Entraîneur, un métier singulier

Les saisons de sports collectifs touchent à leur fin. Certains clubs ont atteint leurs objectifs, d’autres vivent un échec. Cette réalité n’est autre que la règle du jeu. Dans ces moments, les émotions des joueurs sont observées, décortiquées. L’entraîneur, quant à lui, est souvent considéré avec plus de discrétion. Pourtant, son visage en dit long sur l’engagement consacré. Trop peu de travaux en psychologie du sport se penchent sur la situation de cet homme de terrain souvent fragilisé, vivant des contraintes qui ne cessent de se multiplier et des responsabilités de plus en plus variées. Heureusement, en France, Marc Lévêque nous aide à prendre conscience de la réalité du métier d’entraîneur qui « requiert compétences, expertises… et gestion des relations humaines dans un contexte de travail assidu et de tension vers l’objectif compétitif » (In Psychologie du métier d’entraîneur, 2012, p.90). Ses écrits nous permettent de saisir la complexité de ce rôle et nous conduisent nécessairement à nous interroger sur la pertinence des formations reçues et sur l’éventualité d’un accompagnement.

Dans un chapitre intitulé « Approche clinique de la relation entraîneur-entraîné » (In Psychologie du sport et de la performance, Sous la direction de Greg Décamps, 2012, p.89-101), Marc Lévêque décrit l’activité d’entraîneur comme « un métier hypermoderne, voire emblématique de la société » (p.91) compte tenu de son évolution permanente, de l’exposition psychologique dont il fait l’objet et de sa visibilité publique.

L’entraîneur remplit un rôle qui s’étoffe sans cesse, ses domaines d’actions s’étendent, ne faisant qu’accroître ses responsabilités et le poids qui pèse sur ses épaules. Ainsi, il se trouve quotidiennement dans l’obligation d’agir en dehors de ses domaines de compétences, l’obligeant à s’éloigner des terrains. Dans cette mouvance, il n’est pas rare qu’il soit contraint d’apprendre sur le tas, d’improviser, les formations suivies ayant malheureusement toujours un temps de retard sur les évolutions constatées et la pluralité de ces dernières. En effet, selon l’organisation de la structure, les contextes, le niveau de pratique… les exigences, les adaptations requises changent. Alors l’entraîneur s’adapte, parfois invente dans un quotidien où le stress ne s’absente plus. La « métamorphose » de son métier l’oblige à interagir avec un nombre croissant d’acteurs : président, joueurs, membres des staffs technique et médical, homologues aux différents échelons de la structure, intendants, responsable de la sécurité, actionnaires, sponsors, responsable des installations, agents, supporters, journalistes, commerçants, associations caritatives, maire et élus locaux… Dans cette tempête d’interventions, l’entraîneur organise son temps, le partage, cherchant à répondre au mieux aux diverses sollicitations, à être conforme aux attentes… Puis, il se retrouve seul dans son bureau, face à ses responsabilités, à ses choix, à ses incertitudes. Cet homme est-il véritablement placé dans les meilleures conditions pour exercer ses qualifications premières ? Prendre des décisions demande de la lucidité, de la fraîcheur, afin d’identifier les éléments pertinents, essentiels à la performance à venir, afin d’anticiper les dangers et de s’organiser en conséquence. Pas si simple lorsqu’une partie importante de votre attention a été distribuée sans compter ailleurs. D’autant qu’il devra se justifier.

Si la situation réelle de l’entraîneur soucie peu, l’homme et ses comportements sont quant à eux étudiés à la loupe : les médias, en tête, se chargent de juger ses choix, son langage, son style… Les analyses allant parfois jusqu’au ridicule : souvenez-vous de cet article quelques saisons en arrière dans lequel la personnalité des entraîneurs était décryptée en fonction de leurs tenues vestimentaires !

Dans ce système, l’entraîneur doit afficher ses forces, il s’interdit la plupart du temps de laisser transpirer la moindre faiblesse, de peur de susciter des interprétations à risque. Comme le souligne Marc Lévêque, « Ces hommes d’action pudiques et méfiants, échaudés par la virulence des jugements publics, exposés sans cesse à la concurrence, ne contribuent pas eux-mêmes à divulguer et rendre intelligible l’économie intime de leur implication » (p.93). Difficile de leur en vouloir puisqu’il est attendu qu’ils résistent sans faille aux attaques et aux agressions dont ils sont victimes (puisqu’ils sont payés pour ça !), qu’ils gèrent les conflits, qu’ils supportent la « déconsidération publique » et vivent main dans la main avec la menace d’un limogeage sous-javent.

Les écrits de Marc Lévêque méritent toute notre attention afin de porter un jugement lucide sur  « ce métier pragmatique » qui « est aussi une épreuve existentielle et éthique, lourde d’incertitudes et de tourments internes » (Lévêque, 2012, p.99).

Ils nous permettent également de mieux comprendre ce qui peut pousser un homme comme Pep Guardiola à stopper quelque temps ses activités. Les mots choisis pour s’expliquer résonnent alors davantage : «Quatre ans me semblent une éternité pour être à la tête d'un tel club, avec d'énormes matches tous les trois jours. Je me sens vidé »… « Je suis très fier d'avoir entraîné des hommes comme cela. A la tête d'un tel club. Mais je ne peux plus donner tout ce que j'apportais avant. ».

Dans ce métier, même la réussite épuise !



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