L’enfance en surpoids

Racontant l’histoire d’un jeune garçon obèse, «Bouboule» sortira le 4 novembre au cinéma. Un film dans l’air du temps puisqu’en Suisse un enfant sur cinq est en surpoids. Enquête et témoignages.

Bouboule. Tel est le surnom de Kevin, 12 ans. Avec 100 kilos affichés sur la balance, pas surprenant qu’il subisse au quotidien les acerbes et mesquines railleries de son entourage ni qu’il se voie endosser le rôle de souffre-douleur du quartier. Pas étonnant non plus qu’il soit prêt à tout pour changer le regard des autres, quitte à se perdre au passage...

Certes, il s’agit là d’une fiction – celle racontée dans le film intitulé

Bouboule justement, à l’affiche dès le 4 novembre sur les écrans romands. Mais à l’heure où notre pays compte près d’un enfant sur cinq en surpoids, nombreux doivent être ceux à endurer le même sort que le jeune héros de cette production helvético-belge. Sans compter les impacts néfastes que peut avoir leur condition sur leur santé.

Si l’épidémie d’obésité, telle que la définit l’Organisation mondiale de la santé, s’est stabilisée depuis quelques années en Suisse et que certaines nations sont nettement plus touchées que nous – notamment l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce, qui affichent un taux d’enfants en surpoids supérieur à 30% – la doctoresse Nathalie Farpour- Lambert, pédiatre responsable du

programme de soins Contrepoids aux HUG, ne se veut pas rassurante pour autant:

On reste dans des chiffres très hauts. Par ailleurs, nous devons faire face à des excès de poids de plus en plus sévères.

Les causes de cette prise de kilos généralisée? La sédentarisation de la population, le boom de l’alimentation industrielle – «Notamment des boissons sucrées, qui autrefois ne faisaient pas du tout partie de notre paysage», précise la spécialiste – et les changements subis par notre société: «Les structures familiales évoluent, les mères travaillent, et 50% des parents se séparent. Autant de pertes de repères qui sont parfois synonymes pour les enfants de troubles alimentaires.»

A noter également que nous ne naissons pas tous égaux face à la prise de kilos.

Le risque de devenir obèse pour un jeune dont les deux parents sont en surpoids s’élève à 80%. Contre 10% seulement pour celui dont le père et la mère sont dans la norme.

Au-delà de l’influence génétique, le mode de vie des parents, leur rapport à l’activité physique et à la nourriture jouent aussi un rôle sur le comportement de l’enfant. Et Nathalie Farpour-Lambert de souligner également: «Les populations précaires, au niveau socio-économique bas, sont davantage touchées par l’obésité.» En effet, les familles à faibles revenus négligeraient, par mesure d’économie, la consommation de fruits et de légumes au profit d’aliments à haute densité énergétique, moins onéreux certes, mais riches en graisses et en sucres. Des habitudes néfastes pour les adultes et pour les enfants.

Un enfant obèse le restera probablement à l’âge adulte

«On sait aujourd’hui que si l’obésité se développe avant l’âge de 6 ans, elle a de grandes chances de perdurer à l’âge adulte», met en garde la pédiatre. Une étude menée par Promotion Santé Suisse révèle en effet que 40% des enfants de 7 ans avec une surcharge pondérale deviennent des adultes en surpoids. Avec tous les risques pour la santé que cela comprend: maladies chroniques, athérosclérose («On observe dès l’âge de 4 ans les premiers signes sur la paroi des artères», informe Nathalie Farpour- Lambert), diabète, problèmes de respiration (apnée du sommeil et ronflements), douleurs articulaires, etc.

«Par ailleurs, on sous-estime encore trop aujourd’hui le mal-être dont peut souffrir un enfant en surpoids, l’exclusion sociale dont il se voit l’objet, qui peuvent mener à des troubles anxieux, voire à un état dépressif.» La spécialiste précise que, ainsi isolés, les jeunes cherchent parfois du réconfort dans la nourriture pour apaiser leur souffrance et entrent dans un cercle vicieux...

«C’est un défi permanent de se faire accepter par les autres»

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Ruben Martins Ferro

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Nom:
Ruben Martins Ferro
Age:
13 ans
Taille:
1,63 m
Poids:
106 kg

«Dans ma mémoire, j’ai toujours eu des kilos en trop. Il paraît que ça a commencé quand j’avais 4 ans. Il faut dire que dans ma famille, il y a pas mal de cas de diabète et de surpoids. Au niveau génétique, ça n’a pas aidé.

