Les psychologues remettent le procès De Gelder en question

Les psychologues choisis par la défense de De Gelder dénoncent les dérives du procès. Et beaucoup les rejoignent

BRUXELLES "Lâche. Tu es même trop lâche pour te pendre": cette phrase, lancée en plaidoirie par une avocate des parties civiles au procès de Kim De Gelder, est d’une incroyable violence. Surtout quand l’on sait que l’accusé avait tenté de se suicider en se couchant sur des voies de chemin quelques années avant la tuerie de Termonde. Et qu’il n’avait eu la vie sauve que grâce au conducteur qui l’a vu à temps.

Le procès de Kim De Gelder a été tendu, violent. En raison de l’atrocité des faits: massacrer à des bébés ébranle la société dans ses fondements car c’est s’attaquer à ce qu’elle a de plus cher. Et personne n’y est indifférent. Kim De Gelder a été condamné à la perpétuité après avoir été reconnu responsable de ses actes. C’était un des enjeux de ce procès où les témoignages des psychiatres et psychologues étaient particulièrement attendus.

Au lendemain du procès, le Professeur Verhaeghe, qui enseigne notamment le diagnostic psycho-clinique à l’Université de Gand, était le premier à s’être interrogé dans une "Chronique d’une condamnation annoncée" publiée dans "De Morgen".

Il soulignait que la société attendait de la psychiatrie qu’elle considère comme "fous" des auteurs comme Breivik, Van Themsche ou De Gelder ( "une personne normale ne commet pas de tels actes" ) mais aussi qu’elle voulait entendre, de cette même psychiatrie, que l’auteur n’était pas "fou", si bien qu’il était possible de le punir. Il se disait persuadé que le diagnostic de schizophrénie - présenté au procès par Nathalie Laceur et Geert Hoornaert, deux psychologues cliniciens désignés par la défense - était le bon. Ils avaient été approchés par Me Haentjens qui ne retrouvait pas dans le rapport des psychiatres judiciaires l’homme qu’il visitait en prison depuis quatre ans. Ils l’ont vu six fois.

La condamnation pénale de Kim De Gelder est aujourd’hui définitive. Le délai de cassation est dépassé. Mme Laceur et M. Hoornaert sortent du bois. Pour plaider pour une véritable psychiatrie judiciaire, strictement clinique et pour le respect d’une justice digne de ce nom.

Ils ont rédigé un manifeste (voir ci-contre). Rien à voir toutefois avec une frustration de ne pas avoir été entendu au procès. Ils ont déjà rassemblé autour de leur texte plus de cent signataires : des artistes de renom, des académiques de haut vol, que ce soit du droit ou des sciences du comportement, des avocats Autant de noms qui témoignent d’une véritable interrogation.

Pour les deux psychologues, Kim De Gelder, est un véritable cas d’école, paradigmatique de la schizophrénie.

Au cours de ses interrogatoires, rappelle M. Hoornaert, Kim De Gelder a donné quinze motifs pour ses crimes. Les psychiatres judiciaires n’ont pas pour autant conclu à l’incohérence - symptôme de la schizophrénie - mais à la simulation, à la manipulation de la part de l’accusé. Parmi tous ces motifs avancés, ils en ont choisi un, qui va dans le sens de la psychopathie, qui n’est pas une maladie mentale. "Cette hypothèse de simulateur a mis une chape sur le procès et la lecture clinique du cas est devenue illisible", décrypte M. Hoornaert. Et, dire que Kim De Gelder est capable de simuler et de manipuler, cela ouvre la route pour dire que sa capacité de réflexion n’est pas atteinte, renchérit Mme Laceur.

Une psychiatrie à l’écoute du sujet

"Si nous avons écrit ce manifeste, c’est parce que nous estimons que ce procès a atteint l’intégrité de la psychiatrie. Je suis pour l’éthique de la psychiatrie : être à la recherche, sans a priori, d’un sujet. Qui est-il ? Pour le faire, il faut écouter, éventuellement se renseigner auprès des proches", dit Mme Laceur.

Pour celle-ci, également assistante à la faculté de psychologie de l’université de Gand, la psychiatrie judiciaire "se profile comme une discipline qui peut se mettre au service de la société, alors qu’elle devrait être le refuge de celui qui souffre dans la société" .

La faute aussi, dit M. Hoornaert, à l’utilisation abusive des critères du DSM-4, ce manuel statistique de psychiatrie, qui permet de porter un diagnostic (et la médication à prendre) sur base des seuls symptômes, sans prendre en compte le vécu : "Si la psychiatre se réduit à cela, elle n’est plus que l’annexe de la fonction policière."

Peu d’écho a été donné dans la presse du témoignage des deux psychologues. "L’esprit critique avait comme disparu pendant le procès, comme séduit par l’appel du peuple à punir ce monstre" , juge aujourd’hui Mme Laceur qui veut aujourd’hui "soulever le couvercle de la psychiatrie judiciaire" .

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