Psychologue français, je suis parti faire un doctorat en psychologie au Québec. Fausse surprise, je ne suis pas du tout un cas isolé. Les psychologues français s'exilent en nombre. La crise économique actuelle a en effet aggravé leur situation en France. Ce problème, relativement peu connu, concerne tout autant les chercheurs que les cliniciens. Et comme dans beaucoup d'autres secteurs aujourd'hui, les solutions se font rares.
Plutôt que d'observer le départ de ses professionnels (ou de l'ignorer), la France devrait regarder le modèle québécois. S'en inspirer serait bénéfique pour la psychologie française mais aussi, plus important, pour les patients.
Trop de psychologues?
La France comprend environ 30.000 psychologues (derrière l'Allemagne et l'Italie). Ce grand nombre contribue à situer l'Europe au-dessus de l'Amérique du Nord en nombre de psychologues par habitant (3 pour 100.000 habitants, données OMS). Mais voilà, le nombre grandissait encore plus en 2011 à raison de 3700 nouveaux psychologues par an. Ces jeunes professionnels arrivent donc dans un marché en phase de saturation complète (les mi-temps, tiers-temps et quart de temps deviennent une norme, sans parler des salaires à la baisse).
Précisons le tout de suite, le Québec ne vit pas la même situation économique, il est même en manque de psychologues. Par ailleurs, le niveau de formation y a été augmenté graduellement jusqu'au niveau doctoral, comme aux Etats-Unis (au lieu d'un Master 2 en France). En plus de contingenter le nombre de psychologues, l'accent est mis sur la qualité des candidats au titre. La compétition y est donc rude pour entrer au doctorat.
Un détail intrigue. Le ratio de psychologue par habitant n'est pas si différent en Amérique du Nord (2,8 pour 100.000 habitants). On peut légitimement se demander si les psychologues québécois sont bien plus demandés parce qu'ils sont davantage reconnus dans leur expertise et qu'ils ont su montrer qu'ils étaient compétents.
Comme me le soulignaient des compatriotes psychologues exilés, le Québec laisse de la place aux psychologues, car il privilégie un système de santé où c'est le patient qui est au centre et non le corps médical. L'interdisciplinarité y est aussi bien plus souvent prônée, appliquée et enseignée... Quelles peuvent en être les raisons?
La formation québécoise est meilleure
Loin de moi l'idée de dire que les psychologues français soient incompétents, mais j'expérimente chaque jour le fossé abyssal qui existe entre le niveau d'un psychologue sortant en France et le niveau d'un psychologue sortant au Québec. Comme dans beaucoup de pays en Europe, la formation requise est de 5 ans (soit avoir un master II professionnel), tandis qu'au Québec il faut un doctorat clinique. Je trouve légitime de dire que 3 à 10 ans d'étude en plus des 5 ans de base, c'est une garantie de connaissances en plus.
Mais de façon plus générale, si l'on regarde la façon dont les études universitaires des psychologues y sont conçues, les facultés françaises devraient rougir. On découvre des courants qui n'ont pas été évoqués dans notre formation universitaire, on découvre un vaste univers de nouveautés. La blague universelle des psychologues et étudiants québécois est toujours: "on a le sentiment ici que vous n'avez appris que la psychanalyse à l'université".
Ce n'est pas la faute de Freud, mais du manque d'ouverture théorique, de la séparation entre recherche et clinique, sans parler d'un manque de pratique de l'anglais. À qui en incombe la responsabilité? Il est quasi impossible d'y répondre, trop de personnes sont impliquées: les universitaires, l'administration publique, les étudiants et les psychologues.
Revenez découvrir la semaine prochaine pourquoi une psychologie française mieux structurée protégera davantage les patients. Le modèle québécois nous permettra également de voir pourquoi les stages et la supervision des psychologues français est dangereusement insuffisante.
En attendant, allez voir le site de l'Ordre des Psychologues du Québec
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