L’INCONSCIENT ET SES MYTHOLOGIES (II)

Cette série de « billets » (cinq au total) cherche à RÉSUMER le chapitre « l'inconscient et ses mythologies » de l'ouvrage Psychologie de la vie quotidienne de Jacques Van Rillaer (JVR) [1].

Aussi érudit [2] qu'agréable à lire, le chapitre en question resitue historiquement l'émergence de la notion d'inconscient.

Il expose également de nombreux aspects de l'évolution des connaissances sur le sujet, celles de la psychologie scientifique en particulier, souvent peu connu dans notre « beau pays » ; et pointe le « danger » d'invoquer cette notion à tout propos.

C'est peu de dire qu'au final, le concept d'inconscient en sort « dépsychanalysé » [3]...

Plan du billet :

Il est, par nature, calqué sur celui du chapitre.
Il comprendra donc le sous-chapitre suivant [4] (le numéro de sous-chapitre a été ajouté pour la clarté de la lecture ; il n’existe pas dans l’ouvrage) :

IV. BUVEZ COCA-COLA : ACHETEZ MES CASSETTES [5]

En 1957, le journaliste américain Vance Packard publiait The Hidden Persuaders, un ouvrage dans lequel il dénonçait l'utilisation de la psychologie des « profondeurs » par des commerciaux, des politiciens et des autorités religieuses, pour manipuler les consommateurs, les citoyens et les fidèles.

Packard relatait l’histoire d’un certain James Vicary qui révéla, la même année, avoir mis au point une technique de vente révolutionnaire : l'insertion de messages subliminaux dans des films de cinéma. Vicary affirmait avoir intercalé, dans les images d'un film (à tour de rôle, toutes les cinq secondes, pendant trois millièmes de seconde), deux messages publicitaires : « Drink coca-cola » et « Eat popcorn », lors la projection du film Picnic, dans une salle de cinéma du New Jersey. Vicary affirma qu'au bout des six semaines de l'expérience, la vente de coca-cola avait augmenté de 18 % et celle du maïs soufflé de 58 %. Son entreprise, la « Subliminal Projection Company », basée à New York, offrait désormais ses services pour opérer sur des films et sur des émissions de radio.

L'impact de cette annonce fut tel que certains pays comme la Grande-Bretagne ou l'Australie votèrent une loi interdisant la publicité subliminale.

Vingt ans plus tard, Vance Packard, le populaire dénonciateur des « manipulateurs de l'inconscient », présentait encore l'expérience de Vicary — dans un nouvel ouvrage, The People Shapers, L'Homme remodelé — comme un exemple terrifiant de « technique de contrôle du comportement ».

Il ne citait aucune référence bibliographique du travail de Vicary, ni aucune des remises en question de l'efficacité de cette technique. Ce journaliste, soi-disant bien informé, ignorait ou feignait d'ignorer que des psychologues universitaires s'étaient émus de l'exploit de Vicary, dès sa révélation, et l'avaient examiné de près.

  • Dès 1958, American Psychologist, la revue de l'Association américaine de Psychologie (AAP), publia une étude de McConnell, Cutler et McNeil (université du Michigan) passant en revue les nombreuses recherches scientifiques sur des processus inconscients, notamment sur les renforçateurs subtils à l'œuvre dans les psychothérapies et les interviews.

Soulignant que Vicary n'avait guère fait preuve de rigueur scientifique (pas de comparaison de l'effet de sa technique sur plusieurs films, l'achat d'aliments à l'entracte de Picnic, pouvant s’expliquer aisément par les nombreuses scènes de repas contenues dans le film), les chercheurs rappelaient enfin que le code de déontologie de l' AAP interdit l'usage de la psychologie à des fins de manipulation des personnes.

