Délit de faciès : l’exclusion sociale, une cause majeure d’agression

La compagnie de sécurisation en patrouille, à l'occasion des fêtes de fin d'année, le 18 décembre 2009 à Paris (CHAMUSSY/SIPA).

La compagnie de sécurisation en patrouille, à l'occasion des fêtes de fin d'année, le 18 décembre 2009 à Paris (CHAMUSSY/SIPA).

 

Le projet de récépissé pour les contrôles d’identité auquel s’opposerait Manuel Valls est une mesure qui, en dépit d’aspects techniques à clarifier, est valable et susceptible de lutter de manière concrète contre le sentiment d’injustice et d’exclusion sociale que produisent les contrôles au faciès à répétition. Une telle mesure, qui n’a pas pour première finalité de diminuer la délinquance mais de limiter la focalisation des vérifications d’identité sur des catégories de la population surexposées aux contrôles, pourrait s’avérer indirectement utile dans la lutte contre la délinquance.

 

Des recherches convergentes en criminologie et en psychologie sociale démontrent aujourd’hui en effet que parmi les facteurs qui favorisent les conduites d’agression et de délinquance, le sentiment d’exclusion occupe une place très importante. Or, il est possible de produire chez n’importe qui des conduites agressives ou destructives après avoir produit un sentiment de rejet, et pas uniquement auprès des personnes présentant des fragilités psychologiques ou sociales, qui sont encore plus sensibles au moindre indice d’exclusion. Ceci tient au fait que l’exclusion sociale heurte une tendance générale à l’affiliation et un besoin d’appartenance qui sont fondamentaux chez les humains, mammifères grégaires par excellence.

 

L’exclusion fait mal

 

Dans une étude [1], Kipling Williams, de l’université Macquarie en Australie, a montré que des internautes exclus par d’autres d’un forum de discussion ou d’un jeu en ligne éprouvaient des émotions négatives, une diminution de leur estime de soi et trouvaient davantage que l’existence n’avait pas de sens. En outre, l’exclusion modifiait l’activité de leur cortex cingulaire antérieur, région du cerveau qui est couramment impliquée dans l’expérience de la douleur physique.

 

Privées de chaleur humaine, les personnes exclues ont littéralement plus froid : deux chercheurs de l’université de Toronto [2] ont montré que des individus qui venaient de subir une exclusion sociale donnaient une estimation plus basse de la température de la pièce où ils se trouvaient et avaient davantage envie de boire et manger des aliments chauds.

 

Mais cela ne s’arrête pas là. Après un rejet social, plusieurs études scientifiques montrent que des individus qui passent un test de QI présentent une chute de leur performance. Les personnes rejetées sont plus enclines à abuser d’alcool ou de nourriture, se montrent moins généreuses quand l’occasion se présente, coopèrent moins avec d’autres personnes, et sont plus enclines à vouloir tricher.

 

L’exclusion rend agressif

 

Les personnes victimes d’ostracisme éprouvent également des sentiments agressifs envers ceux qui les ont rejetés, imaginent des situations de vengeance et commettent davantage d’agressions ou de destructions.

 

À travers une étude [3] sur les fusillades ayant eu lieu dans les écoles entre 1995 et 2001, Mark Leary, de l’université de Duke, a montré que la quasi-totalité de leurs auteurs faisaient l’expérience de rejet répété par les autres élèves de leur école. Le sentiment d’exclusion interpersonnelle et sociale chronique représente l’un des facteurs de risques les plus couramment associés à la violence extrême, et ce davantage que l’appartenance à un gang, la précarité économique ou l’usage de drogue.

 

Limiter les contacts inutilement humiliants

 

Dans une étude [4], Tom Tyler, de l’université de Chicago, a interrogé à plusieurs reprises des personnes de la population générale sur les contacts qu’elles avaient eus avec la police dans la rue. Il est ressorti que les citoyens qui disaient avoir été injustement traités étaient moins portés à respecter la loi ensuite. Diminuer les contacts humiliants avec les autorités semble donc une bonne mesure pour éviter les violences, favoriser la confiance civique et le respect des forces de l’ordre.

 

 

[1] Eisenberger N. I., Lieberman M. D., Williams K. D. “Does rejection hurt ?” An fMRI study of social exclusion”, Science, 2003, 302, p.290-292

[2] Zhong C.B., Leonardelli G.J., “Cold and lonely. Does social exclusion literally feel cold ?”, Psychological Science, 2008, 19, p. 838-842.

[3] Leary, M. R., Kowalski, R. M., Smith, L., Phillips, S. (2003). Teasing, rejection, and violence: Case studies of the school shootings. Aggressive Behavior, 29, 202–214.

[4] Tyler, T. (2006). Why people obey the law. Princeton : Princeton University Press. 

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