Je-me-moi : les riches «moins éthiques» que les pauvres ?

Les gens aisés prendraient-ils plus de liberté que le «p’tit monde» avec l’éthique ? C’est en tout cas ce que suggère une étude menée par des psychologues américains qui vient de paraître dans les PNAS.

Dans un premier temps, l’équipe dirigée par Paul K. Piff, chercheur en psychologie de l’Université de Californie à Berkeley, a observé le comportement des automobilistes dans les rues de San Francisco, déduisant leur classe sociale du modèle et de l’année de la voiture qu’ils conduisent. À une intersection où les voitures provenant des quatre directions devaient faire un arrêt, les psychologues ont observé que les conducteurs au volant des voitures les plus luxueuses (5e échelon sur une échelle de 1 à 5) coupaient d’autres voitures en enfreignant les règles de la priorité environ 30 % du temps, contre environ 10 % pour les 4 autres échelons. Dans une autre expérience, l’équipe de M. Piff a aussi trouvé que seulement 55 % des conducteurs appartement aux deux échelons supérieurs cédaient le passage aux piétons — une pratique courante dans le monde anglosaxons —, alors que les moins nantis le faisaient entre 70 et 100 % du temps.

Retournant ensuite dans leur labos, M. Piff et al. ont mené plusieurs expériences dont les résultats allaient dans le même sens. Dans l’une d’elles, par exemple, 105 sujets ont participé à une négociation fictive où ils tenaient le rôle d’un employeur faisant passer une entrevue à un postulant qui disait chercher un boulot à long terme. Dans ce scénario fictif, le poste à pourvoir devait être supprimé dans peu de temps, mais les sujets appartenant aux classes supérieures (ce qui était alors déterminé par un questionnaire) ont caché cet élément d’information plus souvent que les autres.

À la fin d’une autre expérience du même acabit, les participants se voyaient offrir des friandises. Celles-ci étaient ostensiblement destinées à des enfants près du labo, mais les sujets se faisaient dire qu’ils pouvaient en prendre quand même. Résultat : les mieux nantis en ont pris en moyenne 1,17, soit  deux fois plus que les autres (0,6).

Bref, pas un portrait très flatteur des «élites», dont les comportements douteux s’expliqueraient, selon les auteurs, par le fait que posséder plus de ressources et de liberté donneraient aux gens de la haute l’impression qu’ils n’ont pas besoin des autres, auxquels ils feraient moins attention. En outre, étant eux-mêmes patrons, ils sont ceux qui surveillent plutôt que ceux qui sont surveillés, et verraient donc moins les risques associés à enfreindre les règles. Ils ont aussi plus de moyens pour gérer les conséquences s’ils se font prendre, font valoir Piff et al.

Leurs résultats sont intéressants parce qu’ils semblent contredire certaines études classiques où les gens des classes aisées — ou du moins, instruites, mais c’est très souvent la même chose — affichaient une morale plus noble que les autres quand ils étaient expérimentalement mis dans une position d’autorité, ou quand quelqu’un en position d’autorité leur demandait de poser des gestes inacceptables. De ce point de vue, cet article des PNAS constitue une sorte de vengeance morale pour les «prolos».

Mais si captivante soit-elle, il me semble que cette étude en dit plus long sur le flou qui entoure la notion d’éthique que sur la valeur morale des riches. Les auteurs définissent ce qui est contraire à l’éthique (unethical) comme toute «action qui cause du tort à autrui et qui est illégale ou moralement douteuse» ; ce n’est certainement pas une mauvaise définition, mais elle embrasse tellement large qu’on peut imaginer une pléthore à peu près infinie d’indicateurs très variés. Certains décriront les classes aisées comme des profiteurs, d’autres non.

Pas étonnant, donc, que les experts à qui j’ai parlé ce matin avaient des opinions très partagées sur cette étude. Ainsi, le sociologue de l’INRS-Urbanisation Jacques Godbout  a trouvé dans ses (célèbres) recherches sur le don des éléments qui vont dans le même sens que l’étude de M. Piff : en proportion de leur revenu, les riches donnent moins aux bonnes œuvres et moins à leurs proches. «Quand on est riche, on a plus de biens, et on peut facilement croire qu’on a moins besoin de lien (social)», résume-t-il.

Mais d’un autre côté, Jacques Bergeron, chercheur en psychologie de la conduite automobile à l’UdM (qui n’était pas très convaincu par l’étude des PNAS), fait remarquer que c’est dans les strates les plus pauvres que la conduite avec faculté affaiblie est la plus courante, ce qui n’est certainement pas le comportement le plus «éthique»…

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