Jeux vidéo : l’école de la violence ?

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Grosses voitures, armes à feu, sexe et corruption : les dernières générations de jeux vidéo (ici le « héros » de Grand Theft Auto iv) font du crime et de la violence leur principal argument de vente. Des études scientifiques révèlent que ces supports entraînent une augmentation des violences.

Laurent Bègue est professeur de psychologie sociale à l’Université de Grenoble, où il dirige le Laboratoire interuniversitaire de psychologie : personnalité, cognition, changement social (EA 4145).

A. Anderson et al., Violent video game effects on aggression, empathy, and prosocial behavior in Eastern and Western countries, in Psychological Bulletin, vol. 136, pp. 151-173, 2010.

L. Bègue, L’agression humaine, Dunod, 2010. Ch. Kelly et al., Repeated exposure to media violence is associated with diminished response in an inhibitory frontolimbic network, in PloS one, vol. 2 (12), e1268, 2007.

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Descriptif

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Sur le mme sujet

N 368 - Janvier 2008

Designing multimedia games for young children's

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Du mme auteur

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Àl’occasion de la sortie du jeu vidéo Grand Theft Auto IV (theft signifiant vol), médias, opinion et politiques se sont interrogés : ce type de jeu rend-il violent ? Est-il susceptible d’encourager un passage à l’acte chez certains utilisateurs ? Ou au contraire, comme certains l’ont prétendu, fait-il office d’exutoire en permettant de vivre par procuration des actes illicites ? Les sceptiques vous répondront qu’il ne fait que refléter la violence environnante et que les critiques indignées qu’il engendre ne servent qu’à masquer des problèmes sociaux réels.

Rappelons que le jeu Grand Theft Auto IV atteint un degré de réalisme inégalé. Les vices urbains que l’on y rencontre existent bel et bien aujourd’hui : gangs, drogue, prostitution, trafics, violence. D’autres jeux vidéo, commercialisés ou conçus par des amateurs et téléchargeables gratuitement, tirent également leur inspiration de la brutalité de l’actualité mondiale. Dans Kaboom : The suicide bombing game, jeu qui s’ouvre sur la caricature de feu Yasser Arafat, le joueur dirige un kamikaze arabe évoluant dans une ville. Son objectif : tuer le maximum de personnes. Après chaque explosion, le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants tués et blessés par l’explosion est comptabilisé. Dans Virginia-tech massacre game, le joueur incarne Seung-Hui Cho, auteur de la tuerie la plus meurtrière de l’histoire des États-Unis. Le jeu consiste à abattre le maximum d’étudiants croisés sur le campus. Si ces logiciels sanglants témoignent de l’ubiquité d’une violence humaine certes ancienne, ils posent néanmoins une question : les jeux vidéo violents rendent-ils la société plus violente encore ?

Évaluer les risques objectivement

Cette question reçoit deux sortes de réponses. La plus courante consiste à sélectionner des événements personnels et à s’en servir, dans un sens ou dans l’autre. Sur les forums de jeux vidéo, de nombreux utilisateurs témoignent d’une pratique assidue des jeux violents tout en ironisant sur les effets prétendument délétères que déplorent certains spécialistes, en concluant : « Je n’ai jamais tué personne ! » Une variante de ce type de raisonnement consiste à invoquer des faits d’actualité, par exemple le meurtre d’un homme au volant de sa voiture par deux jeunes aficionados de Grand Theft Auto III en 2003.

Inversement, certains opposent que l’auteur du massacre de Virginia Tech en 2007 n’était nullement adepte de jeux vidéo violents. Cette approche des liens entre jeux vidéo et violence est fondamentalement erronée, car elle ignore la signification de ce que l’on nomme les facteurs de risque. Au même titre que la maltraitance familiale, la consommation d’alcool ou les frustrations sociales (voir l’encadré pages 18 et 19), la pratique de jeux vidéo violents peut être considérée comme un facteur de risque. Cela signifie que les jeux vidéo augmentent, de façon indépendante ou éventuellement en interaction avec d’autres facteurs, la probabilité d’un passage à l’acte violent.

Lorsqu’il s’agit d’homicides ou de violences extrêmes, il y a généralement présence de plusieurs facteurs de risque. Ces actes sont rarissimes (en France, il y a en moyenne un millier d’homicides par an), et la probabilité qu’un joueur assidu blesse grièvement ou tue quelqu’un est minime, s’il ne présente pas d’autres facteurs de risque importants. N’en déduisons pas que les jeux vidéo ne stimulent pas son agressivité à court ou à long terme, mais simplement que ces effets porteront sur des pensées, des émotions ou des conduites agressives moins spectaculaires. Dans les faits d’actualité, on constate que de nombreux auteurs de fusillades dans les écoles étaient généralement adeptes de jeux vidéo violents, mais qu’ils présentaient également plusieurs autres facteurs de risque.

Une autre façon d’établir un lien éventuel entre les jeux vidéo et le comportement d’agression (défini comme une action réalisée avec l’intention de blesser quelqu’un) consiste à s’appuyer sur l’une des trois méthodes scientifiques à la disposition des psychologues. La première est la méthode expérimentale : des personnes sont placées devant un écran où elles jouent pendant une quinzaine de minutes à un jeu vidéo violent. D’autres jouent, dans des conditions identiques, à des jeux vidéo neutres. Ensuite, on compare leurs comportements d’agression. Les niveaux de difficulté, d’excitation ou de frustration associés à ces jeux devront être équivalents afin que l’on ne puisse attribuer les différences observées qu’au degré de violence véhiculé par le jeu : toute différence de comportement entre les personnes des deux groupes est alors directement imputable au type de jeu pratiqué.

