Discours – Najat Vallaud-Belkacem – 26/09/2015

Seul le prononcé fait foi,

Monsieur le Recteur, cher William Marois,
Madame la présidente de l’association française des psychologues de l’Éducation nationale (AFPEN), chère Véronique Le Mezelec,
Monsieur le vice-président de l’association française des psychologues de l’Éducation nationale (AFPEN), cher Laurent Chazelas,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,

 

Dans l’intitulé même du thème de votre congrès, il est révélateur que vous ne parliez pas d’élèves, mais d’enfant.

Révélateur car cela témoigne de la spécificité de votre regard. Non que nous ignorions qu’il y a derrière chaque élève, un enfant ou un jeune, mais parce que les mots ont parfois pu avoir tendance à masquer cette réalité : derrière l’élève, il y a une personne.

Si je reviens sur ce point, c’est qu’au fond, certaines situations passées peuvent laisser songeurs, voire rêveurs, puisque tel est l’un des thèmes de votre congrès.

L’École dans son ensemble a paru oublier, parfois, cette évidence : nous ne sommes pas ou rationnels ou émotionnels.

Nous ne sommes pas engoncés dans une dimension, mais nous sommes tous des êtres complexes, avec notre histoire, nos origines, nos difficultés, nos richesses.

Qui n’a pas fait cette expérience étrange de l’influence de notre état émotionnel sur nos jugements et nos raisonnements.

Face à un mur soigneusement recouvert de peintures pariétales enfantines, je n’ai pas la même réaction, selon l’heure, selon le moment : suis-je pressée, troublée, et voici que ces feutres appliqués à même le mur donnent lieu de ma part à une colère intense.

Suis-je détendue, reposée, et voici que, pour le même acte, je propose à l’enfant de réparer lui-même sa bêtise d’un coup d’éponge.

Oui, nous sommes, profondément, inévitablement, essentiellement humains.

Alors, évidemment, en disant cela, je ne prétends nullement vous livrer une information nouvelle. Mais elle est essentielle à prendre en compte dans le cadre de l’école.

Ne pas le faire, c’est refuser d’affronter la complexité de la réalité humaine, qui se manifeste à l’école avec une acuité particulière, avec des tensions, des conflits, pour lesquels l’apport de la psychologie est décisif.

Oui, il est sans doute plus facile de rêver l’école, d’envisager les élèves comme des entités neutres, aisées à saisir, sans méandres et sans difficultés.

Cela, avouons-le, simplifie grandement les enjeux. Un enfant échoue : "c’est qu’il ne veut pas. C’est de sa faute, pas de la nôtre."
Un jeune sort du système scolaire sans qualification. "Ah, mais, ce n’est plus de notre ressort. Qu’y pouvons-nous ? Cela ne nous concerne pas."

Oui, une telle posture est aisée. Confortable même. Ce n’est clairement pas la mienne, et je sais aussi que ce n’est sûrement pas la vôtre.

 

Comment ne pas admettre que ces émotions, qui tissent dans notre vie un filet si complexes de réactions et d’attentions, jouent également, dans l’apprentissage, dans la vie des élèves, un rôle fondamental ?

Oui, il y a au-delà des méthodes, des facteurs profondément humains qui viennent influencer aussi bien la réussite d’un professeur à transmettre et à enseigner que celle de l’élève à apprendre et à acquérir une autonomie.

Non, l’école n’est pas un lieu abstrait, isolé, hors du monde. C’est un lieu de vie, un lieu vivant, un lieu vécu.

C’est un endroit qui peut être celui d’un bonheur intense. Combien de personnes ont-elles, des années après, des souvenirs vivaces de tel professeur, de telle rencontre, de tel cours, qui ont, je cite, changé leur vie ?

Mais c’est aussi un endroit qui peut être celui de l’ennui, de la souffrance, d’une incompréhension qui, des années après, marquent encore une personne.

D’ailleurs, si l’École, en tant que sujet, soulève autant de débats, autant d’échanges, souvent vifs, parfois féconds, n’est-ce pas parce que nous avons tous, avec l’École, un rapport profondément vivant, que ce soit par notre passé d’élèves, notre présent de parents ou de professeurs, ou par l’avenir commun qui se dessine au sein même de l’École d’aujourd’hui ?

