Journée de la gentillesse: peut-on être gentil et français en même …

GENTILLESSE - Mais que fait l'exception culturelle? Affreuse, sale et méchante, la France semble pourtant s'être convertie à la bienveillance puritaine des anglo-saxons. Vous ne pourrez pas y échapper, aujourd'hui, c'est la journée de la gentillesse, une valeur définitivement en hausse à laquelle on consacre émissions de télévision, de radio, mais aussi des livres, tandis que certains y voient une pente dangereuse qui nous aurait amené... la gauche au pouvoir.

La preuve, en mai dernier, François Hollande a été pris en flagrant délit de faiblesse lorsque, dans une libraire, il s'était saisi d'un livre. Son titre? Petit éloge de la gentillesse. Un signe annonciateur? Peut-être. Car cela nous vous aura peut-être pas davantage échappé, François Hollande s'est vu remettre hier soir le premier prix de la gentillesse par un parterre de journalistes influents. Voilà donc notre Président de la République affublé du titre de Premier des gentils.

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C'est à se taper la tête contre les murs. Comment un homme politique, qui plus est président de la République, pourrait-il se voir décerné un prix de gentillesse? Serait-il le seul à ne pas avoir lu Machiavel à SciencesPo? Ou, dernière hypothèse, n'y aurait-il pas quelque mesquinerie derrière la remise de ce premier prix de la gentillesse? Seuls les jurés ont la réponse alors que demeure un constat: tout semble indiquer que les Français sont capables de penser la gentillesse.

La célèbre "scène des Français", dans le film Sacré Graal, des Monty Python, réal. Terry Gilliam

Méchanceté de façade

Rassurons-nous, tout n'est pas perdu. Un sondage rendu public la semaine dernière vient nous rappeler que 85% des Français sont agressifs au volant, même si, parmi ceux-ci, 73% d'entre eux ont été assez honnête pour reconnaître que leur énervement était directement imputable au comportement des autres usagers.

Quant à la méchanceté, ses avocats ne sont pas en reste. À la suite de la dernière édition de la journée de la gentillesse, un journaliste du magazine Causeur se félicitait de la publication du Meilleur de la méchanceté, un dictionnaire de citation méchante qui ferait selon lui, "le charme de l'esprit français".

La journée de la gentillesse mettrait-elle en danger notre légendaire mauvaise humeur? À son origine, un homme. Arnaud de Saint-Simon, directeur de la revue Psychologies magazine. Cette journée de la gentillesse, il ne l'a pas inventée puisque le concept appartient au Mouvement mondial pour la gentillesse, un collectif international créé à Tokyo en 1996 sous l'impulsion d'un médecin japonais, le docteur Wataru Mori.

En réalité, tout indique que les Français sont des êtres humains comme les autres. Malgré quelques réticences, Arnaud de Saint-Simon constate que si "le message a été difficile a faire passer", ça a marché. "Au départ, on me regardait avec un mélange de méfiance, de ricanement et d'interrogation." Mais si, à l'aube de la première journée de la gentillesse, ses interlocuteurs se sont demandés qui pouvaient bien être ce type, le journaliste ne retient qu'une chose: "Derrière la méfiance parisienne, le succès a été immédiat".

"Abolir les ambiguïtés"

La première journée de la gentillesse a eu lieu il y a trois ans. Nous sommes en 2009, Nicolas Sarkozy est président de la République depuis deux ans, la France vit au rythme de la crise financière, et des suicides chez France Telecom, autant d'éléments qui constituent un terreau fertile pour parler de gentillesse.

Et la gentillesse, on a besoin d'en parler tant le terme est négativement connoté, encore aujourd'hui. "Il faut abolir les ambiguïtés", explique le philosophe Emmanuel Jaffelin, auteur d'un Petite éloge de la gentillesse. "Gentil ne veut pas dire gentillet". Si la gentillesse est associée à autant de naïveté et de crédulité, c'est à cause de l'origine complexe d'un terme dont les sens ont été multiples.

"Le gentil c'est d'abord le goye du non-juif, le barbare du non grec ensuite avant d'être gentilis, celui qui, à Rome, désignera le non-chrétien, autrement dit celui qui croit en des dieux illégitimes", précise Emmanuel Jaffelin. Mais si le gentil est, à l'origine, une sorte de zinzin du premier millénaire, le terme a une autre origine, et un autre sens, qui éclaire là encore l’ambiguïté du mot.

Gentilis définit de la même manière les patriciens de la Rome antique, cette centaine de famille de nobles qui ont fondé Rome. Une fois de plus, le sens sera détourné, cette fois-ci à la Renaissance par un certain Guillaume Budé qui inventa le terme de... gentilhomme, preuve ultime qu'on peut bien être français et gentil en même temps, au moins sous l'Ancien régime, et une raison pour Arnaud de Saint-Simon de parler de la gentillesse comme d'une "nouvelle noblesse".

