Guérir un traumatisme passe par le corps

Il est des événements dont la seule évocation nous met dans tous nos états. Une telle blessure peut se guérir. En travaillant sur les émotions, mais aussi sur le corps.

La mort violente d’un proche, un attentat, une catastrophe naturelle, une agression: peut-on se remettre d’un traumatisme? Ces dernières décennies ont vu éclore beaucoup de thérapies: le travail sur le corps y est omniprésent.

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Olivier Piedfort, psychologue-psychothérapeute FSP, spécialiste en psychotraumatologie.

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«Parler n’est qu’une première étape. Elle n’est même pas toujours nécessaire et peut parfois carrément provoquer de gros dégâts en retraumatisant la personne», explique

Olivier Piedfort, psychologue-psychothérapeute FSP, spécialiste en psychotraumatologie.

Car le traumatisme, c’est avant tout une histoire du corps: le corps menacé, le corps qui réagit. Notre système de gestion des dangers, c’est cette partie du cerveau extrêmement ancien qu’on partage avec les animaux. S’enfuir, contre-attaquer ou rester figé (faire le mort), c’est une question de mouvements du corps: donc, c’est sur lui qu’il faut agir.

Le yoga et le qi-gong plus efficaces que la thérapie verbale

En pionnier, le neuropsychiatre américain Bessel van der Kolk avait fait des vagues en lançant que le yoga et le qi-gong étaient plus efficaces que la thérapie verbale. «C’est seulement en vivant dans son corps une expérience qui contredit le sentiment d’impuissance associé au trauma qu’on peut réussir à le surmonter», disait-il. En 1996, il illustrait les limites de la parole en montrant que chez les personnes qui vivent un syndrome de stress post-traumatique, l’évocation de l’événement douloureux entraîne deux réactions simultanées: l’une qui active le siège de la détection du danger, l’autre qui éteint celui de la parole.

Et pas besoin d’avoir vécu un attentat. Définir ce qu’est un traumatisme reste toutefois difficile. Certains pointent un événement lors duquel la personne s’est sentie menacée dans son intégrité physique ou psychique et qui a entraîné une très grande peur, de l’impuissance ou un sentiment d’horreur. La personne développe alors ce qu’on appelle le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) qui regroupe notamment des cauchemars, de l’angoisse, des flash-back de l’événement, de l’évitement et un état d’alerte permanent.

Les malheurs ordinaires vécus dans un sentiment d’impuissance et de désespoir laissent aussi des traces dans le corps même s’il n’en résulte pas tout l’éventail des symptômes de stress post-traumatique, pour Bessel van der Kolk. Des faits apparemment bénins peuvent faire des dégâts; le traumatisme est si commun que la plupart des gens ignorent qu’ils en souffrent, avance quant à lui Peter Levine, docteur américain en biophysique médicale et psychologie.

«La question pour Olivier Piedfort est de savoir si c’est l’événement qui est traumatique en tant que tel ou si c’est la réaction qui définit l’événement comme traumatique pour la personne. Certains vont réagir différemment selon les ressentis psychologiques, selon des facteurs externes familiaux, selon leur état de fatigue.»

Le choix d’une méthode au cas par cas

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Pascale Brillon, psychologue.

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Pour Pascale Brillon,
un travail sur le corps ne se justifie pas pour tous les patients. «Il est incontournable, particulièrement quand le corps a été le siège du trauma (viol, agression, accident). Mais il est important que ce soit le thérapeute qui s’ajuste au patient et non l’inverse», insiste cette psychologue.

Auteur de nombreux ouvrages pratiques sur le traumatisme et la mort traumatique – ou quand les symptômes de deuil sont hors du commun, car la mort est hors du commun – elle aide avant tout les patients à reconnaître, exprimer leurs émotions, les comprendre, les accueillir, les valider.

Ressentir de la honte, de la culpabilité, par exemple rester figé face à un événement, c’est une réaction commune qui entraîne beaucoup de culpabilité. C’est pourtant une réaction normale à un événement anormal.

Le choc bouleverse aussi les pensées et les croyances et entraîne des évitements de tout ce qui peut ressembler ou faire penser à l’événement: refuser de prendre les transports publics après un attentat dans le métro ou ne plus prendre le volant après un accident de la circulation. En gros organiser sa vie en fonction du traumatisme. L’évitement ne fera pourtant que renforcer la peur. D’où un accompagnement personnalisé de la personne dans des exercices pour qu’elle puisse se réapproprier, graduellement, les situations de sa vie quotidienne.

Dans son approche cognitivo-comportementale, Pascale Brillon propose aussi des exercices de respiration et de relaxation. D’ailleurs, les psychothérapeutes utilisent aujourd’hui assez volontiers, en parallèle, des approches corporelles, le yoga, la relaxation, des exercices de respiration,

de la méditation de pleine conscience (mindfulness). Histoire de reconstruire les liens corps-esprit. Ou l’EMDR. Une thérapie découverte par hasard dont l’abréviation signifie en anglais désensibilisation et retraitement des informations avec l’aide de mouvements oculaires. «On ne sait toujours pas pourquoi, mais avec des stimulations latérales au niveau oculaire, des tapotements alternés ou encore des sons alternés, ça semble activer un système inné d’intégration des événements. Quand certains événements dépassent notre système d’intégration, on reste bloqué. L’EMDR va débloquer la situation et agir à tous les niveaux, cognitif, émotionnel et corporel», explique Olivier Piedfort.

Effectuer des actions inachevées, comme frapper son agresseur

Le traumatisme dû à un manque d’intégration: la notion n’est pas nouvelle. Elle date d’un certain Pierre Janet, philosophe, psychologue et médecin français contemporain de Freud, en 1910 déjà. Pour lui, les symptômes sont des actions qui n’ont pas pu être achevées à cause du traumatisme – comme frapper son agresseur. Il préconisait qu’elles soient achevées lors de la thérapie.

C’est ce que propose aussi Peter Levine avec sa

Somatic Experience. (lien en anglais) Sa thérapie corporelle brève vise à défiger une partie du système nerveux, en se basant sur les réactions des animaux. Pour lui, il est carrément inutile de faire appel aux souvenirs. Les symptômes traumatiques ne sont pas causés par l’événement lui-même. C’est de l’énergie emprisonnée dans le corps. Laissez-vous guider par vos instincts biologiques, faites le tigre, c’est sa devise!

© Migros Magazine – Isabelle Kottelat

 

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