Ne pas tenir compte de cette dimension humaine, au cœur de l’École, est une grave erreur.

L’école, les élèves, les enseignants, l’ensemble de notre système éducatif, ont besoin, face aux défis qui sont les nôtres aujourd’hui, de solutions complexes, différenciées, et d’une multiplicité de regards complémentaires.

En tant que ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, il était donc de mon devoir d’appuyer l’École sur l’aide précieuse que constituent les apports de la psychologie. Justement car ce qui est en jeu dans chaque établissement scolaire, c’est le devenir de millions de personnes.

Oui, nous avons besoin que la pédagogie et la psychologie aillent de pair, si nous voulons pouvoir réellement, comme je le souhaite, agir contre les inégalités, agir contre le décrochage scolaire, agir contre toutes les formes de désaffiliation scolaire, mais aussi, plus généralement agir pour le bien-être de l’ensemble des élèves et de la communauté éducative.

C’est donc à un manquement grave que j’ai souhaité remédier en créant un corps unique de psychologues de l’Éducation nationale, de la maternelle jusqu’au lycée, dès le premier semestre 2016.

 

Ce changement permet d’abord de donner une cohérence d’ensemble à votre métier, en rompant avec la variété et la diversité des statuts passés.

Ce faisant, vous acquérez, aux yeux de l’ensemble de la communauté éducative une meilleure visibilité.
Cette cohérence s’établit en effet non seulement en unissant psychologues et conseillers d’orientation-psychologues, mais aussi en établissant entre l’exercice de la profession dans les écoles et dans les collèges, les lycées et les lycées professionnels, une meilleure complémentarité et une plus grande continuité.

C’est d’ailleurs avec le souci de mettre en évidence ce qui vous rapproche qu’ont été établies les appellations des deux spécialités. Débutant de la même façon par "éducation" et "développement", elles mettent en valeur ce tronc commun qui constitue votre cœur de métier.

Pour cette raison, nous avons mise en place une formation continue qui permettra de créer, entre les spécialités, des passerelles. Vous pourrez ainsi passer de la spécialité "Éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle" à celle d’"Éducation, développement et apprentissages" et inversement.

C’est donc la fin d’une situation pour le moins étrange, où ce qui vous définissait était moins la nature même de votre action, son essence, mais l’endroit où vous l’exerciez, avec parfois, selon que vous étiez dans le premier ou le second degré, des disparités importantes.

Celles-ci sont aujourd’hui révolues. Dans ce corps unique, les perspectives d’accès aux promotions seront identiques pour l’ensemble des psychologues de l’Éducation nationale.

Je n’irai pas jusqu’à prétendre que, ce faisant,  j’ai permis à votre rêve de devenir une réalité.

Ce serait pousser trop loin la relation avec le thème de votre colloque. Mais j’ai tenu compte de vos souhaits et de vos revendications légitimes, trop longtemps restées sans réponse.

La création de ce corps répond en effet à une attente, celle d’une reconnaissance statutaire, qui remonte à loin.

Vos prédécesseurs y aspiraient déjà en 1946, date à laquelle le plan Langevin-Wallon, de façon très claire, avait souligné l’importance de la psychologie dans l’École de la République. Je cite d’ailleurs ce plan, car près de 70 après, la justesse de cette phrase demeure : "La réforme de notre enseignement doit être l’affirmation dans nos institutions du droit des jeunes à un développement complet."

Un développement complet, c’est-à-dire un développement qui ne se résume ni à des notes, ni à des moyennes, ni à un parcours académique, mais qui intègre en son sein toutes les dimensions et toutes les facettes du devenir humain.

Ce corps unique de psychologues de l’Éducation nationale a donc vocation à intervenir dans de nombreuses situations, souvent délicates, auxquelles notre époque est confrontée.

