Entre frère(s) et soeur(s), des liens se créent forcément, mais quelle valeur ont-ils ? Que peut-on tirer de ces relations familiales ?
Lorsque l’on m’a annoncé « ça y est, ton petit frère est né », je me souviens avoir été particulièrement dérangée. Pardon, quoi, quel bébé ? Il n’était même pas marrant et ne savait rien faire de particulier (sauf hurler) (le relou) et pourtant tout le monde, mon père, ma mère et ma sœur, avait l’air de le trouver tout à fait formidable – c’était un grand mystère.
C’était plutôt mal parti entre nous et pourtant, aujourd’hui, mon frère et ma sœur font partie des gens que j’aime le plus au monde (mais aussi de ceux avec qui je peux me friter bien fort), et ce lien-là, cette question de fratrie, ça m’interroge : que peut-on dire des liens entre frères et sœurs ? Nos frères et sœurs ont-ils une influence sur nos vies ? Notre place dans la fratrie est-elle importante ?
Dans un article pour le magazine Cerveau Psycho, le psychologue Jürg Frick aborde le sujet et nous donne quelques clés pour mieux comprendre les liens entre les frères, les sœurs… et leurs parents.
Frères et sœurs : des liens essentiels
Souvent, on entend dire que ce qui compte, ce qui nous fout en l’air ou ce qui nous sauve, ce sont nos relations avec nos parents. Vous savez quoi ? Les frères et sœurs (et on ne parle pas ici uniquement de ceux et celles avec lesquels nous partageons des « liens de sang ») sont tout aussi importants ! Au même titre que nos parents, ils et elles sont des « agents sociaux », des personnes avec lesquelles nous interagissons régulièrement, qui nous marquent, qui contribuent à faire de nous ce que nous sommes, qui participent à construire notre identité.
Que nous le voulions ou non, notre fratrie a une empreinte sur ce que nous sommes et sur nos vies : les expériences, les épreuves, les sentiments, les réactions que nous avons partagé ont construit un lien fort, même s’il n’est pas nécessairement positif.
Pour Frick, les relations entre frères et sœurs seraient particulièrement marquées par l’ambivalence : ils/elles sont des alliés et des repères, mais aussi des concurrents et facteurs limitants.
Jürg Frick souligne qu’il n’existe pas de « non relation », de « non impact » des frères et sœurs : une mauvaise relation, ou l’absence de relation sont aussi des formes de relation, et disent quelque chose de notre famille, de nous.
Régulièrement, les enfants de fratries sont comparés aux enfants uniques : les uns sont-ils plus heureux que les autres ? Il semblerait qu’il n’y a pas de différence majeure entre les enfants uniques et les autres. Les enfants uniques n’ont pas de plus grandes difficultés, ils ne réussissent ni plus ni moins, sont aussi satisfaits de leurs vies…
La place dans la fratrie a-t-elle une importance ?
Notre fratrie nous marque, et nous pouvons même aller plus loin : notre position dans la fratrie aurait également une influence sur nous.
En 1997, Franck Sulloway rassemble des informations sur 10 000 Américains et les analyse en fonction des positions dans les fratries.
Le chercheur note une différence entre les aînés et les plus jeunes : selon ses observations, les premiers auraient généralement une tendance à être plus obéissants, plus raisonnables, et les plus jeunes seraient plus rebelles vis-à-vis de leurs familles, plus tournés vers les nouvelles expériences, et auraient une volonté de conquérir leur place. Les enfants « du mileu », eux, seraient plus diplomates – ce qui viendrait de leur double casquette : ils sont à la fois le grand et le petit.
Pour Sulloway, chaque enfant occuperait une « niche » dans la famille : il apprend comment attirer l’attention de ses parents, comment se comporter… Si l’aîné peut construire sa propre niche, en revanche, les enfants nés après lui doivent se construire en face de cet aîné et ajuster leur niche en fonction de la sienne.
Par exemple, si le premier enfant est joyeux et sociable, l’enfant suivant aura deux possibilités : soit se conformer et essayer de dépasser le premier enfant (devenir encore plus joyeux et sociable), soit prendre un autre rôle (devenir solitaire).
La série animée Daria est une bonne illustration du mécanisme. Daria, l’aînée, apparaît intellectuelle et asociale, et, à l’inverse, Quinn, sa sœur cadette, est présentée comme superficielle et hypersociale. L’exemple est caricatural, mais vous voyez l’idée !
Du coup, dans pas mal de familles, ce schéma prédomine : un enfant est perçu comme un intellectuel, l’autre comme un sportif. L’un comme un casse-cou, l’autre comme un peureux. Dans son article, Jürg Frick explique que l’on pourrait qualifier ce phénomène d’opposition de « désidentification » ; certains enfants nés dans une même famille se construisent par opposition les uns aux autres.
Pour appuyer son propos, l’auteur souligne que lorsque l’on fait passer des tests à des vrais jumeaux élevés ensemble et à des vrais jumeaux élevés séparément, les premiers ont des résultats qui diffèrent plus que les seconds !
La plupart du temps, les parents attribuent ces différences à des questions de caractères, des personnalités, et peuvent être persuadés d’avoir élevé tous leurs enfants de la même manière. Mais c’est une mission impossible : chaque enfant naît dans un moment différent, a une vie différente, des interactions différentes. Lorsqu’un second enfant voit le jour, les parents ne sont déjà plus les mêmes que lors de la naissance du premier !
En somme, chaque enfant est élevé de façon plus ou moins différente, tente de construire son identité propre, et le fait « par rapport » à ses frères et sœurs, avec ou sans lien de sang.
Jalousies et rivalités
Si vous avez des frères et sœurs, vous savez certainement que les relations sont parfois loin (très loin) du long fleuve tranquille – on n’est pas les Lannister de Game of Thrones, mais les choses peuvent s’envenimer. Nous pouvons être jaloux, nous sentir en compétition, ne pas kiffer les choix de nos aînés et cadets.
Si les choses ne dérapent pas et ne dépassent pas les bornes, ces sentiments sont sains. En revanche, lorsque la jalousie et la mésentente prennent trop de place, la relation peut être source de souffrance et dévastatrice (notamment en cas de violences physiques et psychologiques).
Parfois, le problème ne se situe pas dans la relation entre frères et sœurs, mais dans la relation entre les parents et leurs enfants : un enfant peut se sentir négligé, préféré, ou trop comparé…
Pour les parents, le danger, ce serait de faire des comparaisons maladroites entre leurs enfants. Avec des « ton frère, lui », des « prends exemple sur ta sœur », les parents risquent non seulement de blesser les enfants, mais aussi de mettre à mal la relation qui existe entre frère(s) et soeur(s).
Finalement, les relations fraternelles sont essentielles et extrêmement complexes. Elles nous marquent, elles nous forment, elles peuvent nous aider ou nous blesser… Il vaut donc mieux en prendre soin !
Pour aller plus loin…
- L’article de Jürg Frick pour Cerveau Psycho
- Un papier de Sciences Humaines à propos de la famille nombreuse
- Une étude de la CAF sur la famille recomposée
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