La mort d’un comédien et notre intense fragilité psychologique

La mort dun comdien et notre intense fragilit psychologique

La mort du comdien Philip Seymour Hoffman, trs probablement cause dune overdose dhrone, est un vnement public tragique par
tous les composants de lvnement : lexcellence du comdien dpassant trs largement le standard hollywoodien, son tat psychologique
qui lavait amen la consommation de drogue, lhabituelle tension antagoniste opposant le talent et son exercice dune part, les exigences
et le climat de matrialisme marchand et comptitif avec son abaissement qualitatif caractrisant Hollywood et sa movie industry
dautre part.

Lon dira quil ny a rien de nouveau dans tout cela. Depuis quHollywood existe, cette sorte de conflit gnral est rcurrente, entre des
valeurs artistiques et intellectuelles et lexpression absolument capitalistique (religion du profit, sauvagerie des relations
professionnelles, slection impitoyable de type darwiniste, manipulation sans vergogne des tres) et amricaniste (conformisme de
lexpression dune pense quon est tenu davoir). La structure hollywoodienne est construite compltement selon ce schma qui pouse
entirement les diktat du Systme, un point tel de perfection quon a fait de sa production un nologisme (hollywoodisme) dont
la connotation-Systme de type idologique est bien connue.

Ce qui est remarquable, dans la mort de Hoffman et ce qui laccompagne, cest la force et le radicalisme des arguments changs, autant que
leur prtention affiche exprimer non pas seulement un cas personnel (Hoffman) ou un cas spcifique (le comdien de talent face la
machine hollywoodienne), quels que soient la valeur et le bien-fond des arguments, mais un cas symbolique de notre crise gnrale de
civilisation, ce que nous nommons galement la crise deffondrement du
Systme
. Ce qui est remarquable, en dautres mots, ce nest pas lintensit (la jacasserie) du bruit du systme de la communication
saluant la mort de Seymour Hoffman, que son contenu dans certains des cas envisags. Il faut ajouter, bien entendu, que les moyens du
systme de la communication, y compris les moyens slectifs permettant lmission instantane davis trs courts mais premptoires, jouent
leur rle dans le phnomne quon dcrit. Mais lon ne fait l que signaler lun des moyens dexpression de ce sentiment diffus que nous
tentons de dcrire, qui sublime tout vnement propice mais dabord peru comme limit une personne, un milieu et ses murs, en un
vnement symbolique de la grande crise qui pse sur nos psychologies.

Nous allons prendre trois exemples de ractions la mort du comdien qui illustrent, notre sens, ce processus psychologique. Encore une
fois, il faut les apprcier dun point de vue qualitatif par rapport leurs rfrences et non quantitatif, par rapport ce quils
reprsentant en termes-Systme daudience, dimportance du support, dhonorabilit-Systme et ainsi de suite. Il faut les apprcier selon le
constat que certaines dentre elles conduisent leurs auteurs des positions dites fronts renverss par rapport leurs habituelles
prises de position politique. Il faut apprcier combien ce qui est dabord un fait socital, cest--dire concernant les dbats de
socit dvelopps actuellement pour tenter dentriner la postmodernit et viter la grande question de notre crise deffondrement du
Systme (le big Now, voir le 29 janvier 2014), ramne irrsistiblement cette dernire.

Simon Jenkins, dans The Guardian, le 3 fvrier 2014,
fait un article qui est un plaidoyer pour la lgalisation des drogues qui, seule, selon lui, viterait aux consommateurs de drogue des
situations de clandestinit, durgence et dabsence de rgulation personnelle menant une tragdie comme celle de Seymour Hoffman. Cest
une thse dsormais classique, qui a ses arguments et ne doit pas tre condamne ncessairement selon tel ou tel principe, dautant que
lon sait par ailleurs dans quel tat se trouvent ces principes force de manipulation et de dbilitation. On retiendra essentiellement
lintroduction du texte de Jenkins, qui, lui, dveloppe un argument renvoyant, involontairement sans doute, inconsciemment sans aucun doute,
la situation du dveloppement de ralits parallles caractrisant la raction du Systme pour carter tous les problmes sociaux,
conomiques, psychologiques, etc., en tant que tels, de crainte quils nous ramnent la question centrale (la crise de ce
Systme).

Anyone who saw Philip Seymour Hoffman in the film A Late Quartet could sense an accident on its way to happening. We now know that the
actor and the tortured violinist he portrayed were close to the same person. Acting is a dangerous calling, pushing its practitioners back
and forth over the border of unreality. Hoffman's death has been universally greeted as a tragedy. He struggled with addiction, seemed to
recover, relapsed and died of what appears to have been an accidental overdose. The world of cinema mourns.

