La psychologie de la photocopieuse

Machine incarnant les Temps modernes en miniature, la photocopieuse est un objet à la personnalité complexe, alternant sans prévenir des périodes de grande productivité et d’apathie.


Machine incarnant les Temps modernes en miniature, seul outil de fabrication présent dans les bureaux, petite usine habillée d’un plastique souvent beige, usuellement recluse dans une salle exiguë qu’elle baptise et où elle peut côtoyer des fournitures ou des archives, la photocopieuse est un objet à la personnalité complexe, alternant sans prévenir des périodes de grande productivité et d’apathie.

Elle peut vaillamment vrombir et photocopier sans relâche tous les textes qu’on lui fournit, sous des formats variés, entrainer dans un demi-Lutz des feuilles pour faire du recto verso, puis, sans crier gare, et souvent au mauvais moment, alors que l’on a son manteau sur le dos, déjà en retard pour un rendez-vous important, il arrive qu’elle se bloque, pour des raisons liées à sa psychologie obscure.

Sans suivre un manuel abscons, on se trouve à soulever désespérément des panneaux nommés A, B, C, etc., ce qui dénote la créativité et le sens de l’ergonomie des concepteurs, jusqu’à découvrir qu’il manque du papier A4. À ne pas confondre avec le papier A3, grand frère plus désœuvré ou B4, cousin lointain. C’est un moindre mal.

Mais les choses peuvent s’avérer plus complexes, jusqu’à ce fameux bourrage, qui peut avoir lieu n’importe où dans le circuit mystérieux du processus. Alors on fouille dans les entrailles de l’appareil rétif, levant les différents panneaux des dizaines de fois, jusqu’à la découverte d’une feuille martyrisée, souvent déchiquetée, encore coincée dans les rouleaux de la machine qu’en dépit de son échec patent elle renâcle à relâcher avec la mauvaise grâce d’un chien auquel on retire son os. Il faut donc tirer sur la feuille doucement, mais fermement, en ajustant sa force à l’inertie des rouleaux. Le processus est délicat, et victorieux ou non, on s’en tire souvent avec sur les doigts une encre professionnelle et très résistante, signature de la photocopieuse en danger, mimétisme comportemental avec celui de la seiche.

On referme ensuite les panneaux, dans l’attente nerveuse d’une succession de bruits d’enclenchements qui indique que les organes sont bien en place, chaîne sonore qui signale que la mécanique apaisée reprend son protocole interne, ce qui ne fonctionne pas du premier coup. Bizarrement, il faut souvent fermer et refermer les mêmes panneaux pour que la machine consente à se remettre au travail, comme s’il fallait joindre au bon geste un peu d’autorité.

Avec le temps, on développe une complicité avec la machine, et l’on vient en aide avec une certaine fierté aux collègues prêts à lui donner des coups de pieds ou perdus dans les cinquante pages du manuel, soulevant avec la dextérité d’un chirurgien les différents panneaux jusqu’à l’obtention du ronronnement de l’animal domestiqué.

Mais la technologie n’aime pas être aussi docile, avec le temps sont apparus de nouveaux processus et interfaces. On nous fournit désormais des modèles au métabolisme plus élaboré. À l’instar de la machine à café, la photocopieuse a maintenant besoin avant de travailler d’une mystérieuse phase de préchauffage, série d’exercices internes à la machine qu’elle doit scrupuleusement répéter avant de fonctionner. 

Les modèles précédents étaient donc des bêtes au sang chaud, qui démarraient bêtement quand on appuyait sur "On", avec probablement le risque de claquage du sportif inexpérimenté. Les nouveaux modèles réclament plus de soin. Ils ont en plus tendance à somnoler, dans des périodes de sieste technologique dites de veille, où ils ne sont ni totalement éteints, ni totalement opérationnels. Ils dorment. Ces nouvelles pauses, préchauffage, mise en veille, interviennent généralement quand vous avez une photocopie urgente à faire, et il est impossible d’accélérer un rite que la machine suit avec la rigueur d’un judoka répétant ses katas.

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