L’économie circulaire, c’est aussi de la psychologie

Dans son usine de Grigny (Essonne), Coca-Cola fabrique des préformes pour les bouteilles à partir de granulés de plastique recyclé.
© Coca-cola entreprise

L’économie circulaire modifie les process, mais aussi les lieux de création de valeur sur la chaîne de production. Ce qui peut être mal vécu par les équipes.

Avec des matières premières qui s’épuisent, des prix de plus en plus volatils et une recherche accrue de compétitivité et de responsabilité environnementale, le passage de l’industrie vers l’économie circulaire est inéluctable. Si les initiatives sont aujourd’hui encore souvent timides, ce n’est pas par manque de volontarisme. La démarche est loin d’être simple et des blocages importants en interne peuvent subsister. « En économie circulaire, il existe des verrous technologiques, organisationnels, économiques et psychologiques. Lorsque l’on utilise une nouvelle matière première, il faut adopter un nouveau système de production », résume Jérôme Ribeyron, le responsable de l’activité Produire propre au Centre technique des industries mécaniques (Cetim). Ce changement de process entraîne des complexifications techniques, mais aussi des changements dans la chaîne de valeur du process industriel. Les acteurs de l’entreprise peuvent se montrer réticents.

On ne trouve pas de guide tout prêt sur la mise en place d’une politique d’économie circulaire dans une entreprise. Mais selon les retours d’expériences observés par Rémy Le Moigne, consultant et auteur d’ouvrages sur ce domaine, il existe cinq grandes étapes à suivre : définir un nouveau business model, mettre en place des partenariats externes avec des collecteurs de déchets ou des logisticiens, mettre en œuvre une écoconception adaptée à l’économie circulaire, déployer une « reverse supply chain » pour récupérer les produits usagés auprès des clients et les réintroduire dans le cycle de production et enfin mesurer la performance.

Associer les équipes à la démarche

Cette procédure doit être visible et comprise par les salariés, même s’ils y sont associés à des degrés divers selon les étapes. Ainsi, le travail de « reverse supply chain » ne pourra se faire qu’en lien étroit avec les équipes sur le terrain et en passant par des projets pilotes. Mathias Lenas, le directeur recycling supply chain, chez Coca-Cola, décrit comment dans l’usine de Grigny (Essonne), un outil de récupération des préformes de bouteilles non conformes a été mis en place pour les transformer en granulés et recréer des préformes. « Pour mener ce projet, nous avons promu des salariés en interne, même s’ils n’avaient pas forcément les compétences. On leur a donné des opportunités de développement et on les a associés à la démarche industrielle comme le choix de la machine ». Autre élément essentiel pour donner une vision claire aux équipes, « le management doit faire preuve d’une véritable sensibilité et d’une connaissance technique des principes de l’économie circulaire », explique Karen Delchet-Cochet, enseignante-chercheur en développement durable et responsabilité sociale des entreprises à l’ISC Paris.

Dernier point d’achoppement, la création de valeur. « Quand on met en place une démarche d’économie circulaire, on déplace la création de valeur sur la chaîne de production. On se heurte à la résistance de certains départements qui ressentent une perte de valeur et donc une perte de pouvoir », explique Rémy Le Moigne. Pour y faire face, « nous avons mis en place un système de compatibilité transversale. Il permet de prouver que même si une fonction se dégrade financièrement, il y a un gain économique global », explique Jean-Philippe Hermine, le directeur de l’environnement du groupe Renault, qui a élaboré des procédures à partir de véhicules hors d’usage pour récupérer des matières premières et des pièces de réemploi. « La perte de valeur peut être significative le long des boucles de ce cycle. Il est nécessaire de définir de nouveaux indicateurs pour mesurer la performance d’un modèle économique circulaire comme les taux de recyclabilité et de valorisation, ou encore le taux d’utilisation des matières premières de recyclage », juge Rémy Le Moigne. L’arbitrage doit alors être confié à des personnes qui ont des fonctions transverses et une vision stratégique, explique Karen Delchet-Cochet. Le responsable du développement durable, par exemple, s’il a de vraies connaissances techniques. » 

L’économie circulaire déplace la création de valeur sur la chaîne de production. Certains départements ressentent une perte de valeur, donc de pouvoir.

Rémy Le Moigne, consultant et auteur d’ouvrages sur l’économie circulaire

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