La récidive n’est pas la priorité des psychiatres

La moitié des médecins chargés du suivi des délinquants sexuels ne connaissent pas les médicaments dits «freinateurs de la libido»: c'est ce que démontre une étude sur la prise en charge des agresseurs sexuels, qui vient de paraître dans l'un des journaux de psychiatrie de référence en France, les Annales médico-psychologiques. «Pourtant, souligne l'un des auteurs, Alexandre Baratta, psychiatre au centre hospitalier de Sarreguemines (Moselle), et expert près la cour d'appel de Metz, ces molécules ne sont pas très nombreuses, il n'en existe que deux …» Ces travaux mettent en réalité en lumière toute la réticence de principe des psychiatres sur la castration chimique, bien que ces traitements aient désormais été recommandés par la Haute Autorité de santé.

«Injonction de soin»

L'enquête, réalisée dans différents services hospitaliers répartis dans toute la France, souligne que les psychiatres chargés du suivi des délinquants sexuels, même dans un cadre judiciaire, se situent principalement du point de vue de leur patient - un patient particulier car il a été contraint par le juge à se soigner. La réduction du risque de récidive est l'objectif de soins fixé par un psychiatre sur trois seulement. Un quart des médecins n'attribuent même aucun objectif au traitement en cours. «Dans de trop nombreux cas , explique Alexandre Baratta, le médecin se contente de recevoir le délinquant sexuel qui lui-même vient pour que lui soit délivrée une attestation de suivi qu'il devra remettre à la justice.» Les délinquants sexuels font en effet souvent l'objet d'une «injonction de soin» de la part du juge, par exemple à la sortie de prison. Dans ce cas, pour préserver le secret médical, un médecin «coordonnateur» est désigné, chargé de veiller pour le compte de la justice à ce que le traitement ait lieu. Mais le médecin traitant reste le seul maître. Or, selon ces travaux, les psychothérapies classiques, seules, ne sont pas efficaces contre la récidive.

Comment les médecins, en particulier les psychiatres, évaluent-ils le risque de récidive des auteurs de violences sexuelles? Régulièrement pointés du doigt après chaque fait divers drama­tique comme celui du Chambon-sur-Lignon, les praticiens auraient des connaissances cliniques, criminolo­giques et juridiques insuffisantes en la matière et il conviendrait de mieux les former.

Ces lacunes sont qualifiées d'«importantes» par les auteurs de l'étude. Une majorité des psychiatres interrogés ne savent pas dans quel cadre situer le soin (obligation, injonction ou incitation en milieu pénitentiaire) et n'ont pas non plus de connaissances relatives à l'arsenal juridique et à ses modalités. Selon les conclusions des experts, «l'instrumentalisation des soins psychiatriques à des fins politico-judiciaires est un point de vue répandu parmi les praticiens», ce qui traduit les inquiétudes d'une partie des psychiatres vis-à-vis des pouvoirs publics.

Le Pr Michel Lejoyeux, psychiatre à l'hôpital Bichat (Paris) et enseignant à Paris-VII, estime que cette étude traduit «la grande incompréhension entre le soin et le maintien de la sécurité publique. Or le soin est basé sur le malade, dans une relation avec son médecin et encadrée par le secret professionnel. Et les soignants ne sont pas équipés pour sortir de leur rôle». Pour ce spécialiste, le soin et la sécurité ne sont pas contradictoires mais constituent deux choses différentes. «Un médecin ne prédit pas les comportements, ou alors c'est un charlatan. Vous ne demandez pas à un cardiologue de dire si tel patient va faire un arrêt cardiaque mais de déterminer si votre cœur est en bon état. Et on peut être déclaré “malade” à un moment de sa vie et ne pas le rester éternellement.»

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