La deuxième méthode, dite transversale, consiste à recueillir des informations sur les comportements agressifs d’un certain nombre de sujets étudiés (en les interrogeant ainsi que leur entourage, leurs professeurs, etc.) sur le type de jeux vidéo qu’ils pratiquent, ainsi que sur le temps moyen qu’ils y consacrent. Dans ce type de statistiques, on veille aux biais connus, notamment au fait que les garçons jouent plus aux jeux vidéo violents et sont plus agressifs verbalement et physiquement, en moyenne, que les filles.

Avec la troisième méthode, dite longitudinale, on recueille des informations à plusieurs reprises auprès des mêmes personnes. On détermine ainsi, non seulement s’il existe un lien entre les jeux vidéo et l’agression, mais aussi comment on peut l’interpréter. Si l’on constate qu’une personne joue à des jeux vidéo une année donnée et que ses actes violents augmentent l’année suivante, on peut supposer que la pratique de ces jeux vidéo en soit la cause (indépendamment du niveau d’agression mesuré la première année).

Les analyses de contenu des jeux vidéo commercialisés montrent que la violence constitue le thème principal de plus de la moitié des titres les plus vendus au monde. Le succès colossal enregistré par Grand Theft Auto IV (le produit culturel le plus vendu au monde en 2008) confirme cette tendance. Dans ce jeu, la plupart des missions requièrent de tuer ou d’agresser violemment des gens (par exemple, trouver quelqu’un dans New York et l’éliminer, protéger quelqu’un en supprimant ses adversaires, braquer un fourgon, punir les commerçants qui s’élèvent contre le racket, etc.). Rien ne vous empêche d’acheter les services d’une prostituée, puis de la cribler de balles avant de récupérer votre argent. Ou de conduire sur les trottoirs et d’écraser les piétons, dont le sang vient alors maculer le pare-chocs et le pare-brise du 4 ¥ 4 que vous venez tout juste d’arracher à son propriétaire.

L’impact du sang virtuel

Le premier jeu violent commercialisé en 1976, Death Race, consistait déjà à écraser des piétons avec une voiture. Mais en 30 ans, la qualité graphique et sonore de la violence s’est considérablement améliorée ! Selon le journaliste et historien des jeux vidéo Steven Kent, un tournant s’est opéré en 1992 avec le jeu Wolfenstein 3d (w3d), bientôt suivi de Doom, en 1993, où pour la première fois le joueur « était » le personnage dont il contrôlait l’arme à feu.

Dans ce type de jeu, le joueur voyait l’action comme s’il portait lui-même l’arme servant à tirer, et évoluait librement dans un univers à trois dimensions. Alors que dans Death Race et beaucoup d’autres jeux qui ont suivi, les personnages abattus disparaissaient (laissant parfois sur l’écran une petite stèle funéraire ornée d’une croix), dans w3d, ils tombaient par terre et perdaient leur sang. En 1999, le jeu Soldier of Fortune améliorait remarquablement le sanglant réalisme : créé en collaboration avec un ancien colonel de l’armée américaine, il permettait au joueur aguerri d’abattre son adversaire en visant l’une des 26 « zones létales » du corps qu’il était possible de blesser. Les victimes réagissaient avec vraisemblance aux différents coups de feu selon la partie du corps touchée, l’arme utilisée et la distance de feu.

Le caractère particulièrement sanglant de certains jeux n’est pas sans conséquences. Dans une récente étude, Christophe Barlett et ses collègues, de l’Université de l’Iowa, ont fait jouer des participants à un jeu violent classique, Mortal Kombat. Dans ce jeu, il est possible d’abattre les ennemis sans voir le sang couler. Mesurant la pression sanguine des joueurs avec l’option « sang » activée, ils ont observé une plus grande activation physiologique que lorsque l’option « sang » était désactivée. En outre, l’hostilité des joueurs en condition « jeu sanglant » augmentait, et ils avaient davantage de pensées agressives après le jeu, indépendamment de leur caractère agressif intrinsèque, mesuré au début du jeu.

Cet effet du sang observé existe-t-il aussi au cinéma ? Pour le savoir, Stephen Black et Susan Bevans, de l’Université Bishop, se sont postés à l’entrée d’un cinéma et ont demandé aux spectateurs de répondre à un questionnaire de personnalité et d’indiquer le film qu’ils venaient voir. Ils ont constaté que les films comportant des scènes violentes étaient d’autant plus appréciés par les spectateurs qu’ils avaient un niveau élevé sur une échelle d’agressivité. Ce résultat traduit un élément qu’il faut prendre en compte avant d’affirmer que les films ou les jeux vidéo rendent violents : ils sont davantage recherchés par les personnes qui ont des tendances violentes.

Dans une recherche réalisée auprès de 300 adolescents scolarisés aux Pays-Bas, Jeroen Lemmens, de l’Université d’Amsterdam, a montré que ceux qui aiment les jeux vidéo violents sont le plus souvent des garçons ayant un niveau d’agressivité élevé et un niveau d’empathie bas. D’autres recherches ont montré que les enfants adeptes des jeux vidéo violents ont davantage de conflits

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