Les ados souffrent, les parents aussi

Entre drogue, anorexie et scarification, difficile pour un père ou une mère de voir son enfant vivre douloureusement son adolescence. Le sentiment de culpabilité s’avère parfois puissant.

Incompréhension. Impuissance. Culpabilité. Tels sont les sentiments qui peuvent envahir les parents d’un adolescent à la dérive. Quand ce dernier manifeste son mal-être par un désintérêt profond pour sa scolarité, par un refus de manger, par une consommation excessive d’alcool ou de stupéfiants, ou par des actes d’automutilation (voire des tendances suicidaires), la souffrance s’installe également chez ceux qui l’ont mis au monde.

«Même si elle se déroule sans trop d’encombres, cette période est toujours vécue par les parents comme une remise en question, relève le psychologue genevois Nino Rizzo, auteur de l’ouvrage intitulé

«Parents d’adolescents: une crise peut en cacher une autre». Ils ont beau s’attendre à cette étape marquée par le changement, elle survient toujours trop tôt chez leurs enfants. Un effet de surprise généralement lié à la difficulté de se séparer de leur progéniture qui devient adulte.»

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Nino Rizzo, psychologue à Genève.

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Nino Rizzo, psychologue à Genève.

Car aux affres de leur bambin devenu grand s’ajoutent celles auxquelles ils sont eux-mêmes confrontés.

Alors que leur petit s’éloigne peu à peu, rechigne à partir en vacances avec eux, ils doivent redéfinir leur rôle, réinventer leur couple, redécouvrir leurs raisons d’être ensemble.»

On l’aura compris – et l’on s’en doutait un peu – l’adolescence est rarement considérée comme une partie de plaisir pour les parents. Que penser alors de ceux qui voient la prunelle de leurs yeux se droguer ou se scarifier? «Ils se retrouvent confrontés à des comportements auxquels ils ne parviennent pas à donner un sens, souligne Nino Rizzo, Et la douleur de constater que leur enfant s’engage ainsi dans des actes autodestructeurs est décuplée par un sentiment de culpabilité qui devient rapidement insupportable.»

Des parents souvent pointés du doigt

Difficile en effet de ne pas s’accuser de tous les maux devant le désespoir de son ado. N’est-ce pas le travail d’un père ou d’une mère, de transmettre le goût de vivre à son enfant? N’ont-ils pas failli à leur devoir si ce dernier souffre à ce point? D’autant que la société a souvent tendance, lorsqu’un jeune va mal, à pointer les parents du doigt. «Ils sont fréquemment pris pour cible, confirme Nathalie Schmid Nichols, psychologue responsable du pôle prévention de la structure

Malatavie Unité de crise (SPEA/HUG – Children Action). Alors que les situations sont beaucoup plus complexes que l’on ne le croit.»

Egalement coordinatrice du dispositif inter-institutionnel

Aire d’ados, qui a pour but de renforcer le filet de sécurité offert par les professionnels et les proches des jeunes en grande difficulté et à risque suicidaire, elle explique que les parents qui tirent la sonnette d’alarme se trouvent bien souvent dans une détresse énorme. «Surtout que la dynamique dans laquelle ils évoluent peut être paradoxale: d’une part ils souhaitent voir leur adolescent prendre son indépendance, de l’autre ils essaient de le soutenir, en ayant encore parfois tendance à beaucoup s’investir dans sa vie. Ce que le jeune n’accepte pas forcément.»

Même son de cloche chez Nino Rizzo, qui estime que le sentiment de culpabilité pousse parfois les parents à adopter une attitude inadéquate vis-à-vis de leur enfant. «Dans ces situations conflictuelles, nous tentons de jouer le rôle de tiers», précise Nathalie Schmid Nichols. Son confrère explique quant à lui que son travail avec ces pères et ces mères désemparés consiste à comprendre pourquoi leur progéniture en est arrivée là. «La manière de vivre l’adolescence est le fruit d’un long processus.

Si des éléments tels que la société dans laquelle on évolue, de même que l’hérédité, entrent en ligne de compte, il est évident que le parcours familial pèse également dans la balance. Il s’agit donc pour les parents de reconnaître leur part de responsabilité. Mais pas davantage.»

Car le psychologue genevois insiste bien sur un point: «Je ne parle pas de faute! Le glissement est facile… Il faut garder à l’esprit qu’ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient, étant eux-mêmes le fruit de leur propre histoire.» Il ne nie toutefois pas qu’une séparation ou un divorce mal géré peut jouer un rôle déterminant sur la façon dont un jeune appréhendera son adolescence. «En comprenant mieux ce qui s’est passé, pères et mères seront à même de donner un sens au comportement de leur enfant et donc de l’aider.»

Reste que si des structures offrant oreille, soutien et traitement aux ados en difficulté existent bel et bien, les parents se retrouvent quant à eux souvent seuls face à leur souffrance. Nino Rizzo, également directeur clinique et responsable du secteur adolescence à l’association

Espace A (anciennement Espace Adoption) à Genève, vante les mérites des groupes de paroles mis à la disposition de ceux qui ont fait la démarche d’accueillir chez eux un enfant qui n’est pas le leur. «Honnêtement, je pense que ce genre de structure serait bénéfique pour tous les parents, quelle que soit leur situation familiale. Ils pourraient ainsi échanger leurs expériences, leurs doutes et leur désarroi dans un climat d’écoute et de non-jugement.»

Texte © Migros Magazine – Tania Araman

 

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