L’école de la réussite privilégie l’oral et l’imagination

Enseignement

L'école de la réussite privilégie l'oral et l'imagination


Ca bouge à l'école ! A la suite du premier Conseil supérieur de l'éducation présidé le 8 juin par Vincent Peillon, le nouveau ministre de l'Education nationale continue de rencontrer cette semaine les partenaires du système éducatif. Agnès Florin*, professeur de psychologie de l’enfant et de l’éducation à l’Université de Nantes, approuve son choix de mettre l'accent sur l'école primaire et revient pour lavie.fr sur ses premières mesures.

© Frank Perry / AFP

François Hollande et son ministre de l'Education, Vincent Peillon, entendent revenir aux fondamentaux. Une priorité ?

L'école primaire est essentielle : c'est là que se créent les plus grandes inégalités sociales, parfois même dès l'école maternelle. C'est bien d'investir là, mais ce n'est pas une question de moyens seulement : il faut également renouveler la formation pédagogique. D'abord en rétablissant une bonne formation initiale, avec notamment l'apprentissage du développement de l'enfant psychologique, moteur, langagier, social... Comment enseigner sinon, avec des connaissances qui datent de Jean Piaget, voire du XIXe siècle ? Et puis introduire une formation continue, pour les enseignants qui sont en poste. Les compétences des jeunes enfants sont de mieux en mieux connues. On sait par exemple aujourd'hui le poids du non verbal dans les apprentissages : intonation de voix, sourire, haussement d'épaules ou de sourcils, aparté entre enseignants... L'enfant perçoit très bien toutes ces évaluations implicites qui peuvent conditionner sa réussite.

Les classes sont marquées par une forte hétérogénéité. Comment venir en aide à ceux qui rencontrent le plus de difficultés ?

Une classe est par définition hétérogène ! Sauf à revenir au préceptorat, je ne vois pas de solution. On ne s'en sortira pas davantage en ajoutant un enseignant de plus par classe. C'est toute la pédagogie de la classe qui doit être repensée. Tous les enfants n'ont pas la même culture, la même langue, les mêmes centres d'intérêt. Pourquoi ne pas utiliser cette diversité ? Ainsi, certains établissements ont mis en place avec succès un tutorat entre élèves. Ceux qui ont compris telle notion l'expliquent à ceux qui doivent encore l'acquérir. Voilà une façon de s'en sortir par le haut, sans niveller le niveau par le bas. Dans une journée déjà longue, ajouter du travail aux enfants qui peinent, en prenant sur leur temps de repos ou de jeu, est contre-productif. Je propose de réserver du temps, dans la journée, au sein même de la classe, pour travailler par petits groupes. Gérer un groupe classe avec cette aide individualisée, cela se pense, cela s'apprend ! C'est d'autant plus urgent que quinze minutes de travail avec 6-9 enfants qui éprouvent le même besoin peuvent enrayer la spirale de l'échec.

L'école française plébiscite surtout le cerveau gauche avec la connaissance langagière et logico-mathématique. Ne faudrait-il pas favoriser des matières mineures (sport, musique, travaux manuels) afin de prendre en compte d'autres formes d'intelligence ?

Attention à la surcharge cognitive ! Les Français ont déjà la journée scolaire la plus longue d'Europe, et la semaine scolaire parmi les plus chargées. Cessons d'introduire de nouvelles disciplines (code de la route, histoire de l'art, gestes de sécurité, écologie...), ou alors il faut en retirer certaines ! On ne peut empiler sans cesse des connaissances. D'autant qu'on n'apprend plus à mémoriser à l'école, à utiliser des moyens mnémotechniques qui allègent ce travail. Pour traiter l'information, il est nécessaire de préserver un temps d'apprentissage et un temps d'exercice. Or, faute de temps, ce travail est externalisé, renvoyé en "devoirs à la maison" pourtant interdits par les textes. Conséquence : des journées que même les parents n'ont pas, et le renforcement des inégalités sociales.

Au cours de sa campagne, François Hollande a dit vouloir accueillir en maternelle les enfants de moins de trois ans. Qu'en pensez-vous ?

Tous les enfants ne sont pas scolarisables à 2 ans ; toutes les écoles maternelles ne sont pas prêtes à les accueillir. Les plus grands bénéficiaires se situent aux deux extrémités de l’échelle sociale : les enfants de milieux sociaux défavorisés, notamment en ZEP, et les enfants de milieux très favorisés (cadres supérieurs, professions libérales) ou très au fait des questions scolaires (enseignants). Cet accueil implique une pédagogie spécifique.

Vous plaidez pour une « véritable » école maternelle. Qu'entendez-vous par là ?

Il faut lutter contre la « primarisation » de l'école maternelle qui met trop de pression sur les enfants. De plus en plus, les apprentissages du CP sont anticipés, au détriment des jeux libres, des activités corporelles et créatrices, ou des découvertes sensorielles, pourtant essentielles à cet âge. Par ailleurs, le travail sur l'oral est fondamental. Et on apprend à parler en parlant. Or, dans des classes surchargées de 30 élèves, 30 % des enfants qui arrivent en CP ne prennent jamais la parole en classe. C'est un vrai problème, car l'apprentissage du langage est le fondement des autres apprentissages ; le développement de l'écrit s'appuie sur le développement de l'oral. L'oral permet d'assimiler la conscience phonologique, cette capacité à percevoir et à manipuler les unités sonores du langage telles que la syllabe, la rime, le phonème. Cette conscience joue un rôle majeur dans l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Elle s'assimile naturellement, avec les comptines, les poésies, les jeux de mots, de sonorités... La pauvreté des productions écrites d'élèves de CM1 et CM2 vient de leur incapacité à exprimer des émotions, conséquence de leur pauvreté lexicale. Il faut rétablir des situations d'apprentissage où s'utilise le langage pour penser, discuter, argumenter, communiquer, imaginer... Et pas seulement pour vérifier que l'élève connaît la (bonne) réponse !

Concernant les évaluations justement, Vincent Peillon a suspendu la remontée nationale des évaluations CE1 et de CM2. Votre réaction ?

L'évaluation fait partie du processus pédagogique. Elle suppose de suivre un programme et donne des objectifs à atteindre. Pour autant, elle n'a nul besoin de recourir à une note, source de stress pour les enfants. Elle peut s'évaluer – ce qui se fait de plus en plus – par un « acquis », « non acquis » ou « en cours d'acquisition ». Pour être positive, une évaluation doit être explicite, compréhensible et valoriser les progrès, plutôt que de pointer les erreurs. En France, où nous privilégions une vue utilitariste et techniciste des compétences, c'est une vraie révolution.

Un enjeu pour l'école de demain ?

Encourager l'imagination des enfants, leur pensée ouverte, créative ! Elle permet de penser ce qui n'existe pas. Cette capacité à inventer le monde de demain est la clé de l'innovation, la meilleure arme pour les générations à venir. L'imagination aide au développement cognitif et affectif. Contrairement à ce que certains craignent, elle ne fait pas se détourner de la réalité. Même dans un univers onirique inventé de toutes pièces, on fait appel à la logique, au raisonnement... Les enfants sont des chercheurs. Il faut les accompagner dans leur quête. 

* Dernier ouvrage paru : Enseigner à l'école maternelle : de la recherche aux gestes professionnels (Ed. Hatier pédagogie)

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