Marie-Rose Moro : « On peut et on doit éduquer à la diversité »

Buzzlim.fr : Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre maintenant et sur ce sujet ?
 
Marie-Rose Moro : J'ai écrit ce livre maintenant pour participer
activement au débat d'idées dans cette période de campagne électorale
importante pour notre pays mais aussi pour l'école française et pour
l'Europe. L'immigration est par ailleurs un thème récurrent qui prend
beaucoup de place dans la campagne. La manière dont elle est vue ne me
semble pas correspondre ni à la réalité ni à la créativité de
l'immigration à l'école et dans la société.
 

Si vous nous parliez de vos activités et de la Maison de Solenn ?

À la Maison de Solenn que je dirige maintenant depuis trois ans, je
m'occupe de tous les adolescents quelles que soient leurs difficultés
psychologiques, psychiatriques et aussi pédiatriques. Nous avons un
souci particulier pour la prise en charge des adolescents dans leur
globalité psychologique, psychiatrique, somatique, scolaire, éducative,
sociale et culturelle quand c'est nécessaire.

Depuis son ouverture nous avons acquis une grande expérience dans la
prise en charge des troubles des comportements alimentaires (anorexie et
boulimie) qui apparaissent essentiellement chez des jeunes filles et de
plus en plus tôt. Mais nous nous occupons aussi des adolescents qui
présentent des phobies scolaires et qui sont de plus en plus nombreux,
des adolescents déprimés ou qui ont perdu le goût de la vie, des
adolescents qui présentent des obèsités graves ou qui ont du mal à
s'occuper de leurs maladies chroniques à l'adolescence.

Nous nous occupons aussi des adolescents qui ont subi des traumatismes
graves comme les mineurs isolés, des jeunes adolescentes enceintes, etc.
Et nous avons des consultations pour les familles, pour les enfants de
l'adoption internationale, pour les enfants de migrants. Par ailleurs
pour soigner ces adolescents, nous utilisons tout ce qui peut leur faire
du bien, les approches psychologiques et médicales mais aussi les
approches artistiques.

Vous écrivez : « L'éducation à la diversité (...) est tout aussi
essentielle, si ce n'est plus, que l'éducation civique. » Comment
éduquer à la diversité ?

Oui, on peut et on doit éduquer à la diversité et c'est même une
préoccupation européenne puisqu'est parue le 2 avril 2009 une résolution
du parlement européen qui, en principe, s'impose à tous les états et
qui définit l'importance de cette éducation à la diversité à l'école
pour tous les enfants.

Éduquer à la diversité, c'est déjà vivre ensemble à l'école, d'où
l'importance de la mixité dans les écoles, mais c'est aussi apprendre ce
qu'apporte cette diversité au quotidien: un intérêt pour les langues,
pour les échanges, pour le respect des différences, une modernité qui
sera très utile pour le monde de demain. Et ceci s'expérimente et
s'apprend à l'école en ayant du souci et en valorisant les histoires et
les parcours de chacun.
 

Vous dites encore qu'« une école de masse ne peut pas réussir sans éducateurs ». Pourquoi ?

Je veux dire l'importance des enseignants d'abord à l'école qui bien
sûr, transmettent leurs savoirs, leurs compétences, leur désir de
connaissances aux enfants mais aussi, un regard sur le monde et des
outils pour le comprendre. Et d'ailleurs la diversité culturelle des
enseignants est aussi une chance pour les enfants.

Il faut que les enfants puissent s'identifier à des adultes qui leurs
ressemblent et qui ont une fonction essentielle, enseigner et
transmettre. Les professeurs sont précieux dans leur fonction
d'initiation à une matière mais aussi dans leur fonction pédagogique et
éducative, au sens large du terme. Aujourd'hui, dans la formation des
professeurs, cette fonction éducative est peu enseignée, peu valorisée,
elle est « de surcroît ».

Par ailleurs, en plus des professeurs, il y a tous les autres adultes
qui interviennent dans l'école et qui, d'une manière ou d'une autre,
ont, eux aussi, une fonction structurante : l'équipe de direction,
l'équipe administrative, les conseilleurs d'éducation, l'équipe
médico-psychologique et sociale, ceux qui s'occupent de l'école ou de la
cantine, ceux qui aident les enfants à l'école primaire, etc. Tous ces
adultes permettent aux enfants d'être en sécurité, d'intégrer des règles
: tout ce qui est nécessaire pour apprendre et prendre plaisir à
réussir à l'école.
 

Pourquoi les enfants d'immigrés issus du Maghreb et d'Afrique font-ils
plus face à l'école à un « regard sélectif » comme vous l'appelez que
ceux d'origines asiatiques ?

 
C'est comme dans l'ensemble de la société française ! On fait de manière
plus ou moins explicite une hiérarchie des migrants ou des étrangers.
Aujourd'hui ce sont ceux du Maghreb et ceux qui sont considérés comme
proches de l'Islam qui font peur, mais cela est une question à la fois
géographique et historique et cela peut changer au fil du temps.

