Eurocrim 2014 : Prague a accueilli des criminologues du monde entier

Photo: Site officiel de la conférence Eurocrim 2014Photo: Site officiel de la conférence Eurocrim 2014

Même si le crime est né avec l’homme, l’histoire de la criminologie
comme discipline scientifique indépendante ne commence qu’à la fin du
XIXe siècle, voire même plus tard encore. Aujourd’hui, elle occupe une
place assez importante dans les études du crime. Cette science très
appréciée des amateurs des thrillers américains, est pourtant souvent
confondue avec une autre science : la criminalistique. Professeure de
criminologie à l’Université Rennes 2, Astrid Hirschelmann, qui a
présenté à Prague sa recherche sur la sérialité et les tueurs en
série, clarifie la question de la différence entre ces deux sciences :

« Pour moi, la criminalistique est une vraie science criminelle qui
concerne les techniques du crime et l’enquête, tandis que la
criminologie est l’étude plus générale du phénomène criminel avec
une approche très pluridisciplinaire où il faut connaître à la fois le
droit, la psychologie, la sociologie, la géographie, l’économie, la
politique, la médecine et la biologie, en fait toutes les approches qui
sont nécessaires pour aider à mieux comprendre le phénomène criminel. »

Astrid Hirschelmann, photo: Site officiel de l'Université Rennes 2Astrid Hirschelmann, photo: Site officiel de l'Université Rennes 2

Science qui fait appel à de nombreuses disciplines, la criminologie a
cependant un statut assez variable. Rarement enseignée comme telle dans la
plupart des pays européens, elle bénéficie d’une grande reconnaissance
dans les pays occidentaux, surtout aux États-Unis. Comme le titre de la
conférence le sous-entend, le travail d’un criminologue est marqué par
sa diversité. Astrid Hirschelmann précise sur ce point :

« Il contribue à aider à comprendre qui et pourquoi a commis le crime,
donc il peut aider à l’enquête. Il aide surtout après pour
l’expertise des personnes qui sont mises en examen pour un crime. Il aide
aussi à l’expertise des victimes. Il peut donc faire toute la prise en
charge et le traitement des victimes comme des auteurs et tout
l’environnement aussi. Il va aussi contribuer aux questions de
prévention et de réinsertion, alors non seulement l’enfermement et le
traitement mais aussi tout ce regard plus prospectif. »

La Société européenne de criminologie (ESC), qui a pour l’objectif de
faciliter la coopération entre les spécialistes en criminologie de toute
l’Europe, a été créée en 2000. Cette même année, les criminologues
ont eu une première occasion de présenter les résultats de leurs
recherches lors d’un colloque organisé à Lausanne, siège de la
société. Et après différentes villes de toute l’Europe, Prague
s’est lancée à son tour dans l’organisation de cette conférence
annuelle. Directeur de la Société tchèque de criminologie, Miroslav
Scheinost nous parle de cette expérience :

Miroslav Scheinost (le premier à gauche), photo: Site officiel de la conférence Eurocrim 2014Miroslav Scheinost (le premier à gauche), photo: Site officiel de la conférence Eurocrim 2014

« Il s’agit de la quatorzième édition de cette conférence dont
l’organisation est chaque année confiée à un autre partenaire de
l’ESC. La conférence a été déjà organisée par treize pays
européens, y compris quelques pays dits postsocialistes, et nous, les
criminologues tchèques, avons ressenti le besoin de montrer que nous
étions nous aussi capables d’organiser une telle conférence. »

Parmi cette foule de criminologues présents à Prague durant trois jours,
une cinquantaine de francophones venus de France, de Belgique, de Suisse et
du Québec, ont présenté leurs recherches. Outre les thèmes classiques
tels que l’homicide, le terrorisme, le viol, les drogues, la violence
conjugale, la délinquance juvénile ou encore l’influence de
l’immigration sur la criminalité, la conférence a offert des débats
sur des questions plus théoriques comme l’organisation de la police, la
prévention et la punition ou les études comparatives.

