L’INCONSCIENT ET SES MYTHOLOGIES (VI et fin)

Cette série de « billets » (six au total) cherche à RÉSUMER le chapitre « l'inconscient et ses mythologies » de l'ouvrage Psychologie de la vie quotidienne de Jacques Van Rillaer (JVR) [1].

Aussi érudit [2] qu'agréable à lire, le chapitre en question resitue historiquement l'émergence de la notion d'inconscient.

Il expose également de nombreux aspects de l'évolution des connaissances sur le sujet, celles de la psychologie scientifique en particulier, souvent peu connu dans notre « beau pays » ; et pointe le « danger » d'invoquer cette notion à tout propos.

C'est peu de dire qu'au final, le concept d'inconscient en sort « dépsychanalysé » [3]...

Plan du billet :

Il est, par nature, calqué sur celui du chapitre.
Il comprendra donc le sous-chapitre suivant [
4] (les numéros de sous-chapitres apparaissant dans cette note ont été ajoutés pour la clarté de la lecture ; ils n’existent pas dans l’ouvrage) :

XI. DU DANGER D'INVOQUER L'INCONSCIENT

 

Depuis plus de 300 ans, des philosophes, des médecins, puis des psys et finalement tout le monde expliquent des conduites observables par des mécanismes inconscients. Non sans raisons : à tout moment, nos réactions participent de processus auxquels nous ne réfléchissons pas ou dont nous ignorons l'existence.

Il y a plus de 100 ans, William James, sans nier l'existence et l'importance de processus inconscients, mettait en garde contre l'utilisation du concept d'inconscient comme le moyen souverain, dont disposent les psys, pour faire croire n'importe quoi : s'il a beaucoup écrit sur la transformation de conduites conscientes en habitudes inconscientes, il dénonçait cependant les explications passe-partout par l'Inconscient, avant même la naissance de la psychanalyse,.

Les appels à la prudence se sont répétés (par exemple, ceux du philosophe Alain), sans beaucoup d'effets. Au XXème siècle, on invoque l' « Inconscient » comme on invoquait les esprits au siècle passé. Cette façon de parler, qui entraîne une façon de penser, a produit de puissantes mythologies, auxquelles croient beaucoup de gens intelligents et instruits, mais peu au fait de la psychologie scientifique. Après James, Alain et tant d'autres, il faut répéter les mises en garde.

Il y a lieu d'être particulièrement vigilant lorsque des psys parlent de l'Inconscient dans un jargon ésotérique. Leur procédé est comparable à celui des spirites : ils profitent de l'obscurité pour faire croire qu'ils communiquent avec l'autre monde.

L'idée que l'inconscient est une « chose » mystérieuse, qui mène une vie autonome au plus profond de nous fut celle de von Hartmann et des romantiques allemands du XIXème siècle.

Aujourd'hui la conception « chosiste » de l'Inconscient — avec une majuscule — est toujours en vogue. Sous des habits variés, c'est fondamentalement celle des différentes Écoles de psychanalyse et des psychologies populaires.

Au début de son œuvre, Freud parlait de « désir inconscient » et de « représentation inconsciente ». Malheureusement, il en est venu rapidement à une conception « substantialiste » de l'Inconscient. Il déclarait : « Nous avons pris l'habitude d'opérer avec l'Inconscient comme avec une chose palpable. »

A l'inverse, les psychologues scientifiques, dès le XIXe siècle, se sont opposés à la réification des processus inconscients, recommandant d'éviter le substantif « Inconscient » et de n'utiliser ce mot que comme adjectif ou adverbe (« disposition inconsciente », « agir inconsciemment ») ; et préférant souvent des expressions évitant ce vocable problématique : stimulus subliminal, influence mal comprise, suggestion subconsciente, inattention sélective, conduite irréfléchie, réaction dont le conditionnement est oublié…

La conception des processus inconscients comme un être à l'intérieur de soi va généralement de pair avec une formulation « subjectiviste » des problèmes psychologiques. Si une femme est battue par son mari, on y verra l'expression de son masochisme ou de ses propres pulsions de mort. Si un patient est mécontent de sa thérapie, c'est le symptôme d'un « transfert négatif ». Si son état empire, c'est une « réaction thérapeutique négative », produite par un « surmoi sadique ». Le thérapeute n'y serait pour rien.
Pour les psychologues scientifiques, la grande majorité de nos comportements sont automatisés, réglés par des processus inconscients. C'est la condition de notre efficacité, mais c'est également une source de troubles psychologiques et d'actes manqués. D'autre part, nous avons le pouvoir d'observer et d'analyser nos conduites, de réajuster et d'orienter consciemment des réactions. Ce pouvoir est souvent ignoré ou mal utilisé. La première mission de la psychologie est d'aider ceux qui le souhaitent à mieux en faire usage.