Does the law also mourn? It lumps Hoffman together with thousands found dead and friendless in urban backstreets, also with needles in
their arms. It treats them all as outlaws. Such is the double standard that now governs the regulation of addictive substances that we have
had to develop separate universes of condemnation...

Il y a une trs courte intervention de Ben
Shapiro
sur son blog du National Journal, le 2
fvrier 2014
. Shapiro est connu comme un neocon, partisan radical dIsral et de la politique extrmisme de son gouvernement.
Par consquent, on serait conduit le classer dans la rubrique classique des bellicistes extrmistes agissant dans le sens du dveloppement
de la surpuissance dstructurante du Systme. Pourtant, son commentaire, trs court (nous le reprenons en entier), qui dnonce labsence de
structuration morale et principielle rgnant dans les milieux avancs de Hollywood, pourrait tre aisment pris, dans la forme
rfrentielle laquelle il renvoie, comme une dmarche antiSystme.

Philip Seymour Hoffman was one of the most talented actors of his generation, a leading man without leading-man looks, an actor whose
magnetism onscreen sprang from intelligence and fervor rather than appearance. But his self-inflicted death is yet another hallmark of the
broken leftist culture that dominates Hollywood, enabling rather than preventing the loss of some of its greatest talents. Libertarianism
becomes libertinism without a cultural force pushing back against the penchant for sin; Hollywood has no such cultural force. In fact, the
Hollywood demand is for more self-abasement, less spirituality, less principle, less standards.

No one knows what sort of demons plagued Seymour Hoffman. But without a sound moral structure around those in Hollywood who have every
financial and talent advantage, the path to destruction is far too easy.

Le troisime intervenant quon cite est Kurt Nimmo, avec un article du 3 fvrier 2014 sur
Infowars.com. Nimmo est un spcialiste des grandes analyses gopolitiques-complotistes des grands vnements galement
gopolitiques, ou considrs comme tels et faussement selon notre point de vue, tels lIran, la Syrie, lUkraine, etc. Il saffiche
rsolument antiSystme et ne lest pas toujours, tant sen faut et tant les grandes analyses structures construites sur des rationalits
supposes dacteurs puissants supposes manipuler les vnements de la plante produisent souvent leffet inverse celui quon attend. Nous
avons souvent dvelopp ce thme o lon charge le Systme, qui serait dans son cas une cration humaine contrle par les sapiens
idoines, de capacits manuvrires quil na pas (il suffit de se rappeler ce que tous ces analystes annonaient du triomphe du bloc BAO en
Syrie dbut 2012 et ce quil en reste), ce qui conduit des conclusions faussaires dont leffet, mme si lon nen veut certainement pas,
est de reconnatre in fine lirrsistibilit de la surpuissance du Systme, par consquent la vanit de sopposer lui, par
consquent laffaiblissement de la psychologie de la rsistance qui sensuit (cest le plus important) : dans ce cas, le fantasme de la
raison subvertie remplace lesprit de rsistance avec des consquences dvastatrices. Aussi lattaque de Nimmo contre Shapiro, au prtexte
que la guerre culturelle dont tmoigne Shapiro est une diversion manipule du Systme pour dtourner notre attention, produit leffet
exactement inverse de lantiSystme. La guerre culturelle, ou les vnements socitaux, constitue un vnement objectif que le Systme
voudrait manipuler son avantage pour dissimuler sa propre crise, mais qui finalement dbouche sur une vrit de situation, qui tmoigne de
la dynamique dstructurante et dissolvante du Systme, qui met nu la crise que sa dynamique de surpuissance alimente et dont les effets
contribuent puissamment transmuter cette dynamique de surpuissance en dynamique dautodestruction. Lorsque Nimmo dnonce la critique de
Shapiro comme une guerre culturelle qui serait un rideau de fume pendant que Rome brle, donc nous dissimulant que Rome brle, il
manque lvidence que cette fume-l provient galement et directement de lincendie de Rome.

Shapiro offers no further explanation what precisely leftist culture is or how it led to Hoffmans death, if it did. True, Hollywood
celebrities are predominately liberal, but we are not clued in on how this might lead to an actor using narcotics. Is Shaprio saying liberal
culture promotes drug use, or merely tolerant of it? Does tolerance negate personal responsibility?
[...]