  • En 1958 toujours, la télévision canadienne — la Canadian Broadcast Corporation — réalisa une expérience en vue de tester la technique de Vicary. Au cours d'une émission très populaire, le message « téléphoner maintenant (phone now) » fut présenté 325 fois pendant une fraction de seconde. Aucun spectateur ne téléphona. Un présentateur expliqua alors qu'un message subliminal avait été diffusé et demanda aux téléspectateurs de lui faire savoir par lettre ce qu'ils avaient perçu ou deviné. Près de 500 réponses parvinrent au studio de la télévision : aucune ne mentionnait le message diffusé. Environ 50 % des personnes disaient avoir éprouvé de la soif ou de la faim au cours de l'émission, pensant qu'il s'agissait d'une incitation à boire ou à manger, comme dans l'expérience de Vicary…
  • En 1959, De Fleur et Petranoff (université de l'Indiana) réalisèrent une expérience rigoureuse. Ils diffusèrent de la publicité pour un produit alimentaire à la télévision d'une station d'Indianapolis.
    Pendant une semaine, les messages étaient de type subliminal. Les ventes augmentèrent de 1 %, un résultat non significatif.
    Pendant une autre semaine, les messages étaient des publicités « classiques », réalisées de façon à attirer le plus possible l'attention. Les ventes augmentèrent de 282 % …

Confronté à ces résultats, Vicary finit par avouer en 1962 que sa recherche n'était qu'une invention, destinée à trouver des clients pour sa firme en difficulté !

D’autres recherches ont, depuis, été menées.

  • En 1988, Pratkanis et Greenwald publièrent une vaste étude (portant sur plus de 200 travaux scientifiques et plus de 150 articles parus dans la presse) sur les publications relatives à la persuasion subliminale. 
    Constats :
    - les meilleurs spécialistes de la question s'accordaient à conclure que les messages subliminaux sont parfois perçus, mais pas toujours, et qu'ils peuvent influencer des opinions, mais seulement de façon minime et très éphémère, notant par ailleurs ce que Jean-Jacques Aulas a constaté, de son côté, pour les études sur les médecines parallèles : les recherches qui montrent clairement des effets sont généralement sans aucune valeur scientifique ; plus les travaux sont rigoureux du point de vue méthodologique, moins les chercheurs constatent des effets significatifs.

- l'information véhiculée dans les articles des médias allaient, le plus souvent, dans le sens opposé aux conclusions des scientifiques : la plupart de ces articles accordaient foi au mythe créé par Vicary ! Quant aux journalistes qui mentionnaient des recherches qui l'infirmaient, ils s'empressaient généralement d'ajouter que la question restait controversée… En réalité, pour les scientifiques, la question ne l'était plus. Ceci dit, il existe des méthodes de persuasion efficaces, mais ce ne sont pas des procédés subliminaux.

  • En 1998, Philip Merikle, de l'université de Waterloo (Canada), concluait dans le même sens ses propres recherches et une revue des travaux scientifiques sur le sujet. Il réfutait la croyance que des informations ont d'autant plus d'impact qu'elles sont moins intenses — un principe comparable à celui de l'homéopathie. Certes, des informations qui heurtent directement nos croyances suscitent des résistances — les psychologues parlent alors de « réactance » —, mais il n'est aucunement prouvé que des informations sont d'autant mieux retenues et plus efficaces qu'elles sont moins perceptibles ! Les étudiants savent à quel point les cours suivis distraitement laissent peu de traces…

Merikle écrivait : « Les recherches contrôlées montrent que la perception subliminale, quand elle se produit, reflète les interprétations habituelles que la personne se fait des stimuli. D'autre part, il n'y a guère de preuves que les gens réalisent des actions à cause de perceptions subliminales. Les faits montrent qu'il faut être conscient de percevoir avant de s'engager dans les réactions habituelles à ces stimuli.

Les leçons à tirer des expériences de la publicité subliminale

 

Cette histoire illustre l'importance d'une règle fondamentale de la pensée scientifique : avant d'expliquer et de juger des faits, il faut d'abord vérifier leur existence, la façon dont ils ont été établis et leur fréquence.

Elle rappelle aussi la facilité du charlatanisme en matière de psychologie.

