La bosse du conservatisme

La bosse du conservatisme

Les opinions politiques sont-elles influencées par notre structure psychologique, voire notre biologie ? C’est un débat qui fait rage depuis longtemps. Le New Scientist fait le point sur la question dans un numéro de novembre 2012.

La polémique a commencé en 2003 expliquent les auteurs, par une étude parue dans le Psychological Bulletin, publication de l’association américaine de psychologie. Celle-ci n’était pas tendre envers les conservateurs, faisant une liste des traits psychologiques propres au conservateur type : besoin d’ordre et de structure, intolérance envers l’ambiguïté et l’incertitude, etc.

L’article ne fit pas l’unanimité, on s’en doute. Mais, depuis, les travaux se sont multipliés. Les auteurs de l’article de synthèse du New Scientist (qui précisent honnêtement que l’un d’entre eux, Jesse Graham, est lui-même investi dans ce champ d’études) mentionnent plusieurs expériences qui ont suivi ces premières recherches.

Ainsi, un travail publié en 2008 dans Political Psychology, The Secret Lives of Liberals and Conservatives : Personality Profiles, Interaction Styles, and the Things They Leave Behind (.pdf)” s’est intéressé aux environnements des “libéraux” et des “conservateurs” (rappelons que dans la terminologie américaine, “libéral” n’a pas le même sens qu’en France ; le “libéral” américain se situe plutôt sur l’aile gauche de l’échiquier politique quoiqu’évidemment, les notions de droite et gauche ne soient pas réellement exportables entre les pays et les cultures. “Conservateur” et “libéral” se rapportent plus à des valeurs morales qu’à des arguments économiques). Ils ont examiné les bureaux et les intérieurs des tenants des deux idéologies. Ainsi, les conservateurs auraient tendance à préférer les objets liés à l’ordre : calendriers, produits de nettoyage, etc., et leurs environnements seraient bien rangés. A l’opposé le “libéral” collectionnerait les objets liés à l’ouverture d’esprit, comme les guides de voyage, les objets d’art ou les piles de disques. Et bien sûr son espace de travail est moins “clean”.

Parfois, certaines des recherches citées par le New Scientist semblent enfoncer des portes ouvertes. Ainsi, apprend-on, que “les libéraux se sentent plus à l’aise que les conservateurs avec les minorités ethniques ou sexuelles”; ou encore que “des différences idéologiques constantes ont également été repérées dans le domaine des jugements moraux, les libéraux étant plus aisément offensés par la souffrance et l’inégalité, et les conservateurs plus choqués par la trahison envers son groupe, le manque de respect envers l’autorité et la tradition, et les signes d’”impureté” spirituelle ou sexuelle”. Est-ce vraiment surprenant ?

Mais une lecture plus attentive nous aide à comprendre en quoi ces affirmations ne sont pas simplement un catalogue de clichés. En effet, ces résultats ont été obtenus grâce à des expériences psychologiques : “qui mesurent les attitudes inconscientes – c’est à dire les préférences qui agissent en dehors de notre contrôle”.

Ces travaux auraient montré que les “conservateurs” ont une préférence pour les “clôtures cognitives”, autrement dit “changer les incertitudes en certitudes, et les ambiguïtés en clarté”, tandis que les libéraux s’intéressent plus au processus de la cognition lui-même, à l’acte de réflexion…

Les réactions à un test d’empathie sont particulièrement remarquables. Si on montre rapidement à des sujets des photographies de visages affectant des expressions faciales ambiguës, les conservateurs auront plus tendance à considérer certains visages comme “en colère” ou “menaçants”. Il s’agit probablement d’une variante améliorée de ce test que vous pouvez pratiquer en ligne si vous le souhaitez.

Un autre test, “bébés et ordures”, qui alternait images attractives et repoussantes indique que les conservateurs montrent des signes de dégoût plus prononcés que leurs adversaires idéologiques.