It is fair to say Philip Seymour Hoffman suffered from depression. His death had more to do with the perils of self-medication and
dangerous drugs than any sort of cultural or societal permissiveness. Millions of people try to do the same thing with alcohol and
prescription drugs. Are they Leftist, too? The Left cries about the supposed Right advocating war and making excuses for predatory
capitalism, while the Right complains about cultural Marxism and a destructive permissiveness leading to a decadent tolerance for drugs and
abortion. The two sides fight it out ad nauseam in circus sideshow fashion. Meanwhile, Rome burns in the background.

The left-vs-right sideshow is a near perfect system for the ruling elite who operate outside the firing range behind the scenes. Most
people line up like football spectators and cheer their team on while bankster and corporatist criminals make off with the goods below the
bleachers and out of sight of the goal line.

Comme on voit, il est difficile de dterminer un parti dans ces changes, par rapport aux cohrences habituelles, et, surtout, il
est totalement inutile
de chercher dterminer un parti ou lautre, et encore plus de quoi il sagit lorsquon parle de
cohrences habituelles. Il y a de moins en moins de tout cela, un parti, des cohrences habituelles ; il y a des vnements
divers, selon des rfrences multiples, qui saccumulent, qui sempilent, sans que nous puissions vraiment les apprcier et trancher. Dans
une semaine, qui songera encore la mort de Seymour Hoffman, alors que nous nous trouvons dans ce fameux big Now o tout
saccumule et sempile dans un temps historique paralys, par consquent sans que nous puissions aller jusquau bout, trancher le cas,
porter un jugement dcisif, puisquentretemps lvnement suivant, la crise suivante, sollicite toute notre attention...

Au reste, est-ce si mauvais ? Comment prtendre aller jusquau bout, trancher le cas, porter un jugement dcisif, alors que tous les
courants dinformation, les pressions du systme de la communication, les interprtations et manipulations dans tous les sens interdisent
desprer aller de telles conclusions, et surtout rendent compltement vaines et accessoires, sinon faussaires pour lessentiel, de telles
conclusions ? Alors, cest autre chose que nous rvle cet vnement qui est bien moins marquant et grave que tant dautres, qui lest
pourtant suffisamment pour nous servir dans ce sens ; il nous rvle lextraordinaire fragilit de notre psychologie dans le climat
gnral, et par consquent la dmonstration par la sensibilit qui dcoule de cette fragilit de la puissance prgnante, omniprsente, de
notre Grande Crise Gnrale, de la crise deffondrement du Systme. Et l, nous passons du big Now lternel
prsent
, qui serait plutt le vritable champ de bataille o saffrontent Systme et antiSystme, o se dveloppe de plus en plus vite
la crise deffondrement du Systme.

Cette vulnrabilit de nos psychologies, ces nerfs vif, font que plus aucun vnement aujourdhui, sil dpasse la norme banalisante de
la manipulation du systme de la communication par le Systme, nchappe sa transformation symbolique en expression de la Grande Crise
Gnrale et est dbattu comme tel, avec toutes les interfrences et contradictions quon a vues, sexprimant en permanence et dans tous les
sens, faisant de l'un et de lautre, alternativement selon le flux des circonstances, un antiSystme sans ncessit de conscience de la
chose, et par consquent un acteur temporaire de rfrence de la vrit de notre crise civilisationnelle gnrale. Cette constante animation
de la rfrence ne de la vulnrabilit et de la sensibilit des psychologies, contribue elle-mme renforcer vulnrabilit et sensibilit
de la psychologie, alimentant le sentiment et le climat gnral dans le sens quon comprend. Ce cercle vicieux dauto-alimentation serait
plutt vertueux que vicieux...

Cela nous conduit observer, une fois de plus, que la crise deffondrement du Systme est aussi, et en un sens est dabord
une immense crise collective des psychologies, en mme temps quune crise de la psychologie collective, les deux choses salimentant lune
lautre. Nous sommes pris dans un tissu crisique absolument hermtique, qui ne nous laisse aucun rpit, qui met et maintient cadenasse dans
nos ttes la Grande Crise Gnrale, consciemment ou pas. Cela est certes inconfortable, et en gnral extrmement angoissant, mais cest la
voie oblige du droulement de cette crise et de son acclration vers lissue ncessairement dsirable de lautodestruction du
Systme ; et certes, cest, dune faon paradoxale et ironique si lon veut, la contribution cette fois rsolument antiSystme de
sapiens la chose.

Mis en ligne le 4 fvrier 2014 07H00

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