Mes parents m’aident en préparant des repas équilibrés, mais je craque souvent pour d’autres trucs, aussi bien du sucré que du salé. Depuis tout petit, je suis suivi aux HUG. Je n’ai pas encore de problème de santé, mais j’en aurai peut-être à l’avenir. Avec mon médecin, on discute, on cherche des solutions. Je vois aussi une diététicienne-psychologue et je trouve que ça m’aide bien.

Quant au sport, je fais du tir à l’arc et du tir à la carabine. Ce que j’aime bien avec le tir à l’arc, c’est qu’on marche pendant une heure, une heure et demie pour arriver aux cibles. Avant, je faisais plus de sport, de l’équitation, du judo, mais on se moquait de moi, alors j’ai arrêté. Pendant très longtemps, j’ai souffert d’être en surpoids.

A l’école primaire, on m’insultait, j’étais mis à l’écart, c’était très difficile.

Ça se passe beaucoup mieux depuis que je suis au cycle d’orientation. Je me sens mieux. Il arrive encore qu’on se moque de moi, bien sûr, et je ne réagis pas toujours de la même façon: parfois je ne dis rien, parfois je réponds, parfois je m’énerve...

C’est un défi permanent de se faire accepter par les autres et d’arriver à vivre avec ça. J’ai eu tendance à me renfermer dans mes jeux vidéo, mais j’ai beaucoup d’amis qui jouent avec moi, ça renforce les liens. J’ai même participé au casting du film «Bouboule». Pour finir, je n’ai pas été pris, mais ce n’est pas bien grave, c’était une super expérience.»

Objectif soins et prévention

Consciente de la progression de l’obésité dans notre pays, touchant aussi bien les adultes que les enfants, la Fondation Promotion Santé Suisse, en collaboration avec les cantons, a lancé en 2007 des programmes de prévention.

Le concept a été repris et adapté au fil des dernières années par quasiment l’ensemble des cantons. Diverses actions ont ainsi vu le jour ici et là, concentrant principalement leurs efforts sur les enfants. Du côté des soins, l’assurance maladie de base rembourse depuis 2008 la participation à des programmes thérapeutiques, comme

Contrepoids à Genève, pour les jeunes souffrant d’obésité (ils sont multidisciplinaires, mettant en œuvre médecins, diététiciens, psychologues, physiothérapeutes, etc.).

Des efforts sont encore nécessaires pour offrir de l’activité physique adaptée à moindre prix, durant la semaine ou les vacances. Cela dans un climat non compétitif, où les jeunes en surpoids ne sont pas jugés sur leur physique, à l’instar de la

Fondation Sportsmile ou de l’

Association Sports Pour Toi.

«Quand on m’a proposé le rôle, j’ai cru que c’était une blague»

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David Thielemans incarne à l'écran le rôle de Bouboule. Photo: Filmcoopi

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Entretien avec le Belge David Thielemans, 12 ans, qui incarne à l’écran le rôle de Bouboule. Il s’agit de sa première expérience au cinéma.

Qu’avez-vous pensé quand Bruno Deville vous a abordé dans la rue pour vous proposer le rôle de Bouboule?

D’abord j’ai cru que c’était une blague, je lui ai demandé où la caméra était cachée. Mais il m’a dit que c’était sérieux et comme je vis les mêmes choses à l’école que le personnage de Bouboule, j’ai accepté rapidement.

On se moque souvent de vous à l’école?

Oui, je reçois tous les jours des insultes du genre «gros lard», c’est pas facile...

Comment vos camarades de classe ont-ils réagi à votre participation au film?

Quand ils me voient, ils chantent parfois la chanson de Mathieu Chedid (ndlr: qui signe la musique originale de «Bouboule»):

«J’m’appelle Bouboule, Y faut qu’ça roule...» Mais ça, ça ne m’embête pas.

Vous pensez que la situation va changer quand ils auront vu le film?

J’espère que les insultes vont s’arrêter. Qu’on va se dire, au moins, il a osé se montrer.

Et votre mère, elle était contente que vous jouiez ce rôle?

Oui, elle est super contente pour moi, surtout que j’ai perdu 10 kg pendant le tournage. Elle espère que ça va continuer. D’ailleurs, j’ai commencé un régime et je vais essayer de m’inscrire à un programme de sport.

C’était donc une bonne expérience pour vous?

Oui, une très bonne expérience. Tout le monde était vraiment gentil avec moi. Ça m’a donné un peu plus confiance en moi. Et j’aimerais bien continuer à faire du cinéma.

© Migros Magazine - Tania Araman

 

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