La souffrance du rejet

Je me réjouis de ce pas dans la bonne direction. Ça fait plus de 15 ans qu'avec des collègues psychologues scolaires, je travaille à faire reconnaître ce problème. En 2001, en collaboration avec l'Ordre des psychologues du Québec, j'avais participé au lancement d'une campagne de sensibilisation destinée à toutes les écoles du Québec. Mais il manquait l'encadrement que le projet de loi permettra de faire: forcer à agir et à rendre des comptes.

Il est temps de passer de la simple description et diabolisation de l'intimidation à un modèle qui pourra offrir des explications à ce phénomène qui vont intégrer les connaissances récentes à propos de la psychologie des groupes et des besoins des jeunes en apprentissage de socialisation. Ce que je vois dans les médias est malheureusement trop souvent du premier modèle. On sait maintenant que plusieurs initiatives nourries de bonnes intentions ne donnent souvent pas grand-chose autre qu'une bonne conscience.

Il y a des programmes ancrés et validés dans les recherches. Il faut s'en inspirer. Une des conclusions à ne jamais oublier: les premiers intervenants pour contrer l'intimidation doivent être les enseignants et non pas des intervenants tombés du ciel, qui viennent faire un show de boucane dans les écoles.

Il importe aussi de ne pas toujours associer les mots intimidation et violence, comme si cela allait de soi. Les communiqués de presse du gouvernement font cette association. Plusieurs comportements qui sont vécus comme très intimidants ne sont pas violents. Ou alors le terme violence est d'une élasticité incroyable et perd tout son sens.

Le fait d'ignorer quelqu'un qu'on n'aime pas n'est pas toujours violent. Si tout un groupe le fait, cela n'en fait pas un geste violent même si cela peut néanmoins créer une très grande souffrance chez la personne exclue. Nous ignorons certaines personnes que nous n'aimons pas et cela ne fait pas de nous des personnes violentes.

Or, le rejet social est une des manifestations les plus répandues de l'intimidation dans les écoles. Parfois, c'est fait avec désir de blesser, parfois pour seulement fuir une personne détestée. L'intimidation n'est pas toujours violente, mais elle fait souvent mal. C'est de ce côté qu'il faut regarder le problème: la souffrance.

Il ne faudrait pas non plus concevoir l'intimidation comme un cancer à éradiquer qui ferait que, par la suite, les enfants vivraient enfin heureux dans le meilleur des mondes scolaires. L'intimidation n'est pas l'équivalent des armes à feu, même si par ses effets elle peut faire aussi mal. Il serait plus utile de la concevoir comme un phénomène universel qui répond à des fonctions, c'est-à-dire qui sert à tester sa place dans un groupe, à répondre à des pressions sociales, à forcer des comportements de soumission.

Il serait utopique d'attendre que les jeunes deviennent des adeptes du peace and love. L'enfance et l'adolescence vont continuer à être un théâtre difficile où des apprentissages sociaux devront être faits, souvent péniblement. Il est peut-être plus utile de voir le rôle des adultes comme étant celui des dépisteurs de ceux qui jouent mal le jeu social, qui souffrent sans savoir comment changer, comment être intégrés.

Également, il faut montrer aux jeunes qui en souffrent quels comportements ou attitudes induisant potentiellement le rejet peuvent être modifiés. Parfois, il peut être plus utile de chercher les victimes plutôt que les agresseurs.

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