Mercredi 9 juillet 2014 - 15:36
Cédric Quignon-Fleuret, responsable de l’Unité de Psychologie/Département médical de l'INSEP, revient pour Sport.fr sur l'aspect psychologique de l'humiliation subie par le Brésil face à l'Allemagne en demi-finale de la Coupe du monde (1-7).
Comment analysez-vous la rencontre entre le Brésil et l'Allemagne ? La pression a-t-elle rattrapé les Brésiliens ?
On ne peut qu'émettre des hypothèses. Mais ce qui paraît évident, à la vision des images ou avec les informations qui ont filtré, notamment l'appel à une psychologue du sport par Luiz Felipe Scolari, c'est qu'il y a eu quelque chose qui n'était pas en place au niveau émotionnel. Il y a eu un espèce d'effondrement, de fracture après le premier but, consécutif à une forme d'absence inhabituelle de la défense brésilienne. Après le deuxième but, ça a été la descente aux enfers.
Etait-il possible de revenir psychologiquement dans ce match après ces débuts catastrophiques ?
Il y avait la pression de toute une nation. Les Brésiliens avaient presque plus à perdre qu'à gagner : dans leur esprit, ils devaient absolument remporter cette Coupe du monde. J'ai été marqué par le degré d'émotion qu'il y avait sur leurs visages au moment des hymnes. La plupart des joueurs étaient en larmes. C'est bien d'avoir de l'émotionnalité, mais est-ce qu'il n'y en avait pas trop ? Étaient-il en maîtrise de ce qui se passait ou débordés par les émotions ou la peur, tout simplement ? L'autre facteur, c'est qu'il y avait l'absence de leaders : dans le secteur offensif (Neymar, blessé, ndlr)), et dans le secteur défensif, avec le meilleur défenseur qui est aussi le capitaine (Thiago Silva, suspendu, ndlr). Il y a eu un double handicap, des deux côtés du terrain, une pression émotionnelle nationale très importante. Les joueurs, consciemment ou non, ressentent ça à un moment, et cela crée ces conditions au craquage. Il y avait une fragilité et elle a été mise à jour dans ce match.
"Les joueurs ne sont que des humains"
Les joueurs peuvent-ils parvenir se remobiliser après cette humiliation ?
Ça va être très compliqué. On est sur un sentiment de honte je pense, plus qu'un sentiment de défaite. Ce n'est pas la même chose que de perdre aux tirs au but. La troisième place ne fait plus rêver ni les joueurs, ni le pays. Il y avait un seul objectif, c'était le titre. Charge au staff de trouver les mots. Si on se met à la place des joueurs on peut penser qu'il faudra, au-delà de la victoire, regagner une sorte d'honneur et de dignité sur le terrain et délivrer une prestation qu'on est en droit d'attendre d'une équipe de ce niveau. Ce sera un objectif dans le nouvel objectif.
Quel travail faire pour éviter ce genre de situation ?
On a vu qu'il y avait une psychologue qui a été appelée au chevet de l'équipe. C'est une gestion de l'urgence. On n'est pas sur une stratégie de prévention, le problème s'est déjà produit. Mais pour ce genre d'évènement planétaire, où vous êtes le plus épiés et plus attendus, cela paraît évident qu'il peut y avoir des débordements émotionnels, les joueurs ne sont que des humains. A l'INSEP, l'Unité de psychologie suit les athlètes et va tout faire pour anticiper et éviter cette crise. Il y a un travail d'évaluation individuelle. Tous les sportifs de haut niveau font un bilan psychologique. Un travail peut être mis en place ensuite, que ce soit sur l'équilibre individuelle, le bien-être ou la préparation mentale, mais aussi avec des staffs ou des entraîneurs sur la dimension de groupe. On essaye d'être dans l'anticipation, de travailler en amont et ne pas seulement s'interroger quand le problème survient.
Propos recueillis par F.S