Compte tenu de l’interdisciplinarité de la criminologie, la conférence
a permis aussi la présentation de nombreuses recherches psychologiques qui
se focalisent non seulement sur la psychologie des auteurs des crimes et
des victimes mais aussi sur les conséquences de l’incarcération et de
l’acte criminel sur leurs proches. En France, la psycho-criminologie
réalise une grande part des études de criminologie. Etudiantes en
doctorat de psychologie à l’Université Rennes 2, Aude Ventéjoux et
Céline Lémale ont présenté à Prague leurs travaux consacrés à la
psychologie des enfants ayant un parent en prison :

Photo: Site officiel de la conférence Eurocrim 2014Photo: Site officiel de la conférence Eurocrim 2014

« L’idée est d’offrir aux enfants un espace qui leur soit dédié,
où ils peuvent évoquer la situation d’incarcération sans leurs
parents, sans leurs proches, et puis en parler entre eux pour échanger
leurs expériences et la façon dont ils gèrent cette situation
quotidienne. La psycho-criminologie qu’on travaille en France est
vraiment tout ce qui est lié au champ pénitentiel. Même si ces enfants
ne sont pas incarcérés, ils sont quand même affectés par cette
situation d’incarcération et par ce milieu pénitentiel en tant que tel,
et c’est pourquoi ce travail peut entrer dans le champ plus large de la
criminologie. »

La psychologie n’était pas la seule discipline marginale représentée
à la conférence, ce que confirme la multitude de recherches orientées
vers la sociologie et le droit. Cette année, la conférence a été
marquée par la présentation de plusieurs études s’intéressant aux
conditions de vie dans les prisons et à la violation des droits de
l’homme dans les centres de détention. Ainsi, Stefan Bérard, un juriste
fribourgeois, mène ses études sur les problèmes législatifs qui
apparaissent en Suisse dans ce domaine concret :

« Nous sommes une équipe pluridisciplinaire qui travaille sur la fin de
la vie dans les prisons en Suisse. Nous faisons une analyse du cadre légal
autour de la question. L’intérêt pour la question est fort, notamment
à cause de l’absence d’un cadre légal spécifique qui régirait cette
question en Suisse et parce que le nombre de personnes qui vont être
amenées à mourir en prison va très probablement augmenter de manière
drastique lors des prochaines décennies. »

Photo: Site officiel de la conférence Eurocrim 2014Photo: Site officiel de la conférence Eurocrim 2014

En comparaison avec la France, la criminologie tchèque est une science
encore en développement. La Société tchèque de criminologie, qui
collabore avec le département de la sociologie de la Faculté des lettres
de l’Université Charles et le ministère de la Justice, regroupe
actuellement 160 membres environ. Même si elle n’a été fondée qu’en
2012, Miroslav Scheinost évoque son avenir avec optimisme :

« Même si la criminologie tchèque trouve ses racines dans un passé
lointain, son histoire a été très mouvementée. Développée dans les
universités, son évolution a été interrompue en raison de la fermeture
des universités par les Allemands durant la Deuxième Guerre mondiale
avant, comme d’autres disciplines scientifiques d’ailleurs, d’être
déclarée inutile en 1948. Il faut dire objectivement que la tradition et
la situation actuelle sont deux choses bien différentes. La base de la
criminologie tchèque contemporaine n’est pas très vaste. Par contre,
non seulement la criminologie française est plus importante en termes
d’effectifs, mais elle doit également réagir à des questions qui ne
nous affectent pas. L’immigration, par exemple, est une question
jusqu’à présent peu traité en Tchéquie. Mais c’est une bonne raison
de plus pour nous d’aller découvrir ces connaissances de la criminologie
française pour nous en inspirer et peut-être aussi continuer ces
recherches. »

S’inspirer des expériences d’autres est très précisément
l’objectif de ces réunions annuelles. Comme d’autres participants, le
jeune chercheur Stefan Bérard évalue la conférence très positivement.
Il affirme en avoir apprécié l’apport pour la suite des études de
criminologie en Europe :

Photo: Site officiel de la conférence Eurocrim 2014Photo: Site officiel de la conférence Eurocrim 2014

« Ce qui est très intéressant pour la communauté des chercheurs,
c’est la possibilité de rencontrer des personnes qui travaillent dans
les mêmes domaines ou dans des domaines similaires au nôtre. Cela nous
permet de pouvoir échanger nos points de vue sur certaines pratiques ou
simplement sur certaines manières de faire différentes. Ce que je trouve
extrêmement intéressant, c’est l’opportunité en quelques jours de
pouvoir passer en revue les cadres légaux de différents pays et ainsi
pouvoir orienter des recherches et comparer différents systèmes. »

La Conférence européenne de criminologie organisée à Prague a
rencontré un énorme succès. La 15e édition, intitulée « La
criminologie comme unitas multiplex : les développements théoriques,
épistémologiques et méthodologiques »
, aura lieu à Porto du 2 au 5
septembre 2015.

Open all references in tabs: [1 - 6]

Leave a Reply