La facilité avec laquelle s'est diffusée cette légende illustre la propension à croire les médias. Nous nous imaginons volontiers que nous pensons selon un modèle cartésien : on reçoit des informations, on les met en doute, puis on décide librement de leur vérité. En réalité, l'homo sapiens a tendance à croire les informations qu'il lit ou entend, sauf éventuellement lorsqu’elles entrent en contradiction avec son système de croyances. Cette façon de procéder a certes une fonction de survie. L'être humain a souvent intérêt à croire que ce qu'il entend est réel, par exemple si quelqu'un lui crie : « Attention ! L'auto ». Malheureusement cette disposition mène aussi à des erreurs et des illusions. La pensée scientifique s'est lentement développée en opposition à cette tendance naturelle.

Les fausses croyances persistent dans le public en dépit des réfutations scientifiques. Au début des années 80, alors que les meilleurs spécialistes de la psychologie s'accordaient sur l'absence d'efficacité de la persuasion subliminale, une enquête américaine révélait que 81 % des personnes, qui savaient ce qu'était la publicité subliminale, croyaient que c'était une pratique courante et 68 % croyaient qu'elle était efficace.

Ces croyances permettent d’entretenir un commerce florissant, comme par exemple celui des cassettes d’auto-thérapies (par exemple, en 1987, les Américains ont dépensé plus de 50 millions de dollars pour ce type de matériel).

Dans les années 90, plusieurs scientifiques ont testé ces produits. L'expérience (en double-aveugle) menée par l'équipe de Greenwald a permis de conclure que les cassettes n'avaient aucun effet mesurable sur la mémoire. Toutefois, les sujets qui avaient reçu une cassette soi-disant «  mémoire » pensaient avoir fait des progrès dans ce domaine, tandis que ceux qui avaient reçu une cassette « estime de soi » — selon le fabriquant : « amélioration de la mémoire » — pensaient avoir maintenant une meilleure estime d'eux-mêmes. Les sujets qui y croient « sentent » des effets attendus.

Un nombre important de recherches confirment cette expérience : les cassettes d'autosuggestion subliminale n'ont pas de résultats supérieurs à un effet de suggestion « placebo ».

L'arnaque lancée par Vicary poursuit sa route, encore aujourd’hui. L'invocation de l'Inconscient permet d'innombrables mystifications. Malheureusement, comme le montrent les exemples suivants [6], il y a bien plus grave que les histoires de publicité et de cassettes d'auto-thérapie.

NOTES :

[1] ­ Odile Jacob (2003), 336 pages (pp. 149 à 222, pour le chapitre résumé).

[2] ­ Ce seul chapitre, qui compte 74 pages, comporte 170 (cent soixante-dix) notes de bas de pages !

[3] ­ La « dépsychanalysation » de ce concept n'est pas anodine dans notre pays où tout élève de Terminale reçoit un enseignement de philosophie dans lequel, comme le rappelle plaisamment ici (p. 3) l'éditorialiste de « Côté Philo » : « Aucune autre notion (au programme que celle d'inconscient, NDJLR) ne sert de prête-nom à un auteur. » !
Cette série de billets permettra, je l'espère, de rétablir un peu de faits dans un monde largement peuplé de légendes... et de mythologies.

[4] ­ Les 11 sous-chapitres s'intitulent :

I. L'INCONSCIENT, IL Y A PLUS DE 300 ANS
II. L'INCONSCIENT À L'AUBE DE LA PSYCHOLOGIE SCIENTIFIQUE
III. EXEMPLES DE RECHERCHES SCIENTIFIQUES SUR L'INCONSCIENT AU XX
ème SIÈCLE
IV. BUVEZ COCA-COLA : ACHETEZ MES CASSETTES
V. EVENEMENTS SANS SOUVENIRS, SOUVENIRS SANS EVENEMENTS
VI. FORCE ET FRAGILITE DE LA MEMOIRE
VII. L'EPIDEMIE DES FAUX SOUVENIRS D'ABUS SEXUELS
VIII. L'EXPLORATION DE VIES ANTERIEURES
IX. LES ENLEVEMENTS PAR DES EXTRATERRESTRES
X. POURQUOI IMAGINONS-NOUS DES SOUVENIRS ?
XI. DU DANGER D'INVOQUER L'INCONSCIENT

 [5] Ce sous-chapitre est plus spécifiquement consacré à la perception subliminale… et à ses mythologies !

 [6] exemples qui feront l’objet de prochains billets, bien sûr.

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