Le sexe, une addiction comme une autre ?

Dans le film «Shame» de Steve McQueen à paraître le 7 décembre, Michael Fassbender joue le rôle d'un addict du sexe. DR


Le sexe, une addiction comme une autre ?

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Agnès Leclair, - le 23/11/2011

Depuis l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn, à New York, en mai dernier, le cabinet du psychanalyste Jean-Benoît Dumonteix ne désemplit pas. «L'affaire DSK a servi de révélateur, estime ce spécialiste de l'addiction sexuelle. Je reçois des hommes qui me disent : “Quand j'ai vu DSK devant la justice américaine, j'ai eu l'impression d'être jugé à sa place.” Cette affaire a eu un rôle salvateur pour un certain nombre de personnes dépendantes au sexe, qui ont présumé que l'ancien directeur du FMI était atteint de la même pathologie qu'eux et sont sorties du déni.»

Jusqu'à récemment, en France, l'addiction au sexe avait l'image d'une pseudo-pathologie, réservée à quelques stars américaines comme Tiger Woods, David Duchovny ou Michael Douglas, adeptes du mea culpa et pris en charge dans des centres spécialisés. «Il y a aujourd'hui une prise de conscience, mais le phénomène n'est pas en expansion», précise Jean-Benoît Dumonteix.

La dépendance sexuelle est répertoriée comme un dysfonctionnement dans le DSM, manuel de référence publié par l'Association américaine de psychiatrie (AAP). Le concept est apparu durant les années 1970 avant d'être décrit en 1980 dans un livre par le docteur Patrick Carnes. Les travaux du psychiatre américain Aviel Goodman, qui a développé la notion de dépendance sexuelle, font également référence. «Mais n'oublions pas que Freud a également décrit la masturbation comme l'addiction originelle», rappelle le psychiatre Marc Valleur.

Angoisse ou stress 

Entre 3 et 6 % de la population sexuellement active pourrait être concernée, et cette pathologie toucherait essentiellement des hommes, selon une étude de 2011 du Pr Florence Thibaut, du service de psychiatrie du CHU de Rouen et de l'Inserm. «On s'intéresse peu à l'addiction sexuelle, car il y a encore beaucoup de tabous en France sur la question», estime-t-elle.

Dans la vie, ce besoin irrépressible peut aussi bien se traduire par la multiplication des conquêtes sexuelles ou des partenaires, que par le recours régulier à la prostitution ou la fréquentation compulsive des sites ou de films pornographiques.

Mais comment faire le distinguo entre une sexualité très active, un besoin de séduction frénétique et une dépendance pathologique ? «Cette addiction consiste à privilégier le comportement sexuel à toute autre forme de comportement social ou à toute autre activité, car le dépendant ne peut pas s'arrêter. Comme pour l'alcool ou le tabac», explique le Pr Thibaut. À chaque fois que la personne dépendante est assaillie par l'angoisse ou le stress, elle va chercher à fuir ce sentiment en passant par un acte sexuel. Après un moment de soulagement, cette pratique va lui renvoyer une mauvaise image de soi et relancer le processus. Le cercle vicieux est enclenché, et les comportements vont s'intensifier dans une fuite effrénée vers un apaisement toujours plus difficile à obtenir.

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Les «sex addicts» finissent ainsi par se couper du monde. «Certains peuvent passer la journée à se masturber devant des films, se font renvoyer car ils n'ont pas pu s'empêcher de fréquenter des sites spécialisés durant leur travail, d'autres se ruinent en escorts girls, leur femme les quittent…», décrit Jean-Benoît Dumonteix. Leurs points communs ? Un isolement progressif, un état dépressif et une estime de soi au plus bas. «Le sexe sans émotion produit une addiction», estime le D r Catherine Solano (Cochin), auteur de La Mécanique sexuelle des hommes (Robert Laffont).

Des milieux propices ? 

Selon Jean-Benoît Dumonteix, dont la clientèle est masculine à 95 %, «il y a presque toujours un traumatisme d'enfance à l'origine de ces comportements». Parfois un viol, un attouchement, mais souvent une intrusion dans l'intimité de l'enfant ou une exposition à des images ou des comportements déplacés. En consultation, Jean-Benoît Dumonteix voit défiler une majorité de jeunes hommes âgés de 25 à 35 ans, qui ont découvert le porno sur Internet et n'arrivent pas à en décrocher. «Certains ont commencé à 15 ans et ont déjà dix ans d'addiction derrière eux», raconte-t-il. «Ceux qui ont des rencontres physiques avec des prostitués sont moins nombreux», confirme Marc Valleur. Une réalité à mille lieues du mythe de Don Juan.

«Je reçois aussi quelques avocats, chirurgiens ou hommes d'affaires qui gèrent une telle charge de stress qu'ils tombent dans ce type d'addiction. Mais eux aussi souffrent avant tout d'un traumatisme», décrit Jean-Benoît Dumonteix. «Les milieux de pouvoir sont des terrains propices pour l'hypersexualité, car il y est beaucoup plus facile de séduire et de conquérir», rappelle le Dr Catherine Solano. Selon le Pr Florence Thibaut, la célébrité ne saurait être un facteur déterminant. «Les cas des célébrités sont médiatisés, mais nous voyons arriver des gens lambda qui souffrent exactement de la même chose. C'est exactement comme pour la drogue», conclut-elle.

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  • Agnès Leclair

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