L’homme qui murmure à l’oreille des moutons

La prestigieuse publication The Lancet fait appel à l'expertise de Charles Morin pour donner l'heure juste à ses 30 000 lecteurs sur l'insomnie et son traitement

Par Jean Hamann

Il y a 30 ans exactement, Charles Morin commençait ses études de doctorat à la Nova University en Floride. Son sujet de thèse: l'insomnie chez les personnes âgées. La semaine dernière, The Lancet, la deuxième plus influente publication médicale au monde, invitait le professeur de l'École de psychologie à publier un article synthèse dans une section de la revue destinée à donner l'heure juste à ses 30 000 lecteurs sur une question de santé. Le sujet: l'insomnie.
   
Cette invitation, Charles Morin ne l'a pas volée. Au cours des trois dernières décennies, il a persisté et signé une centaine d'articles sur l'insomnie en plus de former au-delà de 30 étudiants-chercheurs à la maîtrise et au doctorat dans ce domaine – d'abord à la Virginia Commonwealth University (1986-1994) puis à  l'Université Laval –, engrangeant au passage plusieurs millions de dollars en subventions, dont un soutien financier ininterrompu des NIH américains depuis 25 ans. À ces réalisations, il faut ajouter de nombreux chapitres de livres et son petit dernier, un ouvrage de 1000 pages sur le sommeil et les troubles du sommeil, qui paraîtra en février chez Oxford University Press. Bref, il en connaît un bout sur l'insomnie.
   
«C'est flatteur que The Lancet m'ait invité à rédiger cet article, reconnaît-il, mais si j'ai accepté, c'est surtout parce que c'était une belle occasion de faire connaître à ses lecteurs, la plupart médecins, le traitement comportemental que nous avons développé pour l'insomnie.»

Une solution de rechange

Il existe plus de 80 pathologies associées au sommeil et, «même si plusieurs d'entre elles m'intéressent, dit-il, je suis toujours revenu à l'insomnie». Pourquoi cet intérêt? «À cause du lien entre le manque de sommeil et la santé, aussi bien physique que psychologique. Les deux se perturbent mutuellement.»
  
Les travaux de son équipe ont permis de développer une thérapie cognitivo-comportementale qui, dans certains cas, peut remplacer ou complémenter la prise de somnifères. Cette thérapie mise sur un changement de croyances (traitement cognitif) et sur un changement d’habitudes (traitement comportemental) par rapport au sommeil. «Ses grands mérites sont sa simplicité et son applicabilité», souligne-t-il. Et son efficacité, pourrait-on ajouter. Dans un groupe de 100 personnes qui suivent cette thérapie, 50 à 60 obtiennent une rémission et 20 à 25 répondent partiellement au traitement. Les patients chez qui le traitement apporte peu de bienfaits sont souvent aux prises avec d'autres problèmes de santé physique ou psychologique.
   
Malgré ces bons résultats, les médecins prescrivent encore, bien souvent dès la première visite, des somnifères à des patients qui ont des problèmes mineurs d'insomnie. «Le transfert de connaissances entre la recherche et la clinique doit être renforcé», estime le chercheur, qui reconnaît du même souffle que les conditions de pratique de la médecine sont peu propices à l'adoption d'approches qui exigent du temps. C'est pourquoi il envisage la création d'une clinique spécialisée dans le traitement des insomniaques. Des discussions sont en cours avec la direction de l'Institut universitaire en santé mentale de Québec et le projet pourrait se concrétiser d'ici quelques mois.

Penser prévention
Même après trois décennies de recherche, le professeur Morin n'a pas l'impression d'avoir fait le tour du jardin. «Une carrière entière de chercheur ne suffit pas à aller au fond d'une question comme l'insomnie. La preuve est que malgré tout ce que nous savons maintenant, il y a encore des personnes que nous ne parvenons pas à aider.» Au cours des prochaines années, son équipe attaquera le problème sous de nouveaux angles. «Nous voulons étudier plus en profondeur les facteurs de risques, les conséquences à long terme et les dimensions génétiques et familiales de l'insomnie.»

Selon Charles Morin, le temps est venu d'investir de l'énergie dans la prévention de l'insomnie. Une étude menée par son équipe a révélé que 13 % de la population canadienne souffre de ce trouble du sommeil. «Il s'agit d'un problème de santé publique. Il faudrait mener des campagnes d'information sur les bonnes habitudes de vie à adopter pour prévenir l'insomnie, tout comme on le fait pour l'obésité et le tabagisme.»

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