Il n’y a pas d’âge pour le partage

Le sens de la justice est-il inné ? Cette question surprendrait les idéologues traditionnels. Le grand débat a été plutôt de savoir s'il existait ou non chez l'être humain des instincts égoïstes trop forts pour être civilisés par l'apprentissage de la vertu, la gauche se fiant davantage que la droite à une grande plasticité dans la psychologie humaine.

Depuis quelques années cependant, des expériences menées par des psychologues tendent à montrer qu'un sentiment de "fair-play" émerge spontanément chez l'enfant sans qu'il soit explicitement sollicité. Bien sûr, la part de l'apprentissage dans le comportement, une fois le langage acquis, est impossible à préciser.

Mais une étude scientifique récente (Schmidt M. F. H., Sommerville J. A. (2011), Fairness Expectations and Altruistic Sharing in 15-Month-Old Human Infants, PLoS ONE, vol 6, nº 10, 2011) est à ce titre étonnante, car elle semble démontrer l'émergence d'un sens de la justice chez des enfants... de seulement 15 mois.

DEGRÉ DE SURPRISE

Comment peut-on avoir la moindre idée de ce qui se passe dans la tête d'un enfant de 15 mois ? L'ingéniosité de cette étude consiste à mesurer, par la durée du regard de l'enfant pour une seule partie de son champ visuel, le degré de sa surprise par rapport à ce qui s'y déroule.

Les objets et les événements familiers n'attirent pas longtemps son regard.

Mais les chercheurs ont pu constater que leurs jeunes sujets regardaient pendant bien plus longtemps une scène où des adultes répartissaient de façon inégale un gâteau ou un verre de lait entre deux autres enfants qu'une scène tout à fait identique, mais où la répartition était égale.

Certes, un nourrisson pourrait en être surpris, sans pour autant éprouver un sentiment d'injustice. Une deuxième partie de l'étude a donc observé le comportement des sujets lorsqu'ils jouaient ensemble.

Certains enfants partageaient plus spontanément leurs jouets avec leurs camarades. Or, ce sont précisément ces enfants "partageurs" qui avaient été les plus surpris par la répartition inégale.

C'est la corrélation entre la surprise et la tendance au partage qui a convaincu les chercheurs que le regard surpris des enfants témoignait d'un sentiment de justice affronté, plutôt que d'une simple curiosité anthropologique.

A moins qu'il ne s'agisse d'une volonté, qui conviendrait mieux à l'Homo economicus de nos économistes classiques, de bien identifier de quel côté il fallait se ranger dans l'avenir... Savoir combien le monde est injuste est en effet une aide fort utile à la survie. Mais cela ne devrait-il pas alors intéresser les non-partageurs tout autant que les partageurs ?

Peut-être s'agit-il d'une source de surprise plus profonde encore. Les enfants partageurs qui se rendent compte qu'il existe des adultes non partageurs pourraient-ils éprouver moins un sens de l'injustice qu'un simple étonnement - il existe des gens pour qui le partage évident d'un gâteau ne consiste pas à en donner la même part à tout le monde !

Que les enseignants de l'éducation civique ne désespèrent pas. Même si nous découvrons que notre sens de la justice est construit sur des bases innées, l'apprentissage de la vertu n'en perdra pas son importance pour autant.

Le Monde Eco  entreprise du mercredi 25 avril 2012.
Le Monde Eco entreprise" du mercredi 25 avril 2012. | DR

Open bundled references in tabs:

Leave a Reply