Menace terroriste: un mois après les attentats, comment vit-on avec …


PSYCHOLOGIE - C'est une petite phrase prononcée par Manuel Valls le 23 janvier dernier. Deux semaines après les attentats parisiens, le premier ministre s'adressait à des adolescents, élèves dans un lycée agricole de Seine-et-Marne. "Les jeunes Français doivent s'habituer à vivre durablement avec la menace d'attentats. Votre génération, votre classe d'âge doit s'habituer à vivre avec ce danger et pendant un certain nombre d'années", a lancé le chef du gouvernement.

Un mois exactement après l'attaque de Charlie Hebdo, il ne changerait sans doute pas un mot de ses propos. Pour preuve, le plan Vigipirate est toujours à son niveau maximal -alerte attentat- en Ile-de-France. Il a même été rehaussé à ce niveau dans les Alpes-Maritimes après l'attaque dont ont été victimes trois soldats à Nice, rappelant sans cesse ce qui s'est passé.

"Il y a un avant et un après 7 janvier, c'est une certitude. Même le président de la République dit qu'il a changé. Ce traumatisme psychologique est collectif. Et on constate, y compris dans nos consultations, que le sentiment de peur est présent. La crainte d'un nouvel attentat existe", analyse Asma Guenifi, psychologue clinicienne qui travaille pour l'Association des victimes du terrorisme. "Tous les Français ont subi un véritable traumatisme, même ceux qui ont vu tout cela de très loin. Nous avons découvert ou redécouvert que nous étions en guerre. Une guerre en temps de paix", abonde Louis Crocq médecin général des armées, auteur de Les Paniques collectives (ed. Odile Jacob).

"Le moi individuel a repris le dessus sur le moi communautaire"

Ce psychiatre -créateur en 1995 des cellules d'urgence médico-psychologiques qui prennent en charge les victimes d'attentats- explique comment les Français en sont arrivés à se mobiliser par millions dans les rues les jours suivant le drame. "Les réactions n'ont pas été la somme d'individualités égocentriques comme elles peuvent l'être parfois quand les gens sont pris de panique et se ruent dans les supermarchés pour faire le plein d'huile ou de sucre. Pour la marche républicaine, on a assisté en réalité au réveil pour chacun de son 'moi communautaire', qui est le sentiment obscur d'appartenance à une communauté. Dans ces moments-là, il prend le dessus sur le moi égoïste qui consiste à s'occuper de sa vie, de son avenir."

Pour autant, ce mécanisme mis à jour au XIXeme siècle par Gustave Le Bon dans son livre Psychologie des foules, est désormais clos. "Le moi communautaire est en sommeil et chacun est revenu à ses occupations, y compris le projet d'être individuellement sur ses gardes", précise Louis Crocq qui n'hésite pas à faire le parallèle avec la Seconde guerre mondiale. "La population française de la zone occupée s'est habituée à l'occupation allemande. On avait peur, on se méfiait des Allemands mais on vivait au jour le jour avec ça. Et ensuite on s'habituait à ce que les bombardements américains puissent nous toucher", dit-il.

Une chose est certaine pour lui: "la population française a perdu son insouciance. Jusqu'ici il y avait de temps en temps un attentat mais les gens y faisaient peu attention, ils pensaient avant tout à leur plaisir. Maintenant, il y a mise en garde, les gens ont perdu leur innocence car ils savent qu'ils sont dans un monde où il y a du danger. Ils ont d'ailleurs tendance à faire davantage attention aux colis qui peuvent être abandonnés et en général à ce qui se passe autour d'eux".

Les patrouilles rassurent mais réveillent l'anxiété

Et autour d'eux, depuis plusieurs semaines, les Français ont vu apparaître en nombre des patrouilles de police, de gendarmerie et même de soldats. Jamais, en temps de paix, il n'y a eu autant de militaires mobilisés en France. Ils sont 10.000, soit plus que dans toutes les opérations extérieures. Et ce n'est pas près de s'arrêter. François Hollande lui-même reconnait qu'il maintiendra le dispositif tant que la menace n'a pas disparu. Sans préciser de date.

