Et si l’homme descendait du viol?

En Indonésie, le jour où la cuisinière d’un primatologue fut violée par un orang-outan, son mari déclara qu’il n’y avait pas de quoi en être affecté, puisque le violeur n’était pas un humain. Cet incident donne lieu à l’une des très rares descriptions d’agression réelle dans cette Natural History of Rape. Curieusement, c’est l’opinion du mari plutôt que celle de la victime qui est citée. Détail symptomatique, puisque dans ce livre, les voix féminines et féministes sont écartées, car jugées idéologiques; les savants, à l’instar des auteurs, sont en quête de vérité objective.

Le viol est une agression sexuelle. Dans mon esprit, il est évident que vouloir le réduire soit à la sexualité, soit à l’agression, c’est en méconnaître la complexité. En adoptant un parti pris – le phénomène est avant tout sexuel –, ce livre pourrait être vu comme le nécessaire antidote à l’autre position dogmatique, qui y voit d’abord un rapport de forces. Défini comme copulation forcée, le viol est mécaniquement impossible en l’absence d’excitation génitale chez le mâle. Il est donc stupide de le considérer purement et simplement comme un crime haineux. Un pénis n’est pas un poing.

Cela ne signifie pas, cependant, que le viol soit affaire de pulsions naturelles, comme voudraient nous le faire croire Randy Thornhill et Craig T. Palmer. En tant qu’animaux qui se reproduisent sexuellement, les humains ont certes des pulsions. Mais affirmer que, dans des circonstances particulières, tous les hommes peuvent devenir violeurs, c’est comme dire que tout individu bloqué dans les Andes est capable de manger de la chair humaine. Même si c’était vrai, cela fait-il de nous des cannibales-nés?

Le numéro de Books, en kiosque actuellement
Le numéro de "Books", en kiosque actuellement.

S’inscrivant dans la tradition encore jeune de la psychologie évolutionniste, Thornhill, biologiste, et Palmer, anthropologue, dépeignent le viol comme un effet de la sélection darwinienne. Étant moi-même biologiste, je suis prêt à les écouter. Après tout, le viol peut mener directement à la transmission des gènes.

Mais, pour que la sélection naturelle favorise le phénomène, il faudrait que les violeurs se distinguent génétiquement des non-violeurs, et qu’ils aient besoin de déposer leur semence plus efficacement, pour ainsi dire, en entraînant davantage de grossesses que les autres, ou du moins davantage qu’ils ne le feraient sans agression. Les auteurs n’apportent pas la moindre preuve de l’existence de ces deux conditions. Ils pensent qu’il est superflu de fournir des informations sur les humains modernes parce que les seuls effets importants se situent dans notre passé évolutif. Cette période étant bel et bien révolue, il ne leur reste qu’à raconter une belle histoire, en s’affranchissant des exigences habituelles en matière d’administration de la preuve scientifique.

Les auteurs font un parallèle avec la mouche-scorpion, physiquement adaptée au viol. Le mâle est doté d’un organe «notal», une pince qui sert à maintenir la femelle non consentante en position d’accouplement. Bien sûr, l’homme ne possède rien de tel, mais peut-être est-il pourvu d’autres formes spécifiques d’«adaptation au viol». Les auteurs les recherchent dans la psychologie, qui n’est hélas! pas aussi facile à décortiquer que l’anatomie des insectes. Les hommes ont l’art de détecter la vulnérabilité féminine, les jeunes éjaculent très vite, mais cela ne prouve pas grand-chose.

Détecter la fragilité relève de notre faculté de jugement devant une personne ou une situation: une compétence à usages multiples également présente chez les femmes. Et l’éjaculation précoce peut simplement être provoquée par un mélange d’extrême excitation et d’inexpérience. Aucun des exemples empruntés à la psychologie ne prouve le moins du monde, à la manière de l’organe notal chez la mouche-scorpion, que la sélection naturelle favorise le viol dans l’espèce humaine.

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Frans de Waal

Primatologue, auteur de  «l'Age de l'empathie»
et de «la Politique du chimpanzé»

Article paru dans le «New York Times» le 2 avril 2000, traduit par Laurent Bury, et publié dans le numéro spécial que consacre «BoOks» au «Pouvoir du sexe» (en kiosque jusqu'à la fin janvier 2012).

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