Les filles bénéficient d'un regard plus positif que les garçons qui font
peur et les enfants de familles venant d'Asie sont considérés comme en
plus grande capacité de réussir alors que par ailleurs, les familles
forment des communautés plus structurées. Mais ces communautés là font
moins peur.
 

Reconnaître la diversité des parcours et des histoires peut-il réduire les tensions à l'école ?

Oui car si chacun peut se reconnaître à l'école, si l'école est un bien
commun, si notre histoire peut être partagée avec celle des autres, si
elle appartient au patrimoine de l'école et de la république, alors il y
a moins de heurts, de crispations identitaires, d'inquiétudes sur ce
que l'on est et ce que l'on va devenir. L'hospitalité ça aide à réussir
et à être plus fort. Et en plus, cela fait du bien à tous les enfants et
cela rend l'école plus fraternelle.
 

Vous insistez longuement sur les atouts du bilinguisme et des langues
maternelles. Comment se fait-il qu'elles ne soient pas plus valorisées
que cela à l'école ?

À l'école française ! Et c'est bien pour cela que j'ai voulu faire ce
livre d'entretien et que j'ai mené depuis une vingtaine d'années des
recherches sur ce sujet comme plein d'autres chercheurs en linguistique
ou en psychologie transculturelle. Nous avons du mal à nous sortir de
l'idée qu'il y a une hiérarchie des langues et à reconnaître
l'importance de la langue maternelle pour bien apprendre sa langue
seconde, le français, celle qui deviendra celle que nous utiliserons
majoritairement dans la vie adulte.

Pourtant avoir deux langues c'est un atout pour tout le monde alors
pourquoi pas pour les enfants de migrants. On le sait pour les enfants
bilingues qui appartiennent à des classes aisées, on l'oublie pour les
enfants de familles plus modestes.
 

Selon vous, beaucoup de professeurs se sentent « désemparés face à la pluralité des cultures ». Comment y remédier ?

Par la formation des professeurs, dans leur formation initiale qui
devrait être plus valorisée et en formation continue. C'est comme en
médecine ou dans la justice, la nécessité d'adapter la formation à la
réalité des terrains et des enfants et à valoriser ces spécificités
contemporaines. Le contexte multiculturel est un fait et, je crois
l'avoir montré dans ce livre, une chance.

En tous cas, même si cela peut déconcerter car pour certains c'est
nouveau, cela s'apprend facilement et avec bonheur, à condition que cela
soit reconnu comme une nécessité de la formation: faire de la
linguistique et de la sociolinguistique, de l'anthropologie, de la
psychologie des enfants et des adolescents.

La réponse c'est donc la formation tout au long de la vie, la
supervision, les échanges avec d'autres professionnels qui travaillent
avec les enfants et les échanges européens. Dans ce domaine
interculturel, d'autres pays européens ont mis au point des outils
intéressants à connaître comme la Suède et la Finlande par exemple.
 

Comment comprenez-vous le terme de discrimination positive et selon vous que peut-elle apporter ?

 
J'entends par discrimination positive la volonté d'ouvrir les filières
d'excellence aux enfants de migrants qui en bénéficient très peu
aujourd'hui pour des raisons d'information des enfants et de leurs
parents, d'estime de soi, car ces enfants ne croient pas toujours en
leurs possibilités et n'ont pas de modèles auxquels s'identifier, et par
ailleurs ils n'ont pas les codes.

Ainsi, ce qui se fait à Sciences Po par exemple et qui est très connu
mais aussi à l'Université de Paris 13 où le président vient de créer une
classe préparatoire publique pour que les enfants de ce département se
préparent à réussir le concours de médecine, très sélectif et qui, de
plus en plus, nécessite une préparation privée. Ou encore faire en sorte
que dans les classes européennes, il y ait des enfants de migrants,
charge ensuite à eux de réussir comme les autres. La discrimination
positive se situe en amont, il s'agit de leur permettre d'entrer, de les
autoriser à investir ces classes et ces lieux élitistes.
 
S'il y avait une leçon que vous retiendriez de votre parcours et que
vous souhaiteriez transmettre aux enfants de l'immigration, quelle
serait-elle ?

Une leçon c'est un peu prétentieux. Un constat plutôt : on peut réussir
et être heureux à l'école française, on peut transformer le désir de ses
parents migrants en réalité sans renoncer à ce que l'on est et d'où
l'on vient. Le rêve d'une égalité de fait, et pas seulement de principe,
d'une liberté effective et d'une vraie fraternité est possible.






Enfants de l’immigration : une chance pour l’école, de Marie-Rose
Moro (Entretiens avec Joanna et Denis Peiron), Bayard, 180 p., 18

Retrouvez cet entretien sur www.buzzlim.fr

 

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