Malik Aït Aoudia : «Il n’est plus permis de remettre en cause la …

Deux tentatives de coopération avec deux services hospitaliers algériens, en l’occurrence ceux de médecine légale et de psychiatrie, ont échoué. Le coordinateur du projet de prise en charge des victimes du tremblement de terre de Boumerdès n’a pas baissé les bras. En avril dernier, le laboratoire Slancom de l’université d’Alger II a réalisé le projet, ajourné depuis longtemps, sous le thème «Les soins psychologiques actuels de la neurobiologie du comportement aux TCC».

 

- Vous êtes l’un des initiateurs du Congrès international de neurosciences, pourriez-vous revenir sur l’historique de ce congrès qui a mis du temps pour se concrétiser ?

Je reviens sur le cheminement d’un projet, dont le congrès n’est que le premier acte «inaugural». L’idée d’un projet de coopération scientifique franco-algérienne dans le domaine de la santé mentale en général et en psychotraumatologie, en particulier, remonte à 2008. Elle est née des différents échanges que nous avons eus avec des psychiatres, des psychologues et des médecins légistes algériens, que nous avons reçus à plusieurs reprises avec le professeur Louis Jehel, au service de psychiatrie et de psychotraumatologie à l’hôpital Tenon de Paris, le docteur Gérard Lopez, au centre du psychotrauma de l’Institut de victimologie de Paris et Christian Hervé, professeur à la faculté biomédicale de Paris Descartes. Pour le lancement du projet, nous avons retenu l’idée d’organiser un congrès à Alger, où les principaux axes (clinique, recherche et formation) du premier volet relatif au trauma seront soumis à évaluation et validation par des experts algériens et étrangers, dans le cadre des travaux du congrès. Après l’échec des deux premières tentatives, en 2008 et 2010, avec deux services hospitaliers à Alger, l’aboutissement par ce congrès international de neurosciences, portant sur les soins psychologiques actuels, a été rendu possible grâce aux compétences scientifiques et au savoir-faire de l’équipe du professeur Nacira Zellal, du laboratoire Slancom de l’université d’Alger II.


- Qu’en est-il des conditions du déroulement du congrès ?

Le fait marquant de ce congrès est indéniablement le nombre et la qualité des participants. La qualité scientifique du programme et des intervenants -experts dans des domaines novateurs - ont permis d’enregistrer plus de 750 inscrits, essentiellement (plus de 90%) des jeunes étudiantes et étudiants en psychologie et orthophonie, venus des quatre coins du pays par leurs propres moyens (universités de Bouira, Sétif, Ouargla, Annaba, Alger, Tlemcen, Tizi Ouzou…). Vous-même, vous avez couvert l’événement debout, faute de places dans une salle archicomble. A noter que le congrès a été organisé avec des moyens financiers très limités (uniquement avec les moyens du laboratoire Slancom et la mise à disposition des locaux par la directrice du Palais de la culture, sans aucune subvention ni sponsor). Désormais, après une telle démonstration, il n’est plus permis de remettre en cause la motivation et l’intérêt de nos jeunes étudiantes et étudiants. L’idée répandue, et qui est malheureusement souvent le reflet d’une réalité, «ici en Algérie c’est comme ça, on décourage ceux qui veulent progresser et faire avancer les choses», n’est pas une fatalité. Le succès de ce congrès, dont les différentes étapes de sa préparation ont été jalonnées par des difficultés souvent «absurdes», en est la preuve. A l’exemple du lancement, à l’issue de ce congrès, d’un projet (CMEP) entre le laboratoire Slancom de l’université d’Alger II et l’université de Paris VIII et la chaire Unitwin de l’Unesco, ainsi que la création du diplôme universitaire Neurosciences et psychotraumatologie, dont la direction sera assurée par le professeur Nacira Zellal, pour la Société algérienne de neurosciences et le Professeur Christian Hervé, pour la faculté biomédicale de l’université Paris Descartes, dont la coordination sera assurée par le docteur Gérard Lopez et moi-même. Nous avons été agréablement surpris par la forte demande d’inscriptions (des étudiant(e)s et professionnel(le)s) que nous avons eue dès le premier jour de l’annonce. Ceci a le mérite de montrer que les éléments essentiels du progrès, à savoir la motivation et l’aspiration au progrès et à l’innovation sont bien présents chez nos universitaires.


- Que pensez-vous des projets de recherche menés par les étudiants algériens ?

Mes modestes expériences en qualité de chargé d’enseignement à la faculté biomédicale de l’université de Paris Descartes (diplôme de psychotraumatologie) où un des cours que je dispense est consacré à la supervision et à la préparation des sujets de recherche, et le fait de Reviewer régulièrement (comité de lecture) plusieurs études pour le compte de la plus prestigieuse revue américaine du trauma (Journal of Traumatic Stress), je peux affirmer que certaines études, dont m’ont fait part les quelques jeunes chercheurs avec qui j’ai discuté durant ce congrès, sont d’un excellent niveau scientifique. Les jeunes praticiens et chercheurs qui réussissent, en dépit des difficultés et des entraves qui jalonnent leur parcours à atteindre de tels niveaux d’excellence constituent une ressource précieuse qui mérite respect et considération.   


