«L’homme contemporain vit dans une anxiété diffuse»


«L'homme contemporain vit dans une anxiété diffuse»

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Pascale Senk - le 10/11/2011

Catherine Ternynck. DR
Catherine Ternynck. DR

LE FIGARO.- Dans votre essai, vous décrivez l'homme contemporain vivant comme sous la menace. En quoi ses peurs sont-elles nouvelles ?

C ATHERINE TERNYNCK.- D'abord, je crois que la peur est ontologique, de tout temps, propre à notre état d'être humain. Elle vient de notre inachèvement, naît dans l'enfance et nous aide à nous protéger. Elle devient symptomatique chez celui qui ne se sent plus capable de surmonter les peurs liées aux difficultés inhérentes à la vie. Et c'est cela qui vient frapper cet homme contemporain que j'appelle «l'homme de sable» : il vit une anxiété diffuse, mal définie, avec des peurs rampantes non localisables ou ne s'accrochant pas sur un objet précis, comme par exemple la peur du noir ou des araignées.

Comment cela se traduit-il chez vos patients ?

Certaines personnes se sentent dépassées et ont l'impression de «s'habiter mal» tant elles ressentent un écart entre leurs exigences individualistes et leur capacité à vivre celles-ci. Tout se passe comme si elles vivaient «au-dessus de leurs moyens psychiques». Aujourd'hui, deux formes d'anxiété sont devenues courantes : l'anxiété d'insuffisance («Je voudrais atteindre cet idéal de moi-même mais je n'y arrive pas») et l'anxiété d'effritement («Je voudrais maintenir tous les possibles et je me désagrège, je perds le sentiment d'une cohésion intérieure»). Ce que révèlent ces formes d'anxiété contemporaine, c'est une fragilité des fondations de l'identité.

Quelles sont les causes de ce «mal de fondations» que vous pointez ?

Ce mal des fondations se révèle à l'âge adulte mais il vient de l'enfance. Depuis deux décennies, on demande aux petits enfants de se débrouiller tout seuls assez rapidement. Cet appel à l'autonomie précoce les encourage à «faire sans l'autre». Auparavant, dans les générations passées, l'individu restait de longues années en situation d'enfant : il se vivait longtemps vulnérable et dépendant. L'homme d'aujourd'hui découvre cette vulnérabilité plus tard, parfois à la faveur d'une épreuve ou d'un accident de la vie, et après avoir pensé être autonome. En réalité, on relève chez de nombreuses personnes une «dysharmonie d'autonomie» : matures dans certains domaines, elles restent très infantiles dans d'autres. C'est le cas de ces (tout) jeunes adultes souffrant du syndrome de Tanguy et qui, très émancipés à certains égards, redoutent de quitter le foyer parental.

Vous affirmez que c'est notre rapport à l'autre qui devrait nous donner de la force. Pourquoi n'y arrivons-nous plus ?

Une éducation trop consensuelle amène l'enfant à ne plus faire de (la) place à l'autre «en lui», et à esquiver ou réduire l'incontournable travail d'altérité. L'autre est à son service, mais il doit pouvoir s'en passer. Il en résulte une extrême sensibilité relationnelle, qu'on observe notamment dans le besoin de reconnaissance. Mais à partir du moment où l'autre ne s'est pas inscrit en soi, il devient une constante source de tourments : trop près, il constitue une menace ; trop loin, il pourrait abandonner. Ainsi par rapport à la question de l'altérité, deux formes de peur tendent à se généraliser : la dépendance affective (quand je ne peux plus me passer d'un autre) et la phobie sociale (quand je redoute les autres). La proximité et la distance dans les relations sont toutes deux menaçantes. Nous sommes dans un rapport totalement nouveau à l'altérité.

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  • Pascale Senk

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