Mais des deux sens du mot gentil, le gentil de gentillet a le vent en poupe. De la même manière que les Français sont pessimistes, ils rejettent la gentillesse en bloc, un peu comme si on pouvait être gentil, mais pas avec les autres. "En France c'est plus difficile qu'ailleurs", s'étonne Emmanuel Jaffelin, "la faute à la Révolution française qui a inscrit dans notre ADN un égalitarisme forcené, on pense qu'on s'abaisse en donnant, alors qu'en donnant, on se grandit".

"Agir sur les comportements"

Dans la gentillesse il y a du don. Ce qui n'est pas forcément le cas de la bonté, qui implique une forme de sacrifice, là où la gentillesse n'est que service. Si, grâce à Emmanuel Jaffelin, peut-être l'un des seuls philosophes à s'être intéressé au concept de gentillesse, la définition du terme est un peu plus claire, comment passer de la théorie à la pratique, comment rendre la société plus gentille?

C'est tout l'objet de la journée de la gentillesse telle que l'entend Arnaud de Saint-Simon. "Il faut agir sur les comportements", explique-t-il, alors que la journée qu'il contribue à organiser a identifié deux domaines où des initiatives très concrètes peuvent s'appliquer, l'école, avec le respect, et l'entreprise, en développant la bienveillance.

Mais la bienveillance n'est pas la gentillesse. La bienveillance en entreprise, telle que définie et élaborée par Psychologies magazine et ses partenaires, c'est plus de bien-être, de convivialité, moins de stress, plus d'équilibre vie privée-professionnelle, mais aussi davantage de communication, plus d'implication, de responsabilisation... Bref, la liste est longue, s'étend jusqu'à la promotion de l'optimisme et de la diversité, un peu comme si la gentillesse c'était tout simplement faire mieux, promouvoir le bien-être en entreprise.

La bienveillance, une valeur rentable, mais pas authentique

Les entreprises auraient raison de favoriser le bien-être des salariés. Meilleur il se sent, plus il est engagé, et donc plus il est important.

Une étude du cabinet Towers Perrin, abondamment citée dans tous les articles consacrés à cette journée de la gentillesse indique que "Les sociétés qui comptent le plus fort pourcentage de salariés engagés ont collectivement accru leur bénéfice d'exploitation de 19% et leur bénéfice par action de 28% d'un exercice à l'autre".

L'équation est donc simple. Salariés plus engagés égal meilleurs résultats financiers. Et tout le monde est plus heureux. Les actionnaires, les salariés, les dirigeants, les enfants des actionnaires, des salariés et des dirigeants. Et avec un peu de chance, la société tout entière.

"C'est bien, mais c'est oublier que la bienveillance n'est pas la gentillesse", explique Emmanuel Jaffelin. "Dans la gentillesse vous laissez le choix aux autres de demander de l'aide, dans la bienveillance on s'occupe de vous, c'est intrusif".

Être gentil, toute une philosophie

Cette "bienveillance" qui rappelle le concept anglosaxon du care selon lequel il revient à la société de littéralement prendre soin de ses éléments les plus faibles, n'a donc pas grand chose avoir avec l'authentique gentillesse.

"La gentillesse ne s'inscrit pas dans une logique égotiste", explique Emmanuel Jaffelin. "Accepter la gentillesse, c'est justement mettre fin au tout à l'égo, elle implique de faire le vide en soi. Moi-même je n'étais pas préparé à cela en m'y intéressant", raconte le philosophe.

Mais tout le monde n'est pas d'accord. Si l'authentique gentillesse est gratuite, altruiste, vécue comme une expérience sans retour émotionnel ou moral sur investissement, d'autres philosophes à l'instar de Sophie Chassat, dont vous pouvez lire le billet dans nos colonnes, estiment que la gentillesse est d'abord une question d'égo, puisqu'il faut être en bon rapport avec soi, avant de pouvoir être en bons rapports avec les autres.

"La gentillesse c'est une véritable philosophie de vie", conclut Emmanuel Jaffelin. Quant à savoir s'il faut philosopher pour être gentil, pratiquer la gentillesse pour philosopher, les routes à emprunter semblent être multiples.

Quant à savoir si c'est à la société d'imposer la gentillesse à l'individu, ou au contraire aux individus de pratiquer la gentillesse pour rendre la société plus bienfaisante, en cette journée de la gentillesse, le débat est ouvert.

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  • Le tweet citation

    Toutes les gentillesses ne se valent pas pour François Mauriac.

  • Le revolt-tweet

  • Le tweet affriolant

  • Le tweet nuancé

  • Le véritable gentweet

    De la contraction des mots "gentil" et "tweet".

  • Le tweet-partage d'Antoine de Caunes

  • Le sceptweet

    Ou tweet sceptique.

  • Le tweet chic

  • Le tweet "les hommes du président"

  • Le tweet "par la presse étrangère"

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