- Le choix de l’Algérie répond-il à des critères objectifs ou subjectifs sachant que vous êtes Algérien ?

Bien évidemment que le choix de l’Algérie n’est que le fruit du hasard. J’ai fait mon premier cursus universitaire de formation en psychologie clinique ici en Algérie. Après un premier séjour en France dans le cadre d’un stage en psychiatrie et pédopsychiatrie, j’ai été sollicité en 2003 par l’Organisation non gouvernementale (ONG) suisse, Terre des hommes, pour la coordination d’un projet d’urgence auprès des victimes du tremblement de terre survenu dans la wilaya de Boumerdès. Cette expérience a été un moment important dans mon cheminement professionnel. Tout au long de cette période, j’ai pu mesurer sur le terrain à la fois les besoins en santé mentale des victimes qui présentaient des troubles psychotraumatiques, suite au tremblement de terre et aux années de violences vécues durant ce qui est appelé «la décennie noire» et les limites de la formation que j’ai initialement reçue, qui s’est révélée  insuffisante pour répondre de façon efficace aux besoins de ces victimes en matière de prise en charge psychothérapeutique. Après cette mission, je suis reparti en France, où j’ai refait un cursus universitaire en psychologie et des formations spécialisées en psychotraumatologie, spécialité que j’exerce actuellement en tant que psychologue au centre du psychotrauma de l’Institut de victimologie à Paris en poursuivant mes recherches et la préparation de ma thèse au service de psychiatrie et psychotraumatologie au Centre universitaire hospitalier Tenon à Paris. C’est donc tout naturellement que j’ambitionne de lancer des projets de coopération franco-algériens dans un premier temps, avec l’idée de l’élargir plus tard à un projet euro-maghrébin.    

   
- Vous avez proposé une idée qui a été réalisée sans votre présence ni votre consentement…

Plus qu’une idée, c’est tout un programme pour la construction d’un projet. En effet, pour le premier congrès international de psychotrauma, j’avais pris contact en 2008 avec le professeur Laïdli pour co-organiser avec l’équipe du Diplôme universitaire de psychotraumatologie de la faculté biomédicale de Paris Descartes et son service de médecine légale au CHU de Bab El Oued, un congrès sur la prise en charge du trauma. Après plusieurs rencontres, (à Paris et ici à Alger), nous avons signé (Gérard Lopez, professeur Laïdli et moi-même) un procès-verbal pour la constitution du comité directeur et le lancement des préparatifs du congrès. Nous avons finalisé le programme et retenu une première date pour la tenue du congrès. J’ai reçu un mail de la part du professeur Laïdli, avec qui, par ailleurs, les préparatifs se sont déroulés dans de très bonnes conditions, m’annonçant le report de la date du congrès, au moment où j’avais entrepris les démarches auprès du consulat pour les visas de mes collègues. Alors que nous attendions de recevoir la confirmation des dates, j’ai eu la désagréable surprise d’apprendre en lisant la presse algérienne (votre journal) la tenue du congrès. Cette énigme «du pourquoi et pour quelle raison ?» revient à chaque fois qu’on rediscute de congrès avec l’Algérie. Pour finir sur ce sujet, j’ai rencontré le professeur Kacha lors d’un congrès international à Paris. Je lui ai fait part de cette histoire, outré, il m’a convaincu de ne pas baisser les bras et de reprendre le projet avec lui. Après réflexion, j’ai organisé une réunion à la faculté biomédicale de Paris Descartes, où les responsables avaient validé ma proposition d’organiser un congrès et d’étudier la possibilité du lancement d’une formation, tout en rappelant au professeur Kacha ce qui s’est passé avec le professeur Laïdli. C’est pour vous dire qu’après des années, la question revient encore, tellement elle avait marqué les esprits. Et au final, le projet avec le professeur Kacha n’a malheureusement pas pu aboutir pour des raisons que j’ignore également.

 

- Comment évaluez-vous la collaboration du laboratoire Slancom ?

Le succès de ce congrès des 7 et 8 avril avec le laboratoire Slancom est un moment particulièrement important pour les projets à venir. Il a permis d’amorcer une dynamique réelle autour des neurosciences et de fédérer des spécialistes de différentes disciplines, à savoir psychologues, psychiatres, orthophonistes, neuropsychologues, linguistes, biologistes… Le travail en équipe pluridisciplinaire autour de divers projets de coopération va apporter un essor et un développement certains aux sciences de l’homme.

 

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