Jacques Nimier (1929-2014), psychologue et pédagogue

Par Alain Bouvier, rédacteur en chef de la Revue internationale d'éducation de Sèvres (avec Luc Cédelle)

Jacques Nimier en 2011

Universitaire, psychologue et pédagogue, figure respectée dans les milieux réformateurs de l'éducation, Jacques Nimier s'est éteint le 24 avril à Reims, à l'âge de 84 ans. Né le 18 octobre 1929 à Levallois Perret, d'origine bretonne, il a épousé une auvergnate, Jacqueline, avec qui il a eu cinq enfants. Son père et son oncle, lui-même père de l'écrivain Roger Nimier, ont été les constructeurs de l'Horloge parlante de l'Observatoire de Paris.

Avec un parcours atypique, « d'ancien cancre et de dyslexique » comme il se plaisait à le souligner, Jacques Nimier, une fois bachelier, se lance dans des études de mathématiques, discipline qui représentait pour lui « une loi claire », par opposition à l'orthographe qui lui semblait arbitraire. Il commence sa carrière en 1961 comme professeur de mathématiques au lycée Léon Bourgeois à Epernay (Marne) ; fonction qu'il exercera durant 18 ans.

Dès ses débuts, le jeune enseignant s'interroge sur le rapport de ses élèves à la notation, sur leur manière de vivre les cours et sur son propre rôle dans leur perception des mathématiques. Parallèlement à son métier et après une psychanalyse, il entreprend des études de psychologie, domaine dans lequel il soutiendra deux thèses, et devient universitaire. Il constitue en 1976 un groupe de recherches à l'IREM (Institut de recherches sur l'enseignement des mathématiques) de Reims, dont il deviendra directeur adjoint de 1978 à 1979. D'abord maître de conférence à l'IUT de Troyes en 1979, il sera ensuite professeur titulaire de la chaire de psychologie clinique de l'université de Reims (1989), membre du Laboratoire de psychologie appliquée de cette université, et directeur adjoint de l'IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) expérimental de Reims (1990 – 1995)

PERSPECTIVES SYSTÉMIQUES

Admirateur de Teilhard de Chardin, très influencé par les perspectives systémiques et les théories de la complexité d'Edgar Morin, attaché aux travaux d'André de Peretti et à l'analyse des groupes de Didier Anzieu et René Kaes, Jacques Nimier a consacré sa carrière et ses livres principalement à la formation des enseignants. Il a particulièrement mis en avant la dimension psychologique dans la relation pédagogique, et son corollaire, une formation plus appropriée à une meilleure pratique professionnelle qui tienne compte de la personnalité de l'élève et de son imaginaire. La notion de représentation tient une place centrale dans ses travaux ainsi que l'articulation entre le psychisme individuel et l'environnement culturel. Une partie de ses recherches a également porté sur la docimologie (l'étude de la notation) et l'évaluation, que ce soit celle de élèves ou des adultes.

Jacques Nimier a pu mettre en pratique ses convictions dans l'académie de Reims avec une équipe de formateurs, notamment à travers les stages FNTE (Formation aux nouvelles techniques d'enseignement avec 5000 stagiaires en 15 ans), une formule essaimée aussi dans d'autres académies, ainsi qu'en Europe et au Québec. Dans le prolongement de cette activité, il a été un des introducteurs en France des groupes d'analyse des pratiques professionnelles dans la formation des enseignants. Il a également collaboré à des séminaires pour des scientifiques du Maghreb et d'Afrique noire.

PAS DE «GRAND MÉCHANT LOUP»

C'est en 2001 qu'il crée son site pedagopsy, consacré aux « facteurs humains dans l'enseignement et la formation d'adultes ». Référencé parmi les plus consultés sur l'éducation avec 3000 visites par jour, ce site, mis à jour pour la dernière fois le 3 février 2014, est une bibliothèque vivante, qui fournit dossiers thématiques et bibliographie renouvelée. Jacques Nimier, homme discret et humaniste, était aussi grand amateur de jazz et fin connaisseur de la botanique des cactus, passions qu'il partageait avec son épouse. Il est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages, parmi lesquels Mathématique et affectivité : une explication des échecs et des réussites (Stock, 1976), Les modes de relations aux mathématiques : attitudes et représentations (Méridiens Klincksieck, 1988), La formation psychologique des enseignants (ESF, 1996) et Camille a la haine et... Léo adore les maths, L'imaginaire dans l'enseignement (Aléas, 2006).

Interrogé dans les années 2000 par le site Le Café pédagogique sur son appréciation de l'évolution de l'école, Jacques Nimier refusait « la vision d'un grand méchant loup qui anime des complots contre les profs ou contre les élèves ou contre les parents », de même que celle « d'un état tout-puissant qui pourrait provoquer le grand soir de la révolution de l'enseignement » ou celle « d'une corporation d'enseignants attardés et cramponnés à leurs avantages, leurs privilèges et qui refusent tout changement ». « La vision que j'ai, disait-il, c'est celle d'un ''système'' qui n'est soumis à personne sinon à ses lois d'homéostasie, d'évolution et d'interactions avec d'autres systèmes. Aussi ne suis-je pas étonné qu'il faille du temps pour faire évoluer quoi que ce soit. »

Dans son dernier Dossier mensuel (janvier 2014) sur son site, il notait toutefois que « les polémiques incessantes et stériles font place, de plus en plus, à l'abord des questions importantes… ». Propos repris dans l'hommage que lui rend le « Collectif Ecole changer de cap », dont il était membre depuis 2008.

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