Le colosse et la psy

Dans le bureau de Meriem Salmi, le dossier au nom de Teddy Riner est l’un des plus épais. Cela fait huit ans que la psychologue de l’Insep suit le quintuple champion du monde de judo. La première fois, à 14 ans, il est entré à reculons. "Je ne suis pas fou", a-t-il commencé par lui dire.Mais rapidement, les barrières sont tombées. Aujourd’hui, Meriem Salmi est devenue l’un des piliers de sa réussite. Dimanche après-midi, comme chaque année, elle sera dans les tribunes de Bercy pour soutenir discrètement son prestigieux patient au Tournoi de Paris.

"L’argent, la presse, la pression, c’est ma nouvelle vie que nous avons appris à gérer", confie Teddy Riner. Le rendez- vous hebdomadaire et formel du début a laissé la place à des échanges plus libres, parfois autour d’un déjeuner. "Je ne suis pas allongé sur un divan, s’amuse Riner. Peu importe la forme, c’est un travail libérateur que mes entraîneurs ont vite approuvé."

"À l’école, les enfants étaient méchants avec moi"

Un exemple récent : le regard. Il n’y a pas si longtemps, Riner ne pouvait pas fixer les yeux de son adversaire, assimilant cela à un manque de respect. "Lorsqu’un athlète a le regard qui fuit dans tous les sens, c’est qu’il n’est pas à l’aise, explique Meriem Salmi, ellemême ancienne gymnaste et basketteuse. Mon travail consiste à remettre de la cohérence dans son esprit.Mettre des mots permet de mettre à distance la difficulté."

C’est Paulette Fouillet, chargée de mission auprès du DTN de la Fédération française de judo, qui a soufflé la démarche à l’oreille du jeune Riner. "À travers cette relation, Teddy a trouvé un équilibre et un repère, confie-t-elle. La quête d’un titre olympique passe aussi par des compétences extra-sportives. Les champions ne sont pas des machines. Il faut du temps et de l’écoute pour extraire la pépite." Avec le roi des tatamis comme avec ses autres patients, Meriem Salmi a recours aux méthodes classiques de la psychologie, notamment cognitivo- comportementales. D’autres fois, sa démarche est plus terre à terre : "Il est important de se tenir informé de ce qui s’écrit ou se dit sur les sportifs. C’est un des paramètres de l’accompagnement psychologique."

"Un monde de brutes"

Riner a d’autant mieux compris l’intérêt qu’avant d’entrer à l’Insep il avait déjà consulté une psychologue, à la demande de sa mère. "C’est une mère poule, elle s’inquiétait que je grandisse bien dans mon corps, se souvient le colosse de 2,04m. À l’école, les enfants étaient méchants avec moi. Ils disaient : 'Toi, tu es trop grand, tu ne joues pas avec nous!'” À l’époque, son père était dubitatif. "Teddy n’est ni fou ni malade, mais on m’a expliqué qu’il entrait dans un monde de brutes où seuls les champions restent et les médailles comptent. Il fallait une personne pour lui expliquer ça", convient aujourd’hui Moïse Riner.

Depuis le tout premier rendez-vous, Meriem Salmi n’a plus rencontré les parents de Teddy. Si la psychologie du sport n’a pas toujours été bien vue car vécue comme "une attaque contre l’image de toute-puissance du sportif", elle est tout de même mieux acceptée. Aux Jeux de Pékin, elle a été la première psychologueadmise dans une délégation olympique française. Cet été, à Londres, Riner aimerait évidemment l’avoir à ses côtés.

Leave a Reply