Face aux violences, les pompiers font appel aux psychologues

Agressés samedi 3 août, cité de la Reynerie à Toulouse, les trois pompiers qui ont essuyé coups, jets de pierres et menaces de mort demeurent en arrêt de travail. Le temps pour eux de se "reconstruire" psychiquement, laisse entendre le colonel Patrick Toufflet, directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Haute-Garonne. "Mettez-vous à leur place : vous venez aider, et vous prenez un coup de pied dans la tête."

Selon lui, une étape a été franchie : ces violences perpétrées par quelques jeunes – tandis que d'autres s'interposaient – ont empêché les pompiers de porter secours. Ils ont rebroussé chemin. Entre 2007 et 2011, les agressions envers les soldats du feu ont augmenté de 35 %, passant de 898 à 1 210 par an, selon le ministère de l'intérieur.

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Pour aider les quelque soixante-dix militaires agressés chaque année, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, qui intervient également dans trois départements limitrophes (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne), s'est dotée d'une section médico-psychologique sise caserne de Port-Royal, à Paris, que dirige Nelly Lavillunière, médecin urgentiste et psychologue clinicienne.

Recevez-vous de plus en plus de pompiers ?

Je ne suis pas autorisée à vous le dire. Mais les conditions d'exercice du métier sont probablement plus difficiles. Les pompiers ne peuvent plus compter sur le mythe du héros. Des casernes reçoivent des menaces de mort par téléphone. L'une d'entre elles a même été directement attaquée.

Une organisation collective s'est mise en place. Les pompiers sont formés aux techniques d'autodéfense. Ils arrivent casqués, même si c'est en voiture. Les vitres de leurs engins ont été renforcées. Ils sont dotés d'appareils photo, pour garder la trace des agresseurs. Des engins pompes 4 x 4 utilisés en milieu rural ont été affectés dans les cités, pour pouvoir passer les trottoirs hauts et s'échapper plus vite.

Et des plans ont été concoctés avec les forces de l'ordre pour définir secteur par secteur les modalités d'intervention. La mission reste la même mais il leur faut s'adapter aux évolutions sociétales.

Depuis quand une prise en charge psychologique est-elle proposée aux pompiers ?

La section a ouvert en 2004. La plupart des centres de secours de France en sont dotés désormais. Une plus grande attention est portée aux souffrances psychiques. L'époque où l'on faisait défiler les nouvelles recrues devant les pendus pour les aguerrir est révolue.

Nous menons des formations internes pour aider les pompiers à mieux comprendre leurs réactions et celles des victimes. Après les interventions qui génèrent des émotions intenses, un bilan psychologique succède de plus en plus souvent au débriefing technique. Les jeunes ont tous entendu parler de psychologie, ils ont moins de pudeur à exprimer leurs émotions que leurs aînés.

Etre agressé lorsque l'on vient en aide, est-ce particulièrement traumatisant ?

On parle trop vite de traumatisme. Nos pompiers sont souvent des jeunes venus de province qui se retrouvent confrontés à toutes les formes de violences de la société actuelle. Ils portent la misère sociale sur leur dos, avec ce que cela suppose de mobilisation des affects. Lorsqu'ils sont agressés, ils sont atteints dans leur éthique.

Le taux d'usure professionnelle est important. Je perçois en consultation de la souffrance, un ras-le-bol, un regard négatif sur le monde. Mais pas de perte de sens de leur mission comme chez les enseignants ou les policiers. Il y a peu de suicides parmi les pompiers.

Dans quels cas y a-t-il un vrai traumatisme durable ?

L'événement doit avoir été soudain, avoir généré sentiment d'impuissance et frayeur, et donné à penser sa propre mort. Pour que ce traumatisme s'inscrive durablement, encore faut-il que s'ajoutent des facteurs individuels liés au passé, à la vie du pompier. En consultation, nous aidons la personne à retrouver ce petit moment qui lui a manqué, où elle a été sidérée, pour qu'elle lui donne du sens. Et en fasse une histoire passée.

Ces cas demeurent-ils rares ?

Oui, car les pompiers sont préparés. Ils savent que chaque intervention peut dégénérer. Ceux qui ont un peu d'expérience font la différence entre ce qu'ils représentent avec leur uniforme – l'armée, l'Etat – et ce qu'ils sont. L'enchaînement incessant des interventions aide à relativiser chacune d'entre elles. Et puis il y a la force du groupe, du sentiment d'appartenance, de reconnaissance, qui offre une défense collective, évite une remise en cause personnelle.

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