 

Deux notes (donnant des références sur des explications par la psychologie scientifique d'actes manqués, lapsus, comportements automatiques, etc., bien loin des idées reçues propagées par la psychanalyse) m'ont semblé particulièrement intéressantes ; ce sont les deux dernières des cent soixante-dix (voir note [2]) que compte le chapitre :

 

note 169 : La plupart des actes manqués — c'est-à-dire d'actions différentes de celles que nous pensons accomplir — s'expliquent par des automatismes et un manque d'attention. Un exemple que nous connaissons tous : durant le premier mois de l'année, nombreux sont ceux qui écrivent l'année précédente sur un chèque ou dans une lettre. Un exemple personnel : Je suis chez moi, je décide d'aller dans mon coffre à la banque. Je prends la clé du coffre et je vais à la banque. En rentrant chez moi, je m'aperçois que j'ai oublié la clé de la maison, ce qui ne m'arrive pratiquement jamais. En sortant, j'ai, comme toujours, pris une clé. J'aurais dû en prendre deux. Un exemple de lapsus : dans un cours que je donnais sur la relaxation, j'ai dit à un moment « les relaxations sexuelles » alors que je voulais dire « les relations sexuelles ». Seul un esprit tordu pourrait y voir le symptôme de la peur et du refoulement de la sexualité. Nous verrons au chapitre suivant un autre mécanisme, plus complexe, en jeu dans certains lapsus.
Pour les explications des différents types d'erreurs et d'actes manqués par des psychologues scientifiques, voir : Reason J.T., Mycielska K.,
Absent Minded ? The Psychology of Mental Lapses and Everyday Errors, NJ, Prentice Hall, 1982. — Norman D.A., The Psychology of Everyday Things, Basic Books, 1988. — Reason J.T., Human Error, Cambridge University Press, trad., L'Erreur humaine, P.U.F., 1993.

 

note 170 : Les publications sur l'automaticité de la plus grande partie de nos comportements sont très nombreuses. Citons-en deux d'excellente qualité : Wyer R.S., éd., The Automaticity of Everyday Life. Advances in Social Cognition, vol. X, L. Erlbaum, 1997. — Wegner D.M., Bargh, J., « Control and automaticy in social life », dans Gilbert D.T., Fiske. S.T., Lindzey G., éd., The Handbook of Social Psychology, Boston, McGraw Hill, 1998, p. 446-96.

 

NOTES :

[1] Odile Jacob (2003), 336 pages (pp. 149 à 222, pour le chapitre résumé).

[2] Ce seul chapitre, qui compte 74 pages, comporte 170 (cent soixante-dix) notes de bas de pages !


[
3] La « dépsychanalysation » de ce concept n'est pas anodine dans notre pays où tout élève de Terminale reçoit un enseignement de philosophie dans lequel, comme le rappelle plaisamment ici (p. 3) l'éditorialiste de « Côté Philo » : « Aucune autre notion (au programme que celle d'inconscient, NDJLR) ne sert de prête-nom à un auteur. » !
Cette série de billets permettra, je l'espère, de rétablir un peu de faits dans un monde largement peuplé de légendes... et de mythologies.


[
4] Les 11 sous-chapitres s'intitulent :

I. L'INCONSCIENT, IL Y A PLUS DE 300 ANS
II. L'INCONSCIENT À L'AUBE DE LA PSYCHOLOGIE SCIENTIFIQUE
III. EXEMPLES DE RECHERCHES SCIENTIFIQUES SUR L'INCONSCIENT AU XXème
 SIÈCLE
IV. BUVEZ COCA-COLA : ACHETEZ MES CASSETTES
V. EVENEMENTS SANS SOUVENIRS, SOUVENIRS SANS EVENEMENTS
VI. FORCE ET FRAGILITE DE LA MEMOIRE
VII. L'EPIDEMIE DES FAUX SOUVENIRS D'ABUS SEXUELS
VIII. L'EXPLORATION DE VIES ANTERIEURES
IX. LES ENLEVEMENTS PAR DES EXTRATERRESTRES
X. POURQUOI IMAGINONS-NOUS DES SOUVENIRS ?
XI. DU DANGER D'INVOQUER L'INCONSCIENT

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