Michel Onfray: un être "passionné"

Il semble bien que Michel Onfray soit un homme paradoxal. A la suite de la sortie de son dernier livre sur Camus, voilà ce qu’il inscrit comme extrait sur son blog : « Camus écrit : "Chacun la porte en soi, la peste" (II. 209). (…) La peste se trouve en chacun de nous, dit-il : le marxiste refuse cette thèse et croit qu'elle s'enracine dans l'organisation de la société, elle est donc conséquence et non cause (…). Camus pense la peste comme une partie de l'être de l'homme, de la manière qu'existe en lui une partie capable de lutter contre elle. » Voilà donc une citation et une interprétation de Camus qui contredisent les deux ouvrages précédents sur la psychanalyse et Freud : alors, finalement, le mal provient bien de l’individu, de son pathos, avant toute empreinte sociale…

 

Je n’ai pas lu ce dernier livre d’Onfray, je ne peux donc pas en parler. J’ai été étonné par les critiques très favorables dans la presse, même si on a trouvé ici et là, soit une critique un peu trop hargneuse concernant Sartre – une démolition en règle comme l’auteur sait si bien le faire –, soit une sorte d’investissement du personnage Camus allant presque au détournement : Onfray se reconnaissant dans Camus aurait finalement fait le portrait de lui-même… Mais si on laisse de côté ces détails – après tout, personne n’attend d’Onfray une biographie objective –, on ne trouve effectivement rien de particulier à reprocher à ce livre, malgré un titre un peu étrange, sous forme d’oxymore : ordre/libertaire… [même la manie de mettre des points de suspension à la fin de ses paragraphes semble avoir disparu…].

 

On ne trouve rien à reprocher car c’est un livre « pour » et non « contre ». Onfray aime Camus et veut lui redonner sa place de philosophe, louable entreprise. Avec un peu d’ironie, on pourrait dire que le contre-philosophe va mieux depuis sa thérapie antifreudienne. D’ailleurs, ceux qui lui cherchent des poux dans la tête pour ce livre exagèrent un peu. Par exemple, on trouve sur la toile un extrait d’émission de télé dans lequel le journaliste Claude Askolovitch aurait réalisé un « coup de maître » en interviewant Onfray. Ayant visualisé la séquence, je trouve que l’auteur normand n’a au contraire montré aucune faille face à un membre du milieu germanopratin dont le provincial a l’habitude de se moquer – Askovolovitch dit d’ailleurs à deux reprises qu’Onfray réside à Caen et celui-ci a d’abord l’élégance de ne pas lui signifier qu’il s’agit d’Argentan (Askolovitch connaît-il seulement la ligne SNCF Paris-Granville qui passe par Argentan, Briouze, Flers ou ne fréquente-t-il que l’autoroute qui mène à Deauville ?).

 

Onfray va mieux, est plus positif, moins agressif, et pourtant… je n’aurais pu acheter le livre L’Ordre libertaire même si je l’avais désiré. Hier, le feuilletant dans une librairie, j’ai eu la curiosité de regarder le petit livret de photos à l’intérieur, en son centre, pensant qu’il s’agissait de photos de Camus puisque le livre est une biographie. J’ai été particulièrement surpris et choqué : ce ne sont que photos d’exécutions et de corps mutilés, certaines sont à peine soutenables, notamment celles d’enfants égorgés. Même si cela fait sens par rapport au propos du livre, je me suis demandé comment un éditeur avait pu accepter la publication d’un tel livret dans un livre consacré à Camus.

 

Oui, chacun porte en soi la peste, et le pouvoir syrien actuellement est en train de reconduire de telles horreurs, mais est-ce les dénoncer que de les montrer ainsi, si brutalement ? Pour ma part, je préfère Guernica à ce voyeurisme digne de ce que l’on trouve sur Internet. Chacun porte la peste, mais à la différence de Camus, Onfray ne porte pas l’antidote, il n’a de solaire que le discours, le noir le plus noir reparaît bien souvent et il ne s’agit pas d’une trouble mélancolie façon poètes maudits, bien plus d’une étrange pulsion qui se manifeste par la violence du verbe, qu’il soit écrit ou oral, et maintenant par la violence des images. Si le contre-philosophe s’identifie aujourd’hui à Camus, il en est toutefois très éloigné. Sa passion du combat est bien plus sartrienne.

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