Vous interviendrez ainsi dans la prévention des difficultés scolaires, mais aussi dans leur remédiation, dans le dispositif mis en place pour vaincre le décrochage, dans notre combat constant contre tous les phénomènes de radicalisation et contre le repli identitaire dont souffre nos établissements, dans la facilitation de la transition école-collège, dans l’incitation à un dialogue approfondi entre l’école et les familles, dans l’accompagnement des élèves, dans la promotion de l’égalité filles-garçons, vous constituez aussi des interlocuteurs de choix non seulement pour les jeunes, mais pour leurs familles et leurs enseignants.

Et je pourrais ainsi continuer longtemps, mais je risquerai de tomber dans un inventaire à la Prévert.
Alors, plutôt que de poursuivre cette énumération, dont l’ampleur montre à quel point nous avons besoin de vous, je souhaite m’attarder un instant sur deux enjeux particuliers qui résument l’étendue et l’importance de vos missions : le lien, et le sens.

 

Si j’aborde le lien, c’est qu’à la lecture de l’intitulé de votre congrès, il est un autre terme que je trouve particulièrement révélateur. Ce n’est pas celui que l’on perçoit en premier, mais il est pourtant très significatif : c’est la préposition "entre".

Vos deux spécialités, en dépit de leurs singularités, se caractérisent par l’importance qu’elles donnent à l’établissement de liens : ces liens, ce sont à la fois ceux qui se nouent au fil du devenir d’un individu, mais ce sont aussi des liens qui s’établissent entre des personnes, des institutions et des lieux.

Vous êtes donc, très souvent, dans l’entre-deux. Cet entre-deux vous évitez qu’il ne devienne un "no man’s land", pour en faire un passage.

À une époque où, très souvent, les élèves ont le sentiment d’être étiquetés, enfermés dans des cases, voués à un parcours unique, voire condamnés à l’échec, l’existence d’un passage, d’une autre voie, est essentielle. Vous êtes au cœur des échanges qui fondent la trajectoire de chacun.

Vous établissez, par exemple, un lien entre l’école et les familles, évitant ainsi que ne se creuse un fossé entre ces deux cadres de vie qui sont pourtant ceux dans lesquels les enfants et les jeunes passent une part conséquente de leur temps.

En les accueillant, en les informant, en les conseillant, vous permettez à bien des parents de comprendre ce qui se joue durant une scolarité qui demeure, pour certains, opaque. Vous favorisez alors l’élaboration de véritables alliances éducatives, et une meilleur connaissance et reconnaissance de l’univers familial par l’école et inversement.

Ce lien, vous l’établissez dans les moments où il risquerait de se fragiliser, dans ces transitions essentielles qu’effectuent les élèves, de l’école primaire au collège, et du collège au lycée et ensuite vers le supérieur ou le monde professionnel.

Vous les accompagnez, vous les soutenez et évitez ainsi que des jeunes ne se sentent perdus par les changements importants que constituent ces étapes.

Vous élaborez aussi des suivis psychologiques et psychopédagogiques, qui permettent à nombre d’enfants et de jeunes de s’en sortir et de renouer, avec l’École une relation apaisée.

Je songe aussi au rôle que vous jouez dans les projets de scolarisation des élèves en situation de handicap, à qui vous permettez de franchir le seuil des salles de classe dont ils ont pendant longtemps été tenus écartés.

Entre tous ces domaines, entre tous ces champs et toutes nos contradictions internes, votre place est bien celle d’un passeur, d’un créateur de liens.

Établir des liens multiples, c’est, au fond, mettre un terme à l’ambiguïté engendrée par le singulier de certains termes : ni la réussite scolaire, ni l’échec, j’ai encore eu l’occasion de le souligner ces derniers jours, ne sont réductibles à un processus unique. Ils sont au contraire complexes.

Pour permettre à chacun de prendre conscience qu’il n’y a pas une réussite, mais des réussites, singulières, comme il n’y a pas un choix unique mais bien des opportunités diverses, vous êtes essentiels.

 

Mais votre rôle va bien au-delà, car ce n’est pas le moindre des enjeux de la psychologie, que de donner du sens.

