"Les sondages peuvent changer une élection !"

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Publié le mercredi 25 avril 2012 à 17H57

Une enquête atteste de l'influence des études d'opinion sur le vote

Les sondages, comme ci-dessus (archives), influencent directement le choix final des électeurs.

Question : les sondages politiques influencent-ils les intentions de vote ? Réalisée par l'institut d'études marketing MediaMento en collaboration avec des spécialistes en psychologie d'Aix-Marseille (Université et CNRS), une enquête tranche. Décryptage avec Pascal Huguet, l'un des chercheurs associés à ce travail explosif...

Quels sont les mécanismes de cette enquête ?
Pascal Huguet : Déjà, il faut savoir, qu'à ma connaissance, aucun travail de ce genre n'a jamais été mené. C'est inédit. En résumé, nous avons interrogé un panel de 1 000 personnes en demandant, à chacune de nous donner le nombre de chances sur 100 de voter pour l'un ou l'autre des dix candidats. Ensuite, nous les avons soumis à six résultats de sondages fictifs, en faisant évoluer un seul paramètre : l'écart entre les deux favoris. Le tout entrecoupé de séquences distractives, sur d'autres sujets, pour détourner l'attention... Et le résultat est une bombe !

C'est-à-dire ? Qu'en ressort-il ?
P.H. : Il tranche de manière scientifique la question de l'influence, ou pas, des sondages sur l'opinion. Et c'est un "oui" incontestable qui ressort. En effet, les résultats nous montrent une modification moyenne de 10 points des certitudes de votes pour un des candidats après avoir été soumis aux sondages manipulés. Vous me direz, 10 points ce n'est pas catastrophique. Mais quand on se penche sur les marges, hors moyenne, on constate que 25 % des gens ont fini par changer de vote ! Et que la modification artificielle de ce seul paramètre, l'écart entre les deux favoris, rejaillit sur tous les postulants... 1/4 de la population, c'est gigantesque ! C'est suffisant pour faire basculer une élection.

Comment expliquez-vous cette volatilité ?
P.H. : Si on demande à quelqu'un, dans la rue, si les sondages peuvent changer son vote, il répondra par la négative. Et sûrement le pensera-t-il. Mais nous, scientifiques, savons depuis 60 ans que les individus sont extrêmement sensibles aux opinions des autres... Pour revenir à l'enquête, peut-être que dans 10 ans, les conclusions seront différentes. Mais là, à une époque de grande confusion politique, où les clivages sont balayés, où on a tendance à mettre tous les candidats dans le même sac, une partie importante de gens fait son choix en fonction de facteurs personnels et périphériques.

Quels en sont ces moteurs psychologiques ?
P.H. : Ils sont de deux ordres : la conformité et la différenciation. Pour les premiers, si on leur dit que le candidat X a dix points d'avance, ils vont aller dans son camp. Ils expriment ainsi leur besoin d'être dans la majorité, de dire : "Moi aussi, j'ai gagné l'élection."Pour les autres, au contraire, c'est une manière de s'affirmer dans la différence. Dans les deux cas, le moteur est un besoin fort de dire : "J'existe !" Et d'affirmation sociale à travers un événement politique dont tout le monde parle.

Cette volatilité de l'électorat, selon des critères qui n'ont rien de politique, tendrait à prouver que pour le deuxième tour rien n'est joué...
P.H. : Elle doit en effet inciter à la prudence. L'opinion n'est pas aussi solide qu'on le croit. Quand les électeurs affirment leur certitude de vote, il faut donc s'en méfier.

Au regard de ces résultats, ne faudrait-il pas interdire les sondages pour avoir un vote réellement démocratique ?
P.H. : C'est une question délicate... Un moment donné, il est normal que la population veuille avoir une photographie des forces en présence. Mais il ne faut plus être naïf sur l'influence des sondages, et surtout, ne pas jouer avec ça. Peut-être qu'à l'approche immédiate des élections, il faudrait y réfléchir.

Propos recueillis par Laurent D'Ancona

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