Maladies mentales : guerre ouverte entre psychologues et …

La nouvelle édition du DSM-5, la « bible » (ou le Vidal) des psychiatres ou psychologues américains ne cesse de faire des vagues et remous de par le monde. Ce descriptif actualisé des symptômes et manifestations des maladies et troubles mentaux (pour résumer…) a fait réagir de nombreux spécialistes un peu partout. Au fond, c'est la question de l'inné ou de l'acquis (aussi, par contamination virale ou autre) qui divise les professionnels de la santé mentale. Au Royaume-Uni, psychologues et psychiatres semblent en être arrivés au bord du schisme, les un·e·s accusant les autres d'attacher trop ou trop peu d'importance aux causes à proprement parler médicales ou comportementales. 

La récente cinquième édition du Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders (ou DSM-5, de l'American Psychiatry Association) est l'occasion de rouvrir le vieux débat sur les causes (sociétales ou médicales) de divers dérèglements ou troubles mentaux. Pour le moment, hormis les exorcistes ou les divers marabouts, un peu tout le monde voit ses convictions ébranlées ou renforcées…

Aux États-Unis, en Europe, les recherches fondamentales sur le fonctionnement du cerveau ont fait progresser les thèses des psychiatres attribuant maladies ou troubles à des déséquilibres soit innés (héréditaires), soit acquis en raison de causes médicales (dérèglements hormonaux, attaques virales ou autres…). Mais, selon les psychologues de la British Psychological Association (DCP) les psychiatres, représentés par le Royal College of Psychiatrists sont allés trop loin.

La DCP, indique The Guardian, remet au cause le diagnostic psychiatrique de diverses maladies, dont diverses formes de schizophrénie et les troubles maniaco-dépressifs (anciennement psychose maniaco-dépressive). L'association divulguera demain, lundi, un communiqué en ce sens. Le temps est venu de changer d'approche, de braquet, de « paradigme ». Les psychiatres seraient trop confiants dans les traitements médicamenteux (voire seraient à la solde des laboratoires).

Le College, par la voie du Dr. Simon Wessely, l'un de ses membres les plus éminents, devait s'y attendre car il a dressé son contrefeu. Dans l'Observer, l'édition dominicale du Guardian, il réfute l'argumentation selon laquelle ses confrères veulent toujours davantage, et aveuglément, étendre leurs emprises et celles « d'avides laboratoires ». Oui, les gènes influent encore, même si on ne sait pas trop bien déjà l'expliquer. Attendons patiemment la DSM-6, la sixième édition du manuel américain, et l'on s'apercevra que les biologistes ne tiendront pas forcément le haut du pavé de la pratique psychiatrique, soutient-il.

Il se défend aussi de tout vouloir médicaliser. Oui, le débat nature contre culture est stérile dans la mesure ou la réalité est complexe, duale. Et puis, avant d'être des spécialistes, les psychiatres sont d'abord des médecins, appréhendant leurs congénères et patientes dans leur ensemble.
Le Dr. Wessely en est d'autant plus persuadé qu'il a abandonné (notamment à la suite de menaces de patientes et patients atteints du syndrome de fatigue chronique, dont il estimait qu'il ressort aussi de causes psychologiques) ses recherches antérieures pour se consacrer aux syndromes post-traumatiques touchant civils et militaires de pays en guerre. Certaines et maints patients étaient peut-être prédisposés à souffrir davantage des suites de ce qu'ils ont subi (ou infligé), mais le déclencheur est bien social, et non médical.

Pour lui, un psychiatre ne prenant pas en compte l'environnement social (familial et autre) n'est pas digne de ce nom et il mentionne au passage les situations de pauvreté constatées en Russie ou plus récemment, en Grèce, découlant de politiques d'austérité, de l'extension du chômage, c.

« L'idée que nous serions partie prenante d'une conspiration pour médicaliser la normalité est franchement risible puisque nous luttons pour préserver des services pour ceux dont les troubles sont patents », ajoute-t-il.

