Le fœtus ressent-il des émotions ?

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En 2010, un psychologue italien avait constaté chez des jumeaux, dès la 14e semaine de grossesse, que lorsqu’ils se touchaient, le mouvement était plus lent et durait plus longtemps que lorsqu’ils portaient la main à la bouche ou touchaient la paroi utérine... Et d’en conclure que ce mouvement était le signe de l’existence d’interactions volontaires, donc d’une vie sociale qui existerait donc bien avant la naissance. (1)

D’autres scientifiques, comme Janet Hopson, biochimiste et journaliste américaine, vont plus loin, évoquant des capacités d’apprentissage et de mémorisation du fœtus. « Ces activités peuvent être rudimentaires, automatiques, et même biochimiques. Le fœtus fait preuve des mêmes formes d’apprentissage primitif, que l’on appelle habituation, en réponse à la voix de sa mère. » (2,3)

Un autre encore montre que le fœtus préfère quand sa mère parle sa propre langue qu’une langue étrangère. (4) Les chercheurs concluent : « Ces résultats fournissent la preuve que le fœtus est capable d’attention, de mémoire et d’apprentissage des langues et des voix, ce qui indique que le discours du nouveau-né et ses capacités linguistiques trouvent leur origine avant la naissance. »

Enfin, des auteurs comme Daniel Mellier (5) ou Janet Di Pietro (6) estiment que le fœtus est capable de mémoriser certains sons perçus (la langue parlée par la mère ou une musique, par exemple), leur attribuant ainsi une capacité d’apprentissage avant même de venir au monde... Et d’autres estiment que le vécu du fœtus dans le ventre de sa mère serait plus déterminant que l’on ne croit en matière de quotient intellectuel... (7)

Question d’interprétation ?

Le Pr Luc Roegiers, pédopsychiatre périnatal à Saint-Luc à Bruxelles, et membre fondateur du Groupe interdisciplinaire-interuniversitaire ULB-UCL de périnatalité (GIP), considère qu’évoquer une psychologie fœtale va trop loin dans l’état actuel des connaissances de l’évolution et du ressenti du fœtus*. « Le problème, c’est que l’essentiel de ce qui est décrit dans les études qui veulent mettre en avant l’existence d’émotions ou de comportements volontaires chez le fœtus sont le résultat d’observations, et donc d’interprétations qui ne sont pas toujours exemptes de projections. Le témoignage du principal intéressé est bien entendu impossible ! Ainsi, les chercheurs constatent des modifications physiologiques, établissent un lien et interprètent ces modifications. C’est par exemple le cas lorsque l’on tente de mettre en évidence une réaction de stress chez le fœtus. Or, si le stress génère bien des effets endocriniens ou biologiques se traduisant chez les personnes ‘nées’ par des émotions, ceci n’est pas établi chez le fœtus. »

Il est établi qu’au 3e trimestre de grossesse, le fœtus perçoit la voix de sa mère et les sons de son environnement mais avant cela, il ne pourrait pas les interpréter : « On part du postulat que la pensée réflexive n’existe qu’à partir du moment où intervient le cortex ; sans connexion cortico sous-corticale, on n’a qu’une ébauche de pensée. Ces connexions s’établissent vers 23 à 26 semaines chez le fœtus... C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’haptonomie, qui vise à transmettre chez ce dernier des émotions de la mère, ne se fait qu’en fin de 2e-début 3e trimestre. Cette méthode permet aux parents un investissement du bébé, mais cela reste dans le champ d’une expérience personnelle de ces parents ; elle ne peut rien révéler du ressenti du fœtus... »

Au rythme du cœur...

Les réactions du fœtus sont généralement mesurées par son rythme cardiaque. Ainsi, une étude montre que certaines histoires lues près du ventre maternel font diminuer le rythme cardiaque du fœtus. (8,9) L’interprétation se base sur ce que nous vivons, une fois nés : une accélération du rythme cardiaque indique un stress, un ralentissement un bien-être...

