Magnus Carlsen : « Kasparov m’a donné des informations sur la …

Dans l'entretien qu'il a accordé au Monde, le nouveau champion du monde d'échecs, le Norvégien Magnus Carlsen, 23 ans, revient sur sa conquête du titre suprême en novembre 2013 face à l'Indien Viswanathan Anand et évoque sa vision du jeu.

Lire aussi le portrait de Magnus Carlsen (en édition Abonnés)

On vous avait connu grand espoir des échecs en 2008, on vous retrouve champion du monde. Que s'est-il passé dans l'intervalle ?

2008 a été l'année de ma percée. J'ai remporté le grand tournoi de Wijk-aan-Zee aux Pays-Bas et obtenu d'autres bons résultats mais, par la suite, mes performances se sont un peu tassées. A la fin de cette année-là, je suis entré en contact avec Garry Kasparov par l'intermédiaire de Frederic Friedel, le patron de ChessBase [société allemande spécialisée dans les logiciels d'échecs]. Cela faisait longtemps qu'il conseillait à Garry de m'entraîner mais celui-ci n'était pas convaincu par cette idée. Il a cependant fini par être d'accord. Nous avons eu notre première session d'entraînement en février 2009 et d'autres ont suivi tout au long de l'année, dont une de deux semaines pendant l'été. En plus de cela, nous communiquions pendant et entre les tournois.

Les joueurs d'échecs sont très taiseux sur leurs méthodes de travail pour ne pas donner d'indices à leurs adversaires. Sans trahir de secret, comment se passaient ces sessions d'entraînement ?

L'essentiel du travail portait sur les ouvertures, où nous essayions de trouver de nouvelles idées et puis Garry m'a donné des informations sur la psychologie des joueurs. Il sait ces choses-là mieux que n'importe qui. J'étais parfois surpris de voir à quel point il connaissait ses adversaires. Même chez des joueurs considérés comme imprévisibles comme le Russe Morozevitch ou l'Ukrainien Ivantchouk, il arrivait à trouver des tendances dans leur jeu.

Et avec des champions de premier plan comme Kramnik ou Anand, il savait quelle position ils aimaient jouer et celles où ils ne se sentaient pas à l'aise. Avec Garry, nous discutions de beaucoup de choses. Il avait ses opinions avec lesquelles j'étais parfois en désaccord. J'écoutais attentivement ses conseils mais je prenais mes propres décisions. Ce qui explique en partie pourquoi la coopération s'est arrêtée au bout d'un an...

Mais, rétrospectivement, je considère que cela a été une collaboration très fructueuse : j'ai beaucoup appris de lui et le but, qui était de devenir numéro un mondial au classement par points, a été atteint.

Le but n'était pas de devenir champion du monde ?

Je vais vous surprendre mais remporter ce titre n'a jamais trop été un objectif et cela n'a pas été planifié de longue date. En fait, je pensais surtout à devenir numéro un mondial. Ce n'est qu'à la fin de 2012 que je me suis senti prêt à participer au tournoi des candidats qui désigne le challenger du champion du monde.

Vous n'aviez jamais disputé de grand match en un contre un et pourtant, vous avez surclassé Anand sans difficulté apparente...

Au début, tout n'a pas été aussi simple car les trois premières parties ont été des nulles délicates. La quatrième partie m'a aidé en me donnant beaucoup de confiance, même si elle s'est aussi terminée par la nulle. Et après mes victoires dans les cinquième et sixième parties, le match était théoriquement déjà fini : j'avais juste besoin de résister avec les pièces noires car je savais que je n'aurais aucun problème avec les blancs.

Le problème d'Anand, c'est qu'il n'était plus le joueur d'il y a sept ou huit ans. Il ne voulait pas assez tenter sa chance et préférait assurer des parties nulles. Mais quand on joue un championnat du monde, il faut le saisir à bras le corps et prendre des risques.

Certains vous ont reproché de jouer sur la différence d'âge entre vous deux, de tirer les parties en longueur dans des positions ennuyeuses et d'attendre qu'il s'écroule. Est-ce là votre conception des échecs ?

Depuis ma collaboration avec Kasparov, ma stratégie est la suivante. A l'heure où tous les joueurs se préparent avec des logiciels, mon but n'est pas de voir si mon ordinateur est meilleur que celui de mon adversaire. Dans les ouvertures, j'ai juste besoin d'aboutir à une position qui me donne du jeu. L'idée est d'être malin plutôt que d'essayer d'écraser l'autre. Je tente de deviner où il veut m'emmener et je me débrouille pour ne pas me mettre dans des positions où je risque de tomber dans sa préparation. J'essaie de jouer 40 ou 50 bons coups et je défie mon adversaire d'en faire autant. Même si la position est simple ou semble simple, je tente de rester concentré et créatif, de trouver les possibilités qui s'y cachent. De ne pas jouer la sécurité. Il est important de savoir s'adapter à toutes les situations.

En ce sens, j'ai des points communs avec Karpov à sa grande époque : il croyait beaucoup en ses capacités, il était très combatif et gagnait beaucoup de parties dans les tournois car même quand il n'était pas en bonne posture, s'il sentait qu'il pouvait quand même gagner, il jouait à fond. Je suis un peu pareil dans l'esprit : lors d'une compétition, je crois toujours en moi.

Après votre victoire contre Anand, on vous a vu donner le coup d'envoi d'un match du Real Madrid, rencontrer le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, ou écraser Bill Gates dans une partie en direct à la télévision. Devenez-vous une vedette ?

Cette notoriété soudaine est une surprise pour moi. C'est un peu étrange de constater à quel point ce titre mondial a changé la perception du public à mon égard, car je ne pense pas que devenir champion du monde était un exploit plus grand que ce que j'avais accompli auparavant.

En Norvège, le match a eu un retentissement énorme : les parties étaient diffusées en direct à la télévision tous les jours et cela a recommencé lors du tournoi de Zurich que j'ai gagné en février. De plus en plus de gens jouent aux échecs et le jeu entre aussi de plus en plus dans les écoles.

En 2008, vous m'aviez assuré être un adolescent normal. Vous avez grandi, vous êtes champion du monde d'un sport de l'esprit. Etes-vous un homme « normal » ?

Je pense que je le suis mais je laisse les autres en juger...

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