Le bruit : quelques éléments psychologiques

Le bruit nous entoure, nous rassure parfois, nous énerve, voire nous agresse. Comment le perçoit-on, et comment y réagit-on ? C’est ce que Justine vous explique !

Il y a quelques mois, j’ai eu la chance folle de vivre dans un appartement extrêmement mal insonorisé ET au-dessus d’une jeune femme extrêmement bruyante : une nuit sur deux, j’étais aux premières loges d’un Emmanuelle version hardcore et chaque dimanche, je pouvais entendre Fun Radio bien à fond accompagner son ménage. En bref, le niveau sonore de ma voisine était toujours au taquet et il a bien failli me rendre chèvre (une chèvre qui collait Le Petit bonhomme en mousse bien fort pour troller des ébats sexuels).

Si vous avez déjà eu la désagréable sensation de perdre la tête et d’approcher la crise de nerfs à cause d’un bruit, cet article est pour vous – le sujet de la semaine, c’est donc le bruit !

Le bruit existe partout. Il existe en plein air, par le bruit des machines, de la circulation, de chantiers, des piétons, du temps, du vent ; il existe à l’intérieur de l’habitat, où il émane de voisins indélicats, de sonneries de téléphone, de radios, d’appareils de cuisine, d’aspirateurs…

Qu’est-ce que le bruit ? Comment le perçoit-on ?

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Dans son ouvrage Psychologie sociale de l’environnement, Gustave Nicolas Fischer explique que le bruit pourrait être défini comme « une sensation auditive désagréable », un message parasite indésirable, provoquant différentes formes de gênes – jusqu’ici, rien d’inattendu.

Mais il y a un bruit « objectif », que l’on mesure, que l’on quantifie, et un bruit « subjectif », celui que nous entendons, que nous percevons… Nos perceptions ne sont jamais vraiment objectives – elles sont filtrées par nos croyances, nos ressentis. Nous sélectionnons les informations et ne percevons que ce qui nous intéresse. Par exemple, puisque le bruit produit par mon ex-voisine m’était insupportable, je me suis mise à entendre et de plus supporter chacun des bruits qui pouvait émaner de chez elle – même ceux qui ne m’auraient pas gênée d’ordinaire. De la même manière, si un quartier a la réputation d’être bruyant, il y a fort à parier que vous remarquiez le bruit en y passant, alors que vous n’y auriez pas forcément prêté attention si vous n’aviez pas été informé-e de la réputation.

La perception implique une appréciation, une évaluation positive ou négative : nous aimons certains bruits et d’autres nous dérangent. Certain-e-s seront gêné-e-s par le bruit de la circulation sous leurs fenêtres, d’autres ne l’entendront pas. Pour certain-e-s, le tic-tac d’une horloge est un truc à se taper la tête contre les murs, mais pour d’autres, ce rythme régulier est rassurant.

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L’effet d’un single de Patrick Sébastien : vue d’artiste.

Par ailleurs, la perception de notre environnement et de son bruit serait issue d’un apprentissage social, des normes et valeurs que nous avons intégrées. Vous me voyez venir : la perception du bruit, ce serait aussi culturel. Le bruit des automobiles ne signifierait par exemple pas la même chose pour l’habitant d’une métropole que pour celui d’un village. Le bruit des voisins n’aura pas le même impact sur quelqu’un vivant dans un endroit à forte densité d’habitants par m2 que pour une personne habitant sur un territoire à faible densité d’habitants. Les bruits liés à la vie nocturne seraient plus tolérés dans certains pays méditerranéens.

Les réactions aux bruits seraient également liées à d’autres facteurs : l’activité que vous êtes en train de faire (si vous révisez vos partiels et que votre voisin s’exerce à la zumba, votre gêne pourra être élevée, par exemple), les émotions liées au bruit (la gêne provoquée par le bruit d’avion peut être liée à la crainte d’une chute de l’avion), la fréquence et la reproduction du bruit (les riverains des aéroports habitant à cet endroit depuis longtemps sont ainsi plus gênés par le bruit que les nouveaux arrivants), les relations que l’on entretient avec la personne responsable du bruit (j’adore mon cher et tendre et lorsqu’il hurle « HUNTER » en jouant à Left 4 dead, je n’ai pas envie de le bâillonner – enfin, pas trop, mais si ce rugissement de gamer venait d’ailleurs, je le vivrais peut-être moins sereinement). Si le bruit provient d’un individu que vous appréciez, tolérez ou refusez, il ne sera pas vécu de la même façon.

Selon Fischer, le bruit provoqué par autrui pourrait être particulièrement gênant parce que nous aurions l’impression que l’émetteur du bruit « occupe » l’espace, qu’il exerce une maîtrise sur le territoire… et qu’en plus, nous n’avons pas de contrôle sur ce bruit-là, sur cette occupation du territoire partagé (Cohen et al., 1984). Une expérience menée par Bitter (1970) a par exemple montré que pour les habitants de logements mitoyens, les bruits gênants étaient ceux qui constituaient une intrusion dans la vie privée des habitants – en d’autres termes, une occupation de l’espace intime.

