Le bonheur à portée de main

Etre heureux, finalement, n’est-ce pas une question de choix et d’attitude? Entre philosophie, bouddhisme et psychologie, les réponses et recettes de trois spécialistes.

Le point de vue du maître zen

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Jiko Simone Wolf, nonne bouddhiste et fondatrice du temple zen de La Chaux-de-Fonds.

Selon vous, le bonheur est-il un état d’esprit?

Je dirais plutôt que c’est un droit fondamental. Mais encore faut-il comprendre comment y accéder. On y arrive en vivant pleinement chaque instant, en retrouvant sa vraie nature, sans se laisser abuser par les événements extérieurs, les pensées, les sensations: c’est ce que nous enseigne la tradition zen. On apprend à renoncer à la colère, à la jalousie, à la haine, à tout ce qui encombre notre esprit, et aussi à apprivoiser sa profonde solitude. Face à la maladie, à la mort, nous sommes seuls, et même au milieu d’une foule, même au sein de sa famille, nous éprouvons cette solitude. C’est souvent ce qui nous amène à souffrir, à ruminer nos sentiments. Pourtant, les fleurs sourient, les étoiles brillent dans le ciel, nous faisant ressentir instantanément que nous ne sommes jamais seuls, que nous vivons en interdépendance avec toutes les existences.

Une recette pour être heureux?

Il n’y a pas de recette. Mais on peut décider de pratiquer la voie du Bouddha. Il s’agit simplement de s’asseoir et de s’accepter tel que l’on est, en tant qu’être humain, et de laisser s’exprimer sa vraie nature. La méditation zen, c’est immédiatement activer, continuer l’éveil. Ce n’est pas une technique de bien-être, ni un médicament. Dans notre société, nous avons tendance à vouloir tout faire tout seul. Or, cette voie nécessite l’accompagnement d’une personne ayant une longue pratique de la méditation, un maître, un ami de bien qui vous accepte tel quel, en vous encourageant simplement à laisser passer toute activité mentale ou émotionnelle, à ne rien entretenir.

Et en cas de vrai coup dur?

Le zen, c’est accueillir ce que l’on n’a pas choisi, c’est reconnaître que l’on n’a pas de pouvoir sur les phénomènes que la vie va nous présenter. Quand elle nous apporte de la souffrance ou de la douceur, il faut l’accepter pleinement en sachant que cela passera, que c’est provisoire, que tout est impermanent.

Le point de vue du psychologue

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Yves-Alexandre Thalmann,
auteur de nombreux ouvrages sur le bonheur et la psychologie positive.

Selon vous, le bonheur est-il un état d’esprit?

Oui. Le bonheur, tout autant que le malheur, n’existent pas en tant qu’entités. Ce sont des émanations subjectives de notre cerveau qui accompagnent les événements de notre vie. Des recherches en psychologie positive ont montré que les circonstances extérieures ne pèsent pas à plus de 10% sur notre perception du bonheur. L’influence de notre regard est donc loin d’être négligeable.

Une recette pour être heureux?

L’ennemi numéro 1 du bonheur, c’est l’adaptation hédonique: notre cerveau est programmé pour s’adapter à ce que l’on vit. Par exemple, lorsque nous devons travailler dans un environnement très bruyant, nous nous habituons aux nuisances sonores, jusqu’à ne plus les entendre. Malheureusement, ce mécanisme est aussi valable pour ce qui nous fait plaisir. Conduire notre nouvelle voiture va nous être très agréable les premières semaines, puis nous allons nous y habituer. Bien souvent, nous ne prenons plus acte de tout ce qui peut dynamiser notre bien-être. Or, nous pouvons activer cet état d’esprit par un sentiment de gratitude, par la prise de conscience des privilèges qui sont les nôtres. Au lieu de râler contre un embouteillage, nous pouvons nous estimer satisfait d’avoir un véhicule. Il ne s’agit donc pas de nier les problèmes, mais d’interpréter de manière positive ce qui nous arrive. Le bonheur, ce n’est pas forcément gagner à l’Euromillions, c’est plutôt de petits instants que nous grappillons. Nous sommes des intermittents du bonheur.

Et en cas de vrai coup dur?

Là encore, c’est une question d’interprétation. Un exemple: un hold-up a lieu dans la banque où vous êtes en train d’effectuer vos paiements. L’affaire tourne mal, vous vous prenez une balle perdue dans le bras. Deux solutions s’offrent alors à vous: vous pouvez vous dire, quelle poisse que cela tombe sur moi, ou au contraire vous réjouir de ne pas avoir été touché au cœur.

Le point de vue du philosophe

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Jacques de Coulon, auteur des Méditations du bonheur, Ed. Payot. Disponible sur www.exlibris.ch.

Selon vous, le bonheur est-il un état d’esprit?

Absolument! Toute la tradition philosophique abonde dans ce sens. Je pense notamment à Epictète, qui disait: «Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur les choses.» Tout dépend donc de notre perception des événements extérieurs. Par mauvais temps, on peut soit se plaindre, entrer dans une spirale de récriminations, soit en tirer parti, y voir par exemple une occasion de lire tranquillement à la maison.

Une recette pour être heureux?

Il n’y a pas de recette à proprement parler. En grec, heureux se dit «eudaimôn», ce qui signifie littéralement, être en accord avec son propre «démon», avec son moi intérieur. Or, nous sommes tous différents, il s’agit donc avant tout de se trouver. L’essentiel est aussi de savoir gérer le flux de ce qui nous arrive. Lorsque nous expérimentons quelque chose de positif, nous devons apprendre à vivre pleinement l’instant présent. Par exemple lors d’une marche en forêt, il ne s’agit pas d’être perdu dans nos pensées mais de profiter de la beauté de ce qui nous entoure. En revanche, quand nous traversons un moment difficile, il faut être en mesure de sortir du flux, de chercher au plus profond de soi des images, des pensées positives. Les deux situations impliquent un certain lâcher-prise et la méditation, la capacité de revenir à l’observation objective de ce qui se passe en nous, peut nous y aider.

Et en cas de vrai coup dur?

Dans ces cas-là, certes, nous ne pouvons pas nous dire que ce qui nous arrive est positif. Par contre, il est important de réaliser que tout passe, même les moments de malheur. Le danger est de s’y agripper, on risque ainsi de les allonger. J’aime m’inspirer du poème d’Apollinaire, Le Pont Mirabeau: «… la joie venait toujours après la peine». La roue tourne, nous connaîtrons tous des hauts et des bas.

Texte © Migros Magazine – Tania Araman

 

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