Dictionnaire : La guérison, le délire, la judéité, la dépendance, la …

 

Élie Wiesel (1) : peut-on guérir de la tentation narcissique ?

 

« Le sage guérisseur des âmes (dans le monde hassidique) est censé opter pour l’humilité extrême et éteindre en lui jusqu’à la racine de l’orgueil ; se reconnaître impuissant et indigne ; soumettre à la volonté divine les battements de son cœur, chacun de ses élans, de ses désirs ; plier son être, le réduire en cendres…Il suffit qu’il soit conscient de son pouvoir pour qu’il le perde- et qu’il se perde lui-même. Il devrait donc vivre une double vie, assumer un double rôle : pour être ce qu’il est, il faut ne pas l’être… Il est conscient de ses limites. Un saint qui se sait saint ne l’est pas ; ou plus précisément ne l’est plus. Une conscience qui est sûre d’elle-même a tort de l’être ; pour être entière, il faut qu’elle éclate. »

 

Paul Laurent Assoun (2) : l’œuvre iconoclaste de Freud prend-elle son courage dans l’énergie combative de la tradition ?

 

« Le cœur de l’être juif serait donc bien l’abandon de la pensée magique. C’est aussi bien le refus du fétichisme… Là où les nations, prolongeant la pente de « primitifs », disposent de fétiches qu’ils peuvent battre quand ils ne comblent pas leurs souhaits, le juif se distingue, quand un malheur lui arrive, de se demander quelle faute il a commise envers le « grand-père » dont il se tient pour le « fils préféré », ce qu’il a fait de mal, et de produire des prophètes afin de donner forme et verbe aux reproches envers leur peccabilité.« L’entendement freudien » se réfère à la position juive de pensée à travers le refus des préjugés et des limites dans l’usage de l’intellect ainsi que l’aspect critique : pas d’engagement au service de la vérité de l’inconscient sans être allergique aux préjugés et être prêt à passer dans l’opposition, renonçant à l’entente avec la « majorité compacte». »

 

Georges Gachnochi (3) : quels fantasmes inconscients morbides et mortifères sont-ils a l’œuvre dans les anciens et nouveaux délires antisémites de meurtre rituel ?

 

« L’accusation de meurtre rituel attribue une part active dans l’imaginaire aux juifs contemporains…La dénomination de « sacrifice d’Isaac » attribuée à ce qui est un non-sacrifice, suscite l’idée que les juifs « sacrifient les enfants » et que le Seder, repas pascal juif, au cours duquel le pain azyme est consommé, serait une cérémonie cannibalique succédant à un infanticide…Les accusations, mêlant politique et religion, parfois métaphorisées, comme au temps de l’affaire Dreyfus, sont largement recyclées dans le monde arabo-musulman contemporain comme auparavant par le nazisme, instrumentalisées et exportées dans une propagande de délégitimation de l’État d’Israël, accusé par exemple d’inoculer le sida aux enfants palestiniens avec du sang porteur du virus… »

 

Raphaël Draï (4) : quelle mission pour le prophète hébraïque - prédire les événements du futur ou proposer un engagement moral pour l’avenir ?

 

« Toutes les civilisations ont engendré leurs corporations de mages, de magiciens, de sorciers, d’oniromanciens, de jeteurs de sorts, de thanatologues. Il ne s’agit pas de les juger à l’aune du prophétisme biblique, mais de les replacer dans les formes originelles de telles civilisations, qui relèvent de l’étude sociologique, ethnographique et anthropologique, avec leur propre perception de l’espace, du temps, et avec leur propre conception de la nature humaine face à la nature des dieux ou de ce qui constitue leur outre-monde, céleste et infernal… La fonction essentielle du nabi (prophète hébraïque de la Bible) relève d’abord d’une mission : délivrer au peuple qui l’a oublié l’avertissement divin selon lequel il doit mettre un terme à ses transgressions de l’Alliance passée au Sinaï. En l’occurrence, il faut distinguer l’accessoire du principal. À coup sûr, toutes les interventions prophétiques, au sens hébraïque, rapportées par la Bible comportent une représentation du futur, un futur immanquablement catastrophique au cas où l’avertissement prophétique serait méconnu ou rejeté. Mais cette représentation n’est que le résultat du manquement à l’obligation principale : donner suite à l’engagement souscrit au Sinaï, celui de mettre en œuvre les dix prescriptions génériques du Décalogue, selon toutes leurs modalités pratiques. »

 

Albert Memmi (5) : le désir messianique, politique ou religieux - expression d’un pur idéal sublime ou d’un intense besoin affectif de dépendance ?

 

« Au fond, le dépendant attend le Messie : il espère, de son pourvoyeur, l’avènement de l’ère messianique où toute angoisse aura disparu, tout manque sera comblé. Les attitudes messianiques ne sont pas le propre des seuls fidèles d’une religion. Il y a attitude messianique chaque fois que l’on attend une transformation radicale de l’existence à la suite d’un événement absolu… un être nouveau dans un monde nouveau…La promesse d’une vie différente permet de supporter celle-ci, sans cette fenêtre ouverte sur l’avenir, c’est l’emmurement. De sorte que, paradoxe apparent, le dépendant, politique ou religieux, qui engage sa vie, en réalité la défend. »

 

Notes :

1. Prix Nobel de la paix et professeur à l’université de Boston.

2. Psychanalyste,professeur à l’université Paris-Diderot et à l’Institut Élie Wiesel

3. Psychiatre,psychanalyste

4. Juriste, historien, chercheur en psychanalyse politique et sociale, professeur à l’université d’Aix-Marseille

5. Sociologue,écrivain, professeur à l’université de Paris-Nanterre

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