Mais Oliver James, psychologue, évoque en réplique le cas d'une patiente se disant la proie de capitalistes dictatoriaux et dont le comportement consistait à passer des heures dans son bain pour se décontaminer. Son père est un inspecteur sanitaire, obsédé par la propreté et la stérilisation. Il avait aussi abusé d'elle étant enfant ou adolescente.

Des causes dues à des influences autres que médicales sont trouvées trois davantage chez les schizophrènes que dans le cas d'autres patients (et la moitié ont été l'objet d'abus sexuels dans leur jeune âge). Dans la plupart des cas, les causes génétiques ou neurobiologiques sont infondées.

Les traumatismes infligés dans l'enfance, ravivés par l'adversité, priment. Les gravement endettés ou démunis sont six fois plus exposées à des maladies mentales, quelque que soient leurs origines sociales. Les responsables sont davantage Thatcher (la défunte Margaret) ou Blatcher (Tony Blair appliquant la politique thatchérienne). 

C'est évidemment caricatural, exagéré, mais non infondé. Conditions de travail, faibles revenus, précarité et difficulté à se loger décemment, forment un terreau propice. « Oublions les gènes », conclut Oliver James qui note que ce n'est pas tant la pauvreté réelle que celle ressentie, l'obsession de la consommation (financée par l'accumulation de crédits impossibles à rembourser) qui est la principale cause, depuis 1979, de l'explosion des maladies et troubles mentaux. Près d'une personne sur quatre consultent aux États-Unis ou au Royaume-Uni (contre un peu plus d'une sur dix dans le reste de l'Europe). Sous cet angle, on peut d'ailleurs s'interroger sur le fait que Françaises et Français consultent moins psychiatres ou psychologues mais consomment nettement davantage de traitements médicamenteux divers : ne (nous) « cacherions-nous pas quelque chose ? ». 

Facteurs personnels ou sociétaux l'emporteraient largement sur les dérèglements biologiques.

D'un autre côté, n'encourageons-nous pas une « psychologisation » abusive. Ainsi, on revient sur l'idée de l'accompagnement psychologique des victimes de catastrophes naturelles ou d'accidents, de meurtres, c. L'oubli, la reconstruction de soi-même, sans assistance, en tout cas professionnelle, sont tout autant efficaces, tandis qu'une assistance inappropriée peut parfois faire empirer les choses, constaterait l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Le problème réside aussi dans le risque de sur-diagnostic, ou d'inflation de l'appréhension des troubles, qui peuvent être passagers, tout comme des cellules potentiellement dangereuses peuvent disparaître.

En France, Patrick Landman, psychiatre et psychanaliste, vient de publier, à la suite de la sortie du DSM-5, Tristesse Business (éds Max Milo). Il s'oppose à une conception trop scientiste des troubles et dérèglements mentaux. Il évoque une bio-mythologie. Médicaliser reviendrait à une impuissance de savoir aider à gérer les émotions. Psychologie et psychiatrie relèvent encore de l'artisanat pour lui et ce qui doit prédominer, c'est l'écoute du patient. 

La dispute entre praticiens tient aussi au fait que les moyens consacrés à la recherche et à la santé mentale sont limités ; selon qu'une approche l'emporterait sur l'autre, les fonds publics et ceux des fondations tendrait à privilégier certains aux dépens d'autres. Mais dans certains pays, notamment en France (avec des centres experts dédiés à certains troubles), l'approche devient davantage pluridisciplinaire, alliant psychiatres et psychologues et préconisant tant des traitements médicamenteux que des thérapies comportementales.

L'un des points du litige porte sur la précocité de la détection des troubles, et comme l'exprime le docteur suisse Wulf Rössler (dans Le Temps) « la crainte est que l’on donne un diagnostic psychiatrique à des
personnes qui ont des problèmes ordinaires de la vie quotidienne.
». D'un autre côté, plus un trouble est détecté tôt, meilleure serait sa prise en charge et la perspective de rémission durable ou prolongée, ou de guérison. « comme en médecine somatique, si on identifie un patient à un stade plus précoce, il est plus facile à traiter, » poursuit-il.