Enfin, les aspects purement anatomiques n’ont pas été négligés. Les libéraux posséderaient plus de matière grise au niveau du cortex cingulaire antérieur, région qui gouverne le contrôle de soi, tandis que les “conservateurs” en auraient davantage dans la célèbre amygdale, qui gère notamment les réflexes de peur et d’agression, la fameuse réaction “fuir ou combattre”.

Les républicains, les démocrates et la “molécule de la morale”

Il existe d’autres travaux du même genre, par exemple celui-ci, qui n’est pas mentionné par le New Scientist. Il concerne les réactions des “démocrates” et “républicains” à la molécule de la confiance, l’ocytocine. (Les démocrates sont en gros des libéraux et les républicains des conservateurs, mais là aussi il ne faut pas oublier l’existence de démocrates conservateurs, comme Lyndon LaRouche, et de républicains plutôt libéraux, Dennis Hopper pouvant être considéré comme un bon exemple).

Paul Zak, auteur de The Moral Molecule et spécialiste des effets de ce neurotransmetteur, a ainsi pu constater que les démocrates ayant ingéré de l’ocytocine tendent à éprouver une sympathie accrue pour les candidats républicains, tandis que rien de tel ne se produit chez les républicains. Zak en déduit que “cela confirme les études affirmant que les démocrates sont moins rigides dans leurs opinions, tandis que les républicains se sentent plus concernés par la sécurité et répondent au stress inattendu de manière exagérée”.

Faut-il prendre au sérieux tout cela ? Si oui, cela tend à prouver que nos choix politiques, comme nos décisions économiques se basent davantage sur des tendances inconscientes que sur des décisions rationnelles. Mais ces études elles-mêmes sont peut-être faussées. Qu’en est-il de ceux qui font les expériences et bâtissent les théories ? Force est de reconnaître que la plupart des chercheurs évoluant dans les allées de la psychologie se révèlent en général de tendance plutôt “libérale”. Le New Scientist cite à ce propos une recherche assez significative. Yoel Inbar et Joris Lammers de l’Université de Tilburg aux Pays-Bas ont interrogé 800 chercheurs sur leurs opinions politiques. Seuls 6% se sont affirmés conservateurs et 20% ont admis qu’ils épousaient des opinions conservatrices sur l’économie ou la politique étrangère.

Mais ce n’est pas le plus frappant. Les deux investigateurs se sont interrogés sur l’hostilité que pouvait susciter de telles opinions “réactionnaires” dans le milieu de la psychologie. Ils se sont demandé si leurs pairs avaient tendance à discriminer un psychologue conservateur que ce soit en terme d’invitations à un symposium, de distribution de crédits, voire d’embauche. La réponse est surprenante : 40% seraient éventuellement prêts à répondre négativement à un conservateur lors d’un entretien d’embauche. “Et cela, ironisent les auteurs, “dans une discipline qui a dirigé les études contre les discriminations de race, de genre ou d’orientation sexuelle”. Cela pose d’ailleurs une autre question : si les libéraux sont si amateurs de débats et de dialogue, pourquoi sont-ils si prompts à la discrimination contre leurs adversaires politiques ?

Pourtant, selon les auteurs du New Scientist, le sérieux des travaux et surtout leur nombre ne peut être rejeté sur la base d’une “conspiration de gauche”. A leurs yeux le nombre d’études confirmant ces théories reste impressionnant. Et, précisent les auteurs, la plupart du temps “les expérimentateurs ne connaissaient pas les opinions de leurs sujets avant d’avoir quitté leur labo”.

Qu’en déduire ? Une chose est sûre, pendant bien longtemps les “conservateurs” ont utilisé la psychologie, les neurosciences ou la génétique pour “expliquer” et surtout valider les différences entre “élite” et peuple, entre races, entre sexes. C’est assez amusant de voir aujourd’hui le même type d’argument retourné contre eux !

Rémi Sussan


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