Jeux vidéo: le coupable idéal

Une énième étude a été publiée sur la relation entre jeux vidéo et violence. "Depuis une vingtaine d'années, les jeux vidéo sont dans le collimateur de la recherche", souligne Yann Leroux, docteur en psychologie. 

Cette fois, "ce que nous avons montré, ce n'est pas le lien entre jeux vidéo violents et agression, qui a déjà été prouvé des dizaines de fois, mais c'est à quoi ce lien est dû", a précisé Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale à l'Université Pierre-Mendès-France, et coauteur de l'étude révélée ce mercredi dans Le Dauphiné Libéré. A savoir, les "imputations d'hostilité aux autres". En clair, "après avoir joué aux jeux vidéo, on s'attend à ce que, dans des situations de conflit, les autres aient un comportement agressif, ce qui prépare à être agressif soi-même", précise le chercheur. 

Un lien non démontré entre jeu vidéo et violence

Pourtant, le lien entre jeux vidéo violents et agression est loin d'être prouvé, en réalité. Encore moins sur le long terme. "Il est impossible à démontrer, sauf en réalisant une étude sur 20 ans et sur un corpus très important de joueurs", souligne Olivier Mauco, qui mène actuellement une thèse sur les politiques du jeu vidéo à la Sorbonne. D'autant que les études en laboratoire sont loin d'être révélatrices, selon lui, puisqu'elles décontextualisent les joueurs et les obligent, ensuite, à jouer.  

"La seule chose qui ait été démontrée, souligne Yann Leroux, est que les jeux vidéos violents peuvent susciter de l'agressivité dans les 20 minutes qui suivent le jeu". Aucun trait de personnalité ne peut donc être construit par le jeu. Pour Olivier Mauco, cela va plus loin: on assimilerait l'excitation provoquée par le jeu à de la violence. "Que cela soit contre des méchants ou qu'il s'agisse de sauter sur des champignons dans Super Mario, il y a une logique d'affrontement, c'est sûr. Cela développe la compétition, mais de là à dire que cela provoque un comportement hostile, c'est complètement surinterprété. " 

Selon le thésard, nous avons également perdu l'habitude d'extérioriser nos émotions face à des produits culturels. Par politesse, au cinéma, on évite le popcorn et les bonbons pendant le film et l'on préfère se moucher le plus discrètement possible que de fondre bruyamment en larmes. De même, les musées sont rarement des lieux de débauche. Pourtant, la culture populaire a toujours été l'occasion de manifester ses sentiments. Comme le lancer de tomates montrait la désapprobation des spectateurs, devant les jeux vidéos, les participants sont parfois amenés à crier ou à s'insulter. Ce qui est "interprété au prisme de la culture élitiste comme de la violence ou un comportement agressif, alors que cela fait simplement partie du jeu", sourit Olivier Mauco. Cela ne fait donc pas des joueurs des individus violents. D'autant que les études psychologiques démontrent que l'excitation commence à retomber 15 minutes après le jeu. 

Les jeux vidéo ne sont pas responsables des tueries

Alors, de quelle agressivité parle-t-on? "Il faut faire la part des choses", insiste Yann Leroux. S'il s'agit des débordements qui se produisent pendant ou après le jeu: ils sont normaux, selon le psychologue. "Un des buts de l'éducation est d'aider les enfants à découvrir les aspects constructifs de l'agressivité et à mettre de coté ses aspects destructeurs." Mais si l'on parle des fusillades, notamment dans les écoles, la réponse est claire pour les deux spécialistes: les jeux vidéo ne sont impliqués dans aucun cas connu. En revanche, la drogue, la misère sociale ou les troubles psychiatriques sont "systématiquement présents", affirme Yann Leroux.  

Pourtant, dans l'inconscient collectif, les auteurs des tueries de Colombine ou encore d'Oslo ont tiré cette violence des jeux vidéos, au moins en partie. "D'autant que Bill Clinton a désigné les jeux vidéos comme responsables, après Colombine. Et un président des Etats-Unis, cela rend l'accusation légitime, même si l'enquête a ensuite démontré le contraire", souligne Olivier Mauco, pour qui il s'agit d'une "stratégie politique" permettant, après un traumatisme, de désigner un coupable pour entamer le travail de deuil. 

Mais avant même Colombine, en 1999, le lien entre violence et jeux vidéo avait commencé à s'instituer dans le débat public. Et une fois qu'une telle image a été ancrée dans l'opinion publique, difficile pour les jeux vidéo de s'en départir. Dès 1993, aux Etats-Unis, le photoréalisme de Mortal Combat avait amené le débat jusqu'au Sénat américain. En France, l'association Familles de France est également monté au crédo contre la violence dans les jeux vidéos dans les années 1990, au nom de la protection de la jeunesse.  

Et c'est justement cette association, dans l'esprit collectif, entre les jeux vidéo et l'univers des enfants qui pose justement problème. Car certains jeux ne leur sont clairement pas destinés. D'où, explique Olivier Mauco, "le travail marketing de l'industrie du jeu vidéo pour montrer que les adultes, notamment les trentenaires, jouent également". Des trentenaires qui en ont assez de se voir étiquetés comme des risques permanents pour la société. 

Open all references in tabs: [1 - 5]

Leave a Reply