On ne sait pas trop non plus avec certitude et pour chaque cas, si le fait de poser un diagnostic est propice ou non à la personne. Qui en sera rassuré et qui s'en angoissera n'est pas toujours évident. Qui préfère ignorer (j'ai une grande capacité d'oubli, ce qui est nécessaire aussi pour engranger de nouvelles données, et je ne voudrais pas me retrouver dans le cas de cette patiente qui peut se remémorer chaque jour, chaque heure de son existence ou presque ; mais ne souffrirai-je pas d'un désordre de déficit d'attention en voie d'aggravation ?), qui préfère savoir, et quelles en sont les conséquences ? Difficile de trancher.

Comme l'exprime Kate Aubusson sur son blogue médical destiné aux médecins australiens, les professions traitant des troubles mentaux attendent leur « Boson de Higgs ». Mais le Cern du mental n'est pas déjà pour bientôt. 

Pour la psychologue et sexologue italienne Giuliana Proietti, s'exprimant sur Psicolinea, la psychiatrie contemporaine vit une crise grave. La psychiatrie reste une science primitive, estime-t-elle. Bon, ben, faut faire avec. Pourtant, elle progresse, chaotiquement. Avec parfois des reculs, ainsi a-t-on attribué aux vaccins contre des maladies infantiles le risque de développer l'autisme. Avant de faire machine arrière (et de constater que parmi les 10 % de parents se refusant à vacciner leurs enfants, un peu trop s'étaient retrouvés avec des enfants parfois gravement malades).

Toujours en Italie, voici que le neuropsychiatre et pédiatre Emilio Franzoni détecte, à Bologne, dans la patrie originelle du mouvement slow food, des cas toujours plus nombreux de bigorexie (dépendance au sport) et d'orthorexie (trouble apparenté à l'anorexie et la boulimie, mais portant sur une nutrition saine, si possible totalement biologique). Eh oui, le mieux est parfois l'ennemi du bien. Aussi, sans doute, en matière de psychologie et psychiatrie.    

Ce qui n'empêche pas que la psychiatrie française fait figure de naufragée, du fait « de moyens misérables et de personnels débordés », selon le groupe « Avertissement d'incendie » (sur Mediapart). Les patients se voient de plus en plus condamnés à la « solitude chimique » (faute de lits, depuis fort longtemps). Des praticiens se révoltent contre la « tentation réductionniste des évaluations-certifications » constantes en médecine. « Des méthodes évaluatives issues de l’industrie doivent être appliquées à
toutes les professions qui traitent des rapports humains
». Méthodes qui, parfois, envoient des salariés consulter, ou s'enfermer dans la sinistrose, avant d'être poussés dehors (s'ils ne sortent pas d'eux-mêmes par la fenêtre). Pour de nombreux HP, les crédits sont gelés ou diminués. Voyez les actualités : c'est le cas dans la Creuse, les Vosges, le Var, et divers autres départements.  

Quand des gens prennent tous leurs plats en photo, selon une médecin de Toronto, développant peut-être un trouble proche de l'orthorexie (pure supposition de ma part qui ne suis nullement spécialiste), tout va bien, la mutuelle paiera peut-être un traitement. Mais quand de grands dérangés commettent des meurtres ou des incendies ou des drames, sauf à être eux-mêmes médecins, dans la plupart des cas, c'est direction la prison : les HP manquent de lits, le personnel ne peut prendre en charge convenablement des patients problématiques. Quant aux patients s'enfonçant dans le déni, par exemple de comportements délirants, eh bien, s'ils ne veulent pas collaborer, aucun traitement n'est possible, décrète-t-on parfois. Car un HP « n'est pas un lieu d'hébergement ni de coercition mais de soins » rappelle le Dr. Thierry Della, de Pau (dans La République des Pyrénées).

 

 

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