En pratique, l'impact sur la vie quotidienne n'est pas important, aucune fouille d'ampleur n'étant pas exemple mise en place à l'entrée des transports en commun. Et pourtant, psychologiquement, cette cohabitation n'est pas aussi simple qu'elle n'y paraît. "C'est une protection qui est nécessaire mais ce n'est pas du tout naturel. Même si on était un peu habitué à croiser des militaires dans les gares, en voir à tous les coins de rue c'est vraiment différent. Ça rappelle toute les dix minutes que le risque existe", raconte Romain, un Parisien trentenaire.

Cette présence massive des forces de l'ordre présente en effet une ambivalence. Pour beaucoup, elle est rassurante. Elle est le signe que nos gouvernants ont pris la mesure de la menace et ont mis en place des dispositifs pour réduire les risques. Mais pour d'autres, c'est tout le contraire. A ceux qui auraient tendance à oublier le danger, cela rappelle que oui, ils vivent dans un pays que des ennemis ont pris pour cible. "Au risque de réveiller l'anxiété, pointe Louis Crocq, particulièrement pour les populations les plus exposées comme les personnes de confession juives". Pour elle, cela se traduit par une tentation du départ vers Israël encore plus importante que par le passé. "Pour la population en générale, cela peut aussi renforcer le sentiment d'insécurité", estime même Asma Guenifi.

Face à cela les réactions sont nombreuses. "Un patient m'a expliqué qu'il vivait sa vie normalement et qu'il n'avait pas peur. Mais il m'a dit aussi qu'au moindre élément déclencheur, il pourrait 'péter un câble'. D'autres à l'inverse optent pour des protections qui sont excessives. Ils refusent de prendre les transports en commun, ne vont plus dans certains lieux publics. Ce n'est pas bien car c'est cette peur que recherche à insuffler les terroristes", raconte un psychologue qui consulte non loin des locaux de Charlie Hebdo.

"Céder à la panique ou à la psychose n'est pas la solution, insiste pourtant Louis Croq. Si l'on essaie de rationaliser les choses, on se rend rapidement compte que ces événements sont très très rares et qu'ils ont donc une chance infime de nous toucher individuellement." Asma Guenifi résume sa pensée avec une belle formule: "Si la peur est humaine, le courage l'est aussi. Heureusement qu'on a un sentiment de peur qui nous permet de nous protéger mais il ne doit pas nous envahir ou contrôler notre vie."

"Ma fille ne va plus au parc, elle est très excitée"

Ne rien changer à ses habitudes, c'est pourtant parfois impossible. Même si en Ile-de-France où le plan Vigipirate est toujours à son niveau maximal, les sorties scolaires sont à nouveau autorisées depuis le 26 janvier, certains établissements continuent de restreindre les mouvements. C'est le cas dans l'école de Léonie, la fille de Romain, le Parisien qui s'exprime plus haut. Du haut de ses trois ans, elle ne comprend évidemment pas le sens de la présence des militaires qu'elle croise tous les matins sur le chemin de l'école (privée) qu'elle fréquente dans le nord-est de la capitale.

Mais une fois sur place, Léonie est directement impactée par les décisions prises après les attentats. "Prenant en compte les recommandations qui ont été faites, la direction de l'établissement a suspendu les sorties quotidiennes que sa classe faisait au parc juste à côté. C'est impossible de savoir si c'est uniquement ça mais depuis quelques semaines elle est nettement plus excitée quand elle rentre le soir et pour aller au lit, c'est plus difficile", explique son papa.

Il est bien sûr impossible d'évoquer dans ce cas-là un syndrome post-traumatique. Insomnie, difficulté de se concentrer, perte d'appétit... Ces troubles dont les psychologues ont noté une augmentation depuis début janvier (sans que les ventes d’anxiolytiques progressent pour autant) peuvent subsister pendant plusieurs mois chez les victimes ou leurs proches. "Ces troubles sont en fait un mécanisme de protection adapté. Suivant les degrés de protection des gens -si on croit en Dieu, si on est marié, si on croit en la vie- ces symptômes s'estompent progressivement", déclare à Libération Agathe Lemoine, spécialiste de l'état de stress post-traumatique. "Cela peut durer de trois à six mois. Au-delà, il y a quelque chose d'inquiétant qui doit inciter à consulter", conclut Asma Guenifi.

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