Cependant, les mesures de ces variations cardiaques, les échographies durant la grossesse, l’écoute du battement de cœur, etc. ont un impact sur la « grande-personnification » que les parents font du futur bébé : « Depuis l’apparition des techniques qui dévoilent cet être sacré qu’est le bébé avant même qu’il ne naisse, nous assistons à un anthropomorphisme du fœtus. Il s’agit essentiellement du résultat d’une projection de la mère, des parents, voire de la société. C’est ainsi que certains estiment que ce que le fœtus a ressenti aura un impact sur son évolution après la naissance. Ces techniques de visualisation du fœtus, mais aussi la fécondation in vitro ou la médecine fœtale confèrent une âme au fœtus, une autonomie, voire une personnalité : le bébé s’humanise à travers ces techniques », confirme le Pr Roegiers.

Entre ressenti et émotion

Mais d’autres ne sont pas d’accord. Daniel Mellier, directeur du laboratoire Psychologie et neurosciences de la cognition et de l’affectivité à l’Université de Rouen et professeur de psychologie affirme (5) que le fœtus « exprime » des émotions fondamentales, comme la peur ou la joie. Il explique : « Quand une maman raconte au bébé dans son ventre un événement qui l’a marquée, on observe des variations dans l’activité du fœtus : il est donc sensible à l’état émotionnel de la mère. Il ressent les émotions de la mère, mais peut-être pas toutes. Certaines mères dépressives en fin de grossesse placent leur enfant en situation de dépression. On ne peut pas dire que le fœtus soit dépressif, mais certaines hormones maternelles se retrouvent en surproduction dans le liquide amniotique. Peut-on dire pour autant que le fœtus puisse éprouver ses propres émotions ? Il en exprime, du moins : des recherches anglaises ont isolé des expressions de son visage, en fin de grossesse, correspondantes aux émotions fondamentales comme la joie et la peur. »

Mais manifester des émotions et les ressentir sont des choses différentes. C’est toute la question qui se pose à travers ce mouvement de psychologie fœtale qui n’a pas encore trouvé de preuves objectivables... si tant est qu’il soit possible d’en avoir ! « Le psychisme est un processus qui s’enrichit au fil du temps, mais avant la naissance, il est à mon sens encore très élémentaire. Quant à la mémoire, on peut parler de préférence spécifique après avoir été exposé à certains stimuli, comme la voix de la mère. Mais pas de psycho-logie fœtale... Quant à ceux qui vont jusqu’à évoquer une psychiatrie fœtale, ils poussent le raisonnement à l’extrême, séparant le fœtus de sa mère. Or, dans cette vie prénatale, les deux sont indissociables », estime pour sa part le Pr Roegiers.

Entre personnalité et tempérament

Outre la question des émotions, des chercheurs estiment même que le fœtus a déjà sa personnalité in utero. Comme Janet Di Pietro, psychologue du développement à l’École de santé publique Johns Hopkins Bloomberg (USA) pour qui les fœtus les plus actifs in utero ont tendance à être des enfants plus irritables. Elle considère que ceux qui ont un sommeil irrégulier et des réveils fréquents dans le ventre de leur mère dormiront moins aussi après la naissance ; et que ceux qui présentent des fréquences cardiaques élevées deviennent imprévisibles, des bébés inactifs... (6) Mais le vécu de la mère est aussi, selon elle, déterminant : elle considère que les mamans qui ont tendance à être plus stressées ont des fœtus plus actifs qui deviennent des enfants plus irritables. (10)

Mais franchement, n’en fait-on pas un peu trop ? « Spontanément et à leur rythme, les parents s’intéressent au petit locataire intra-utérin, et c’est très bien ainsi. Cet intérêt a son importance lorsque les parents prennent des mesures de protection, essentiellement sur le plan médical (éviter les toxiques en particulier, comme ne pas boire d’alcool ni fumer). Mais pour ce qui est de la santé psychique de l’enfant, il n’existe aucun argument pour penser que les émotions positives ou négatives des parents déterminent en anténatal les éprouvés de l’enfant. Sauf bien entendu si, lorsqu’après la naissance, ces expressions émotionnelles sont réactivées, à un stade où non seulement l’enfant est plus compétent pour les recevoir et surtout où les façons de les exprimer seront bien plus riches qu’à travers le placenta et la paroi abdominale. »

*. Roegiers L., Molénat F., Stress et grossesse ; ERES, 2011.

Par Carine Maillard

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