Une des modes en ce moment en science est ce qu'on appelle la psychologie évolutionniste, une approche théorique visant à expliquer la psychologie à travers la théorie de l'évolution. En gros, nous pensons comme cela, parce que cela augmentait les chances de reproduction de nos ancêtres dans la Savane, et donc l'évolution par sélection naturelle a inscrit ces traits dans notre ADN.
Un nouveau livre, "Political Animals : How Our Brain Gets in the Way of Smart Politics", essaye d'appliquer le paradigme de la psychologie évolutionniste à notre vie politique, signalé par Carlos Lozada du Washington Post.
L'auteur, Rick Shenkman, n'est pas un scientifique, mais le rédacteur-en-chef d'History News Network, un site d'information historique.
Sa thèse ? "Il y a un décalage entre le cerveau dont nous avons hérité de l'Âge de Pierre, quand l'humanité vivait dans des petites communautés, et le cerveau dont nous avons besoin pour gérer les défis d'une société démocratique de millions de personnes."
Notamment, dans la période de la tribu, les gens vivaient en intimité avec les autres, et donc arrivaient mieux à se juger les uns les autres, et à se comprendre. "Nos dons naturels pour comprendre les autres sont neutralisés lorsque nous avons affaire à des politiciens", parce que nous n'avons affaire à eux que dans des cadres parfaitement artificels, comme des interventions télévisées.
Shenkman parle également du rôle évolutionnaire de la colère--"dans une crise qui requiert une réaction rapide, elle nous donnait le focus dont nous avions besoin"--mais dans la politique moderne, celle-ci "sape la démocratie", car "les gens qui sont en colère ne font pas de compromis."
De même, nos cerveaux de chimpanzés posent le problème de la peur de l'autre. "Dans le Pléistocène, c'était utile de savoir si quelqu'un avait des origines différentes. Il était presque certain que certain d'une autre origine posait un danger."
Bien que le livre de Shenkman soit rempli de références à des études scientifiques, il n'échappe pas au problème de la psychologie évolutionniste, qui est son caractère théorique. Depuis les expériences de Galilée et la Révolution scientifique, le principe moteur de la science est l'expérimentation contrôlée, qui permet d'isoler toutes les causes potentielles d'un effet sauf une pour le tester expérimentalement et ainsi en tirer des règles prédictives. Comme l'a signalé le philosophe Karl Popper, le critère d'une thèse scientifique est celui de la "falsification" : est-ce qu'une thèse peut être falsifiable expérimentalement ? Est-ce qu'on peut créer une expérience contrôlable pour tester si cette thèse est effectivement vraie ou fausse ? Si non, la thèse n'est pas, à proprement parler, scientifique.
Le problème est qu'il n'y a aucune manière de tester scientifiquement une hypothèse liée à une psychologie qui aurait évolué sur des dizaines de milliers d'années. De plus, comme le signale le linguiste et intellectuel Noam Chomsky, la psychologie évolutionniste permet de tout expliquer. Par exemple, signale-t-il, une des prétendues découvertes de la psychologie évolutionniste est l'idée que nous sommes des coopérateurs naturels, supposément parce que la coopération aurait permis à nos ancêtres de mieux se reproduire. Mais on pourrait tout aussi plausiblement dire que nous sommes naturellement égoïstes et autocentrés, parce que ces traits de caractère ont permis à nos ancêtres de se reproduire. Une science qui permet de dire une chose et son contraire de manière également plausible n'est pas très scientifique...
Non pas que tous les travaux de psychologie évolutionniste soient sans valeur, mais il faut néanmoins être clair sur le fait qu'ils ne sont pas "scientifiques" au même titre que, par exemple, la physique est scientifique.
En tous les cas, il est néanmoins sûr qu'observer la vie politique nous rappelle parfois que nous sommes tous des singes...