébé à cet âge.

 

Une semaine avant le terme, je suis allée à la clinique pour un contrôle de routine. Il n’était pas question de déclencher l’accouchement ou quoi que ce soit. On a fait une échographie. Le bébé allait bien.

 

Quelques jours après, j’ai commencé à avoir des contractions. Comme on m’avait dit d’attendre qu’elles soient régulières plutôt que de me précipiter dès la première à la clinique, j’ai attendu qu’elles soient moins espacées, plus uniformes. Je ne me suis pas affolée quand elles se sont arrêtées.

 

Dans la nuit, j’ai remarqué que le bébé ne bougeait plus. Comme c’était déjà arrivé, je ne me suis pas inquiétée plus que ça. Mais le matin, voyant qu’il ne bougeait toujours pas, je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Alors, avec mon copain, nous sommes allés à la clinique pour me rassurer. Je n’étais pas paniquée, mais je pensais que, par sécurité, il valait mieux s’y rendre.

 

Quand nous sommes arrivés, l’équipe de nuit était en train de terminer son service. Nous avons été reçus par une sage-femme et une infirmière, qui m’ont installée pour une échographie et pour vérifier les battements du cœur du bébé.

 

Rien ne bougeait. J’ai vu cette image figée de mon bébé, mais n’ai pas réalisé ce qu’il se passait. Surtout que les deux femmes faisaient semblant de ne pas savoir faire fonctionner la machine. Au lieu de me dire que mon enfant était mort, elles ont fait comme s’il y avait un problème technique.

 

J’ai appris la mort de mon enfant par des non-dits


J’ai attendu que le médecin arrive. Elle m’a refait une échographie. Je n’avais toujours pas pris conscience de ce qu’il se passait. C’était tellement énorme que je ne pouvais pas le concevoir.

 

De plus, le médecin ne m’a pas dit "Le cœur ne bat plus" ou "Le bébé est mort". Elle s’est contentée de me dire : "Ce sont des choses qui arrivent." J’ai appris la mort de mon enfant par des non-dits.

 

On m’a encore fait attendre. Avant qu’une infirmière ne me dirige vers un étage en haut de l’immeuble. C’était glauque. J’étais la seule à ce niveau. Parce que tous les lits de la clinique étaient pleins ? Parce qu’ils ont voulu m’épargner la vue de femmes avec leur nouveau-né ? Parce qu’ils n’ont pas voulu que mon cas affole les autres patientes ? Je n’en sais rien.

 

Dans l’ascenseur, l’infirmière, qui devait être au courant de mon cas, m’a dit : "Mais pourquoi vous n’êtes pas venue plus tôt ?" J’ai pris comme un coup sur la tête. Je me suis dit que c’était peut-être de ma faute. J’étais déjà complètement paumée, cette question m’a fait culpabiliser.

 

Je me suis retrouvée seule dans cet étage désert, avec ma souffrance et mon bébé mort dans le ventre. Heureusement, ma famille est venue me tenir compagnie et me soutenir. Mais je suis restée deux jours avec le bébé mort avant qu’on me fasse accoucher.

 

Ce n’est qu’après l’accouchement, qui s’est passé sous anesthésie générale, que l’on a compris de quoi était mort mon enfant. Mon bébé avait été étouffé par le cordon, qui avait fait quatre fois le tour de son cou. C’est un cas exceptionnellement rare. Si les échographies en 3D avaient existé à l’époque, on aurait peut-être pu le voir avant et éviter son décès. Mais là, c’était imprévisible.

 

J’ai décidé de voir son corps, mais pas de l'enterrer


Je me suis dit aussi qu’avec ses problèmes de cordon, qui induisent un manque d’oxygène, mon enfant aurait pu avoir des séquelles. Et que, dans mon malheur, j’ai peut-être évité de donner le jour à un enfant extrêmement handicapé. Je tente de relativiser.