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Cet enfant fait bien le malin alors qu’il y a un an c’est probablement lui qui réveillait toute la maisonnée en chouinant.

Somme toute, l’ambiance sonore est plus ou moins appréciée, tolérée ou dépréciée selon les contextes, les histoires et les façons dont nous vivons dans tel ou tel environnement.

En 1963, Wilson a ainsi interrogé des piétons dans une rue de Londres, au même endroit, à la même heure : certains ne la jugeaient « pas du tout bruyante », d’autres « extrêmement bruyante », d’autres encore « modérément bruyante »…

Les effets du bruit

Le bruit peut avoir des effets physiologiques dangereux et lorsque nous sommes exposé-e-s à un bruit intense pendant un certain laps de temps, nous pouvons expérimenter des pertes auditives passagères. Au-delà de ces effets physiologiques, le bruit peut également avoir des impacts psychologiques et perturber nos comportements et activités. Ainsi…

  • Le bruit affecterait la qualité de nos performances professionnelles

C’est en tout cas la conclusion d’une étude d’une équipe de recherche, qui a entrepris de comparer deux groupes de travailleurs. Dans l’un, les travailleurs évoluaient avec un bruit ambiant de 93 décibels et sans casque de protection auditive, dans l’autre, les travailleurs portaient un casque (ce qui abaissait le son à 85 décibels). Verdict : le rendement des sujets porteurs de casques serait 12% supérieur à celui des autres.
De la même manière, lorsque l’on baisse de 25% le niveau sonore ambiant dans un bureau, les erreurs de frappe diminuent de 30% (Guélaud et al., 1975) !

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  • Nous serions drôlement moins enclin-e-s à aider autrui si nous sommes exposé-e-s au bruit

Des études, menées notamment par Korte (et al., 1975) et Boles et Hayward (1978), ont par exemple montré que le nombre de personnes acceptant d’être interviewé dans la rue diminuait lorsque le bruit ambiant augmentait – ce qui pourrait être lié au fait que dans un environnement bruyant, nous n’entendrions pas les requêtes d’autrui ou ne souhaiterions pas engager une conversation dans une ambiance inconfortable.

De façon similaire, Page (1977) a conduit une étude auprès de piétons marchant à proximité d’un site de construction d’un centre-ville. Ces piétons ont été interrogés soit lorsque le site était en activité (auquel cas le bruit ambiant se situe à 92 décibels), soit lorsque le chantier est fermé (le bruit ambiant est alors à 72 décibels). Un complice des chercheurs fait tomber un petit paquet sur le chemin d’un-e piéton-ne et continue de marcher en faisant semblant de ne pas s’en apercevoir. Pouf : lorsque le chantier est en activité, les piéton-ne-s montreraient moins d’entraide (moins d’interpellation du complice pour attirer son attention sur le paquet et moins de ramassage effectif du paquet). À la suite de cette première étude, Page a entrepris une seconde expérience, dans les mêmes conditions. Cette fois, le complice des chercheurs sortait d’une cabine téléphonique et demandait à un-e piéton-ne d’échanger une pièce contre de la monnaie – ici encore, les gens sont plus nombreux à répondre lorsque le bruit est moindre…

Selon les chercheurs, face à un environnement hostile, nous pourrions recentrer notre attention sur nous-mêmes et sur nos propres besoins… et ne percevrions plus les indices montrant qu’autrui aurait besoin d’un coup de main.

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Le bruit affecterait donc nos relations à autrui, mais les perturbations ne s’arrêteraient pas là : le bruit aurait également un impact négatif sur le développement de certaines aptitudes cognitives, sur nos capacités attentionnelles (et notamment celle des enfants – selon Cohen et al., 1973 et Moch, 1985), sur notre agressivité, sur notre compréhension…

Malgré tout, en ville, chez soi, au bureau, le bruit fait partie de notre environnement, de notre espace, de nos pratiques du quotidien. Il peut être une pollution sonore, un facteur de dégradation de l’espace… mais il peut aussi avoir des qualités et caractériser un espace – par exemple, la ville peut produire des ambiances sonores positives pour notre imaginaire : le bruit d’un marché, d’un parc, le son d’un tramway, celui d’un littoral … Le bruit peut également constituer une « identité sonore », définie par Pascal Amphoux (dans l’ouvrage de Moser et Weiss, 2003) comme « l’ensemble des caractéristiques sonores communes à un lieu, un quartier ou une ville. Concrètement, c’est l’ensemble des sons qui font que la ville donne le sentiment de rester identique à elle-même – réellement ou imaginairement ». Et si finalement, le bruit, c’est aussi ce qui faisait en partie que « chez nous », c’est « chez nous » ?

Pour aller plus loin :

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