Lorsque vous vous entretenez longuement avec un élève, avec ses parents, ses enseignants, lorsque vous proposez des moyens de résoudre les situations les plus délicates, lorsque vous prenez en charge des jeunes après un événement traumatisant dans l’enceinte de l’école, c’est au parcours singulier de chacun de nos élèves et à l’école dans son ensemble que vous donnez du sens.

Et très souvent, vous savez aussi conférer aux savoirs et aux compétences acquises à l’école un sens qui va bien au-delà de la perspective scolaire, pour montrer à un jeune que ce qui se joue, c’est bien son avenir, et surtout son devenir.

Nous avons, avec une acuité particulière besoin de sens. C’est un point qui transparaît dans de nombreuses études, dans de nombreux témoignages. Et ce sens, nous ne pourrons l’établir que si nous savons aussi donner un sens aux missions de l’École de la République, et ce sens est celui de l’inclusion, et de la volonté de ne pas réserver la réussite à quelques-uns, mais de favoriser les réussites de tous.

À un moment où la mobilisation pour les valeurs de la République est un enjeu important, à un moment où nous avons besoin d’établir du commun, nous avons besoin d’une École qui soit celle de l’inclusion, et qui relève ce défi.

Et pour ce faire, parce que nous devons aussi prendre en compte la singularité des différentes situations et la spécificité du devenir de chacun de nos élèves, nous avons besoin de réseaux.

Non pas ce réseau que l’on cherche frénétiquement dès que l’on s’aventure dans des endroits moins fréquentés, et qui offre au passant l’étrange image des gens juchés sur un banc le bras tendu dans l’espoir de voir apparaître une minuscule barre sur l’écran d’un portable, mais ce réseau qui unit tous nos établissements, toutes les écoles, à travers l’ensemble de notre territoire, et par lequel s’affirme l’unité de cette institution Républicaine qu’est l’École, sans pour autant nier la diversité des situations rencontrées.

C’est cette conviction qui nous a amené, alors que des milliers de postes avaient été supprimés dans Réseaux d’Aides Spécialisés aux Elèves en Difficulté entre 2007 et 2012, à mettre un terme à ces suppressions.

Nous avons recommencé à créer des postes dans les RASED, nous avons recommencé à envoyer en formation des enseignants afin de reconstituer un vivier d’enseignants spécialisés, et nous avons, lors des chantiers métiers en 2013 et 2014, conforté les missions des RASED.

Vous êtes des conseillers et des relais précieux pour les équipes pédagogiques, notamment face aux difficultés scolaires que rencontrent certains enfants. Car vous posez sur eux un regard empreint de connaissances qui vous permettent non seulement de détecter des signes avant-coureurs de possibles problèmes, mais vous savez, face à leurs comportements, les interpréter.

Pour constater qu’un enfant tape, insulte ou refuse d’obéir, une bonne vue suffit. Pour comprendre les raisons, les motivations, multiples et complexes qui innervent ces comportements, il faut votre regard.

Un regard qui va au-delà des apparences, un regard qui comprend que dans l’épaisseur du vécu de chacun, des tensions importantes se manifestent, et celle à laquelle vous consacrez votre congrès n’est pas la moindre, entre rêve et réalité.

 

Oui, entre rêve et réalité, l’équilibre est délicat, pour ne pas dire périlleux.
 
Pour le maintenir, l’École a profondément besoin de vous, et je suis heureuse d’avoir pu vous en donner une preuve concrète -réelle- avec la création de ce nouveau statut.

Oui, il était temps, grand temps de mettre fin à l’ambiguïté de votre statut passé !

Oui, je l’affirme avec force, votre appartenance à la communauté éducative est totale, évidente, et nécessaire !

Alors que la plupart des systèmes éducatifs étrangers performants on fait depuis longtemps le choix de s’appuyer sur les compétences des psychologues de l’éducation,

Alors que la psychologie est reconnue comme la discipline ayant le mieux intégré les avancées des sciences cognitives et des neurosciences,

Alors que vos connaissances vous offre une compréhension très fine des mécanismes d’apprentissage et du développement personnel vocationnel,

La France ne pouvait pas continuer à méconnaître votre rôle et véhiculer une image obsolète de votre fonction !

Je vous remercie.

 

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