 

C’est possible parce que j’ai pu faire le deuil de mon Léon. Les médecins m’ont demandé juste après l’accouchement, alors que j’étais encore sous l’effet de l’anesthésie et dans les vapes, si je voulais lui donner un prénom. Avec mon ami, avant même de savoir que c’était un garçon, nous blaguions sur le prénom Léon, sans vouloir pour autant le prénommer ainsi. Mais pour moi, à ce moment-là, mon bébé mort ne pouvait que s’appeler Léon.

 

Dans les deux jours avant l’accouchement, passés à la clinique, on m’a demandé si je souhaitais voir le bébé, et si je voulais récupérer son corps. On en a beaucoup parlé avec mon ami mais il a insisté pour que ce soit moi qui décide.

 

J’ai décidé de voir son corps, mais pas de l’enterrer. C’est vrai que maintenant je trouve dommage qu’il ne reste aucune trace : nous n’étions pas mariés et il n’est pas mentionné dans aucun livret de famille ; il n’y a aucun lieu où je puisse me recueillir. Je ne dispose que du document de "déclaration d’accouchement d’un enfant sans vie prénommé Léon" fait à la mairie et d'un tirage de la seule échographie où l’on voit clairement son profil. On a l’impression qu’il fait des bulles…

 

Mais, sur le moment, on nous demande de prendre plein de décisions alors que l’on est dans un désarroi tel que l’on ne sait pas quoi décider. La clinique ne m’a proposé aucun soutien psychologique.

 

J’ai été renvoyée chez moi le ventre vide, les bras aussi. Je devais y retrouver les petites affaires préparées pour l'arrivée du bébé, qu’il aurait fallu ranger, seule. Mais, pour m’épargner cela, ma mère et ma sœur se sont rendues chez moi, avant mon départ de la clinique, pour retirer les paquets de couches, biberons, petits bodys soigneusement lavés, et autres produits. Un meuble à linger commandé sur internet a été rendu à l’expéditeur.

 

On avait compté déménager après la naissance du bébé car on n’avait pas de chambre pour lui. Mais notre couple n’a pas survécu au deuil. Nous nous sommes séparés environ un an après. Pourtant, tous les 16 septembre, date d’anniversaire de Léon, nous nous appelons pour parler de notre fils.

 

J’ai été aidée par des témoignages d’autres femmes


Ce qui m’a aidée, c’est d’aller sur internet, sur des forums américains où j’ai pu lire des témoignages de femmes qui avaient vécu le même drame. À l’époque, je n’avais rien trouvé en français. C’était réconfortant de lire leurs histoires, de voir que l’on pouvait survivre à ça, même si on a l’impression que c’est la fin de tout.

 

J’ai rencontré, par des amis, une femme américaine qui avait perdu son bébé quelques jours après la naissance, 18 ans plus tôt. Nous avons échangé nos histoires, nous avons pleuré ensemble. Elle a ressorti une petite couverture qui était celle de son fils. À l’intérieur, se trouvait un petit dépliant qu’on lui avait donné à la clinique et qui parlait de la mort et du deuil d’un bébé. Elle me l’avait donné.

 

Elle a eu deux autres fils, par la suite, avec lesquels elle parlait régulièrement de leur frère aîné disparu. Je me souviens qu’elle m’avait dit que, quand elle pensait à son fils, elle voyait un jeune homme de 18 ans. Sur le moment, cela m’avait frappé, mais c’est vrai : quand je pense aujourd’hui à Léon, il a 12 ans et demi.

 

Je n’ai jamais pensé à porter plainte. Et j’ai arrêté de me reprocher la mort de mon fils. Mais cette expérience a été d’autant plus difficile que le personnel est formé pour accueillir la vie mais pas la mort.

 

C’est pour cela que je témoigne aujourd’hui. Parce que j’espère que mon témoignage permettra à d’autres femmes dans le même cas de trouver du réconfort. Et aussi pour souligner qu’une formation de psychologie du personnel médical peut aider les femmes et les familles à surmonter cette épreuve.

 

 

Propos recueillis par Daphnée Leportois.

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