Des listes pour mieux vivre sa vie

Que l’on recense les tâches à accomplir avant lundi, nos plus belles vacances ou les petits plaisirs du quotidien, dresser des inventaires peut nous aider à y voir plus clair et à mieux nous connaître.

Les listes de commissions – qu’elles soient rédigées à la va-vite sur le coin d’une table ou scrupuleusement composées en fonction des menus de la semaine – tout le monde connaît. Presque aussi populaire, l’habitude de coucher sur le papier les tâches, professionnelles ou non, qui nous attendent dans la journée, le mois, et parfois l’année... Dans cette même frénésie de tout consigner, certains dressent un inventaire précis et informatisé des effets à emporter en vacances, tandis que d’autres se plaisent à répertorier les films qu’ils ont vus, les pays qu’ils aimeraient visiter, voire leurs rêves les plus fous ou leurs projets les plus secrets...

Des catalogues de ce genre, l’Américaine Sasha Cagen en a vu défiler par milliers. Elle-même fervente adepte de ce mode d’écriture, elle a créé un blog intitulé To-Do-List (à faire, en anglais), enjoignant les internautes à lui envoyer leurs listes personnelles. Submergée de réponses pouvant aller du petit bout de papier griffonné au
tableau Excel élaboré, elle les a finalement compilées dans un livre, devenu un best-seller aux Etats-Unis.

Mais au-delà du plaisir, un rien voyeur, de plonger ainsi dans l’intimité de son voisin, les listes rencontrent bel et bien un certain succès dans l’univers du développement personnel. Devenue une référence en la matière, l’essayiste française Dominique Loreau, qui vit depuis une trentaine d’années au Japon et s’est longuement inspirée de la tradition zen et de son art de la simplicité, leur a d’ailleurs consacré un ouvrage*. Vantant leurs mérites, leur faculté à nous aider «à garder le contrôle de notre vie, à gagner du temps, à éviter les oublis, la confusion», avant de poursuivre: «En apprenant à systématiser les listes, à les aimer, et à en tirer intelligemment parti, nous pourrions vivre plus simplement, plus légèrement, plus intensément.»

Le plaisir de la liste à rallonge

Pour elle, les listes se divisent en plusieurs catégories. Les plus courantes étant bien sûr celles que nous rédigeons pour mieux organiser notre quotidien. Listes de personnes à contacter, de démarches administratives à entreprendre, de cadeaux à acheter à l’approche de Noël. Listes dont nous prenons un malin plaisir à biffer les entrées au fur et à mesure que nous nous acquittons de nos besognes.

Elles nous évitent d’avoir le nez dans le guidon,

confirme le psychologue fribourgeois Yves-Alexandre Thalmann. Elles nous permettent non seulement de hiérarchiser et de planifier ce que nous avons à faire, mais aussi, en traçant les tâches au fur et à mesure, de nous rendre compte du travail déjà accompli.» Certaines personnes n’hésitant d’ailleurs pas à rajouter à une liste une corvée qu’elles viennent d’exécuter... pour l’unique, mais jouissif, plaisir de la barrer aussitôt! La moitié de ses internautes avoue le faire
régulièrement, confie Sasha Cagen sur son blog.

Découvrir ses multiples facettes

Mais les listes peuvent aussi nous apprendre à mieux nous connaître, explique encore Dominique Loreau. En recensant nos qualités, nos défauts, nos ambitions, nos goûts, nos rêves, nos projets, mais aussi les événements qui ont marqué notre vie, les voyages que nous avons faits, nous composons en quelque sorte notre fidèle et complet autoportrait. Partant du principe que nous possédons tous plusieurs facettes, parfois contradictoires, l’essayiste française est persuadée que dresser un inventaire aussi étendu que possible permet de «se forger une identité autour de laquelle graviter pour pouvoir mieux savoir ce que l’on veut dans la vie».

Attention toutefois, met en garde Yves-AlexandreThalmann, à ne pas entrer dans le piège de l’étiquette.

En inscrivant par exemple la timidité dans la liste de nos caractéristiques que l’on voudrait voir disparaître, on risque de biaiser le regard que l’on a de nous-mêmes.

Insensiblement, nous allons modifier notre comportement dans le sens de l’image que l’on se fait.»

Reste que les vertus thérapeutiques de l’écriture sont bien connues. «Ecrire connecte à soi-même, relève Dominique Loreau. Ecrire invite à mieux se respecter, à détecter ses propres défauts, ses défaillances, ses manques, ses lacunes. Bref, écrire aide à corriger sa myopie.» Elle vante également le côté libérateur de coucher ses pensées, ses colères, ses angoisses sur le papier.
Mais alors, pourquoi un simple journal intime ne remplirait-il pas cette fonction? «La liste est la forme d’expression la plus concise qui existe, répond l’essayiste. Sa brièveté même nous mène à l’évidence. Et cela, avec bien plus de force que des phrases encombrées de toute une syntaxe.» Et, forte de son influence japonaise, de préciser que cela peut devenir un art, comme celui du haïku...

Texte © Migros Magazine – Tania Araman

 

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