La névrose du triple A, nouvelle maladie mentale de l’économie

Les économistes vous ont donné leur avis. Les politiques aussi bien sûr. Je trouve que les aspects psychologiques sont moins évoqués. Alors j’essaie de m’y mettre. Je vois dans les réactions qui suivent le triple A perdu beaucoup de névroses, d’angoisses et d’autres émotions.

 

Les agences de notation, bien malgré elles évidemment, nous rappellent qu’une situation – économique ou autre – ne s’évalue qu’en fonction du regard que l’on porte sur elle. Nous ne sommes pas tourmentés par les situations elles-mêmes, mais par l’idée que nous nous en faisons et par l’image que les autres nous en renvoient.

 

La France a perdu sa note de triple A le 13 janvier 2012, le risque de solvabilité financière de l'État ayant été jugé trop important par les agences de notation (F.DURAND/SIPA/)

La France a perdu sa note de triple A le 13 janvier 2012 (F.DURAND/SIPA/)

 

Objectivement, notre économie n’a pas changé depuis la semaine dernière. Pourtant, en la regardant différemment, nous la transformons. Nous n’avons pas perdu un euro ou un sou entre samedi et aujourd’hui, nous devons seulement affronter – et c’est beaucoup – un changement de point de vue ou d’évaluation. Dans ce domaine aussi apparemment objectif que la finance, un point de vue négatif, une note, une appréciation pessimiste, tout cela modifie des paramètres qui semblaient échapper à toute psychologie.

 

En pratique, en tant que psychothérapeute, je vois chaque jour les effets du pessimisme et d’une mauvaise notation, d’une perte de triple A personnel si j’ose dire. Je propose à celles et ceux que je rencontre des démarches actives pour qu’ils ne dégradent pas eux-mêmes leur note intime. Ils font l’expérience des bienfaits de la croyance en eux-mêmes, de l’estime de soi, de la redécouverte des réussites et des moments agréables[1]. Tout est bon pour alléger le poids de notre agence de notation intime que d’autres appellent le surmoi, le perfectionnisme ou le besoin de maîtrise.

 

Face aux mauvaises notes des agences économiques, ce sont les politiques qui jouent le rôle de psychothérapeute collectif. Ceux qui tiennent le pouvoir tentent d’apaiser en minimisant la réalité, en la niant presque. Face à eux, l’opposition actuelle suggère une autre thérapie collective. Un changement de régime et de politique produira un changement de regard sur l’économie et nous fera voir à nouveau les forces vives qui nous sont aujourd’hui cachées.

 

La névrose du triple A me rappelle aussi que les événements inquiétants marquent plus que ceux qui sont heureux ou simplement neutres. La tranquillité nous paraît banale, normale, due et insipide. Alors qu’une catastrophe réelle ou annoncée nous réveille et nous accroche. Elle nous donne envie d’en savoir plus, d’en comprendre les causes et les conséquences.

 

Cette prééminence de l’échec sur la réussite, du drame sur le bonheur est également présente dans l’actualité. Quoi de plus médiatique qu’un expert catastrophiste ? L’idéal est qu’il annonce plusieurs ruines à la fois, du système économique, de la civilisation, de la planète. Avec lui, on fait des économies, on diffuse plusieurs angoisses en une même séquence.

 

Dans notre vie intime, personnelle ou amoureuse, nous restons aussi menacés par une agence de notation personnelle. La journée finie, elle nous barguigne notre triple A et tient l’inventaire de ce que nous n’avons pas réussi, de nos hésitations ou nos échecs. Il faut beaucoup d’efforts et parfois l’aide d’un thérapeute pour venir à bout de cette agence de notation personnelle et pour privilégier un regard positif ou bienveillant.

 

Pourquoi ne pas attaquer, en même temps que les dérives des agences de notation, les excès de notre censure interne ? Les thérapies new age apprennent à se moquer de ces notes ou de ce pessimisme à coups de relaxation, de méditation et de dégustation de l’instant présent. Dans un registre proche, j’aime la phrase du poète Claude Vigée qui nous apprend que les miracles ne sont pas les grandes réussites, mais que c’est ce qui ne nous arrive pas qui tient du miracle !

 

Tours Eiffel illustrant la perte du triple A par la France (JAUBERT/SIPA)

Tours Eiffel illustrant la perte du triple A par la France (JAUBERT/SIPA)

 

Une dernière réaction psychologique à la perte du triple A est la régression. Pour le dire de manière un peu naïve, nous retombons en enfance. Nous remontons à un stade antérieur de notre développement pour y retrouver une sécurité passée qui nous fait défaut aujourd’hui. Face au triple A perdu, c’est à une olympiade de la régression que nous assistons.

 

C’est à celui ou celle qui se montrera le plus infantile. L’un nie la réalité comme l’enfant qui dit "même pas mal" en espérant ainsi faire partir la douleur. Un autre se replie sur lui-même, garde ses jouets et ne veut plus voir que des têtes connues. Et que dire de celui qui se roule par terre, pleure, crie, fait des caprices ou oppose aux vrais dangers des comportements irrationnels, des défis absurdes ?

 

Chacun de nous est concerné par cette névrose collective. Encore faut-il ne pas être dupe des émotions qui accompagnent l’économie.

 

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[1] Voir mon dernier livre, "Changer en mieux" (Éditions Plon). Retour au texte.

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