Le football, véhicule des stéréotypes raciaux

Les récents propos de l'entraîneur de football des Girondins de Bordeaux sur les qualités supposées du « joueur typique africain » n'ont cessé de susciter de vives réactions, que ce soit de la part de ses pairs, du public, d'une partie de la presse spécialisée ou encore d'associations de lutte contre le racisme.

Willy Sagnol, après avoir souligné l'importance pour les clubs français du réservoir africain, a avancé l'idée que « l'avantage du joueur typique africain, c'est qu'il n'est pas cher quand on le prend, c'est un joueur qui est prêt au combat généralement, qu'on peut qualifier de puissant sur un terrain. » En ajoutant que « le foot, ce n'est pas que ça. Le foot, c'est aussi de la technique, de l'intelligence, de la discipline, il faut de tout. Des Nordiques aussi. C'est bien. »

Ces propos font écho à ceux tenus par Laurent Blanc, à l'époque où il était entraîneur de l'équipe de France. Au cours d'une réunion au siège de la fédération en novembre 2011, lui aussi avait évoqué un lien entre la couleur de peau des joueurs et leurs qualités supposées : « Grands, costauds, puissants. Qu'est ce qu'il y a actuellement comme grands, costauds, puissants ? Les Blacks. »

L'un des vecteurs privilégiés des stéréotypes

Force est ainsi de constater que non seulement le milieu du football professionnel français n'échappe pas aux stéréotypes, mais qu'en plus il en est aujourd'hui l'un des vecteurs privilégiés. Plus d'une dizaine d'années après la coupe du monde 1998 et une équipe de France victorieuse étiquetée « Blacks, Blancs, Beurs », il apparaît que les joueurs, de leur accès au centre de formation jusqu'à leur insertion dans le milieu professionnel, sont susceptibles d'être tributaires de sélections (ou de non sélections) sur la base de leur seule appartenance ethnique.

Dans l'ensemble du milieu sportif, le débat sur l'appartenance ethnique, même s'il n'est pas intelligible, semble toujours aussi important.

Lecture « racialisante » des performances

En sport, cette conception non fondée de certains dons liés à l'origine des athlètes a des effets délétères pour la performance.

Quelques ouvrages clés ont montré l'existence, aux États-Unis comme en Europe, d'une logique de sélection qui consiste à recruter des joueurs sur la base des stéréotypes raciaux. En sport collectif, il a ainsi été mis en évidence que les joueurs « noirs » sont prioritairement affectés aux postes considérés comme les plus physiques et les plus risqués en terme d'intégrité corporelle (les postes à dominante physique dits non-centraux : postes latéraux comme les ailiers). Tandis que les joueurs « blancs » se voient attribuer les postes les plus stratégiques et les plus prestigieux (les postes à dominante mentale dit centraux : postes axiaux comme les milieux de terrain).

De la discrimination jusque dans le placement des joueurs

Comme en attestent ces recherches liées au concept de racial stacking (étude du placement des joueurs selon leur origine), malgré un apparent brassage culturel et ethnique de plus en plus prégnant dans les ligues professionnelles, il subsiste une adéquation entre la particularité des postes, c'est à dire les qualités que les joueurs devraient avoir pour les occuper, et les stéréotypes liés à l'origine ethnique des joueurs.

Autrement dit, alors que les joueurs d'origine africaine contribuent à magnifier le jeu sur le terrain, le concept de racial stacking permet de montrer que leur répartition n'est pas faite de façon rationnelle, leur placement n'échappant pas à une discrimination subtile. En effet, les stéréotypes restent très présents sur le terrain de jeu puisque c'est la dichotomisation « corps-esprit » datant du siècle passé qui sert de sous-bassement à l'explication du succès des footballeurs et à leur placement en fonction de leur couleur de peau.*

Une vision racialisante

Alors que les encadrants devraient être exempts de tout regard stéréotypé afin de baser leur sélection sur des critères objectifs, il semble qu'ils adhèrent à ces croyances scientifiquement non pertinentes. Cette vision racialisante est en effet sans fondements, la « race » étant avant tout une construction sociale.

Pour le cas particulier du football français, en se référant à ce type de dualité entre les « Noirs » et les « Blancs », les entraîneurs risquent de laisser s'installer une forme de « ghettoïsation » dans le jeu, relevant de la discrimination.

Changer le regard sur les sportifs

Il importe donc de « dénaturaliser » les sportifs issus de minorités. En effet, ces stéréotypes négatifs menacent réellement la performance des joueurs stigmatisés. Une étude a montré que des athlètes « noirs » réussissaient moins bien une épreuve sportive quand elle était présentée comme nécessitant une « intelligence athlétique » plutôt que des « aptitudes sportives naturelles ».

Il est donc important d'insister sur l'idée que l'évaluation des performances relève d'autres facteurs que de prétendus dons naturels. Il convient également de développer des outils de mesure des compétences effectivement nécessaires à une pratique du plus haut niveau dans le sport sélectionné.

« L'affaire des quotas » et « l'affaire Willy Sagnol », minorées par certains comme « inutiles » ou relevant d'une problématique strictement « sportive », nous renvoient pourtant à l'idée que la discrimination, liée plus particulièrement à l'appartenance catégorielle « Noirs/Blancs », conserve un poids très lourd dans les sociétés actuelles : nationalisme, communautarisme, discours réducteurs, ségrégation.

Il serait dommage que des propos, peut-être tout à fait innocents, d'« entraîneurs hautement médiatisés », fassent oublier le travail quotidien, notamment dans les quartiers défavorisés, des éducateurs sportifs qui s'appuient sur la pratique sportive comme mode d'intégration.

Rodolphe Perchot, enseignant-chercheur en socio-psychologie et management du sport au Groupe ESC Dijon-Bourgogne et à l'Université de Bourgogne
Sylvain Max, enseignant-chercheur en psychologie sociale au Groupe ESC Dijon-Bourgogne
Marie-Françoise Lacassagne, professeur en psychologie sociale à l'Université de Bourgogne
Philippe Castel, professeur en psychologie sociale à l'Université de Bourgogne

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