Euphémisme, tact et psychologie aux pompes funèbres – Funéraire

Les croque-morts ne le savent pas, mais ils sont maîtres incontestés d’une figure de style littéraire : l’euphémisme. Et mieux vaut en connaître les arcanes pour prétendre exercer.
L’euphémisme

Le mot euphémisme vient du Grec « euphemismos », de « phêmi » (« je parle ») et « eu » (« bien, heureusement »). Concrètement, de quoi s’agit-il ? C’est une figure de style visant à atténuer l’expression de faits ou d’idées afin d’en adoucir la perception. Vous en connaissez, vous allez voir.

L’abus d’euphémisme ou son usage à tort et à travers a acquis un nom bien connu : le politiquement correct. Ainsi, on parlera d’un « non voyant » pour un aveugle, senior pour les vieux, incivilités pour les dégradations de biens et agressions de personnes, etc…

En quoi l’euphémisme est il utile au croque-morts ? En tout, absolument en tout. La rencontre avec une famille est un exercice d’euphémisme généralement résumé à une recommandation « Fait extrêmement attention à ce que tu dis ».

Euphémisme au quotidien

Au quotidien, l’euphémisme aux pompes funèbres consiste tout simplement à choisir le vocabulaire le plus « doux » possible. Ainsi, on ne demande pas « Quand est morte votre maman ? » mais « A quelle heure le médecin a-t-il prononcé le décès ? » voire encore « A quel moment est elle partie ? ».

Cette utilisation d’un vocabulaire atténué est important : les mots et assemblages de mots ne sont pas seulement des signifiants bruts, mais des signifiants suggestifs. Pour faire simple : une expression est décryptée par notre cerveau, qui la compare à son « dictionnaire » interne, et cet accès à la mémoire libère aussi bien une définition abstraite que des images concrètes. S’il n’y en a pas, il en profite pour agrandir sa base de données.

Et si la confrontation à la mort se double de mots durs, cela peut avoir une influence sur le deuil. Les proches parcourrons les étapes du deuil avec l’image de l’être cher décédé, et le groupe de mots associés, soit « elle est partie » qui suggère une séparation, une absence, événement certes triste, surtout quand elle est définitive, soit « elle est morte » qui a une tonalité beaucoup plus sinistre et glaciale. Ces mots donneront la tonalité du deuil, et donc définiront sa « qualité ».

A notre que les mots ont un caractère définitifs : vous aurez beau parler de « départ » ou de « décès » (qui est, curieusement, plus abstrait que connoté), il suffit que vous empruntiez une fois le champ lexical de la mort pour que ce vocable s’imprime : dans les situations de perte, l’esprit choisi le chemin le plus négatif.

L’euphémisme nécessaire

Le sujet devient particulièrement aigu lorsque le proche est décédé dans des circonstance brutales ou sordides. Dans ces cas là, non seulement l’usage d’un mauvais vocabulaire peut imprimer les images mentales que nous avons évoquées au dessus, mais peut provoquer ou accentuer un autre sentiment, la culpabilité.

Le cas typique est celui d’une découverte de corps. La famille, lorsqu’il y en a une, entretient souvent, dans ces cas précis, des liens distendus, peu importe la raison. Lorsque le corps est découvert, en état de décomposition avancé, le phénomène fréquent est que les proches veulent se recueillir pour, d’une certaine façon, « se faire pardonner ». Or, le corps n’est pas présentable.

On doit alors jongler avec le double euphémisme. A ce stade, il apparaît évident qu’une phrase telle que « L’état de décomposition du corps ne me permet pas de vous le montrer » est à rayer, bien entendu, mais, à proscrire également, « le temps a fait son oeuvre ». Bien que vous ne fassiez allusion ici qu’un phénomène de décomposition, la famille percevra un reproche sur la solitude du défunt. A vous de jongler avec les « circonstances de la découverte » et autres « conditions physiologiques ».

Euphémisme, tact et délicatesse aux pompes funèbres

Bien entendu, tout cela semble évident, et d’aucuns d’entre vous se seront certainement dit « Oui, mais c’est juste du tact, un peu de délicatesse, c’est l’évidence ». Hélas, pas si évident que cela pour tout le monde.

Et puis, c’est un phénomène bien connu de la profession : nous nous habituons tous à la mort et au deuil, et ce vécu combiné à une certaine expérience doublée d’une grande confiance en soi, fait qu’on s’oublie parfois un peu, terrain propice à l’erreur.

Pour éviter cela, et pour aider les nouveaux à prendre de bonnes habitudes, il ne suffit pas toujours de savoir qu’il faut le faire, mais une bonne compréhension de pourquoi il faut le faire est égalent nécessaire. Pourquoi croyez-vous que la psychologie soit obligatoire en formation ? Il y manque peut être juste un module de quelques heures de sémantique.

Voilà l’objet de ce petit rappel. Et, au passage, un motif de satisfaction : aux béotiens qui pensent que les métiers du funéraire sont des refuges pour celles et ceux qui n’ont pas faits d’études, nous pourrons rétorquer que cela ne nous empêche pas d’être des fins lettrés, maîtres de l’euphémisme. Ce n’est pas rien.

Guillaume Bailly

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