De l’habitude

Elle est très importante l’habitude.

Ce n’est pas physiquement que le cycle régulier du Soleil nous rend réguliers, cycliques et portés à la répétition. Mais c’est psychologiquement. Il y a bien certains astrologues qui iraient à prétendre que la Lune a un effet physique sur nous, mais je n’y crois pas. Un effet existe mais il n’est que psychologique. Il suffirait de nous placer dans un système astral bourré d’irrégularités pour que notre psychologie perde bien des habitudes terrestres.

Mais il n’y a pas que la Lune ou le Soleil qui nous incitent à tout conjuguer en "Tous les matins"
Il y a aussi le fait que chacun de nous se règle sur les autres qui ont eux aussi des habitudes et régularités "Je sais que tu te lèves tous les matins de Soleil et que tu m’attends à l’étable, que les vaches aussi m’attendent, donc je me lève aussi"

Nos habitudes se calent mutuellement et cette homogénéité des comportements définit, selon l’enveloppe de nos déplacements, les tribus, ethnies et cultures.

A croire alors que nous préférons les habitudes aux surprises. Nous savons comment réagir face à telle habitude, par habitude. L’habitude nous étant plus sécurisante, nous la préférerions, d’où nos énormes exigences d’homogénéité des horaires, des hauteurs de balustrade, de taille de voiture, d’orthographe, de taille de sein ou pénis et même de voix.
Et nous serions bien entendus troublés d’autant devant ce qui sortirait de nos habitudes, par exemple devant des personnes réagissant bizarrement, à contre sens habituel ou ne réagissant pas du tout. là où les normaux réagissent.

Car tout ce système d’habitudes conduit à constater ou différentier entre ce qui est normpal et ce qui est anormal (avec toute la gamme des possibles entre ces deux pôles du curseur).

 

Pour autant, dans toute la mesure du stress qu’il est en mesure de supporter face à la nouveauté, chacun s’offre aussi à la non-habitude, à la surprise.
Disons-le tout de suite, même face à une surprise, il existe une manière standardisée de réagir. Ici, il est convenu de faire Oh ! en ouvrant la bouche et en mettant ensuite la main devant. Ailleurs, il est convenu de dire My God !. Ailleurs il est convenu de rester pétrifié comme un cerf pris dans un faisceau de phares).

Il existe donc une part de préférence pour la surprise standardisée (du genre des amis rassemblés en secret pour un anniversaire), pour la surprise pas trop déstabilisante, comme dans les films d’horreur, comme dans les manèges. 
Mais il existe aussi une part d’attirance pour le danger total, pour la surprise absolue.

Elle est certes mince cette part, mais ce serait une erreur d’analyse que de la dénier.

Par exemple : Chacun de nous sait que les fous sont surprenants, très surprenants et chacun de nous les évite à moins de prétendre faire profession de dominer la chose au point de d’en être jamais déstabilisé.
Or il existe parmi nous des individus en rien professionnels de la folie, en rien protégés par quelque blindage que ce soit, qui sont à ce point curieux qu’ils osent approcher les plus fous, les plus surprenants. Entendons par là qu’ils osent aussi bien approcher des schizophrènes paranoïaques que des Jivaros réducteurs de tête. Dépaysement garanti.

Faut être vraiment gonflé pour faire ce qu’ont osé faire les explorateurs du Monde qui étaient partis quasiment seuls, sans microcosme autour d’eux, vers des contrées totalement inhabituelles.
CL Strauss n’avait certes choisi de n’approcher que des sauvages réputés non dangereux mais d’autres ont osé se placer seuls en plein milieu de sauvages capables de les cuisiner avec des carottes.

Il n’est pas possible de fonder une théorie sur l’habitude en déniant qu’il existe aussi une tendance exploratrice, prométhéenne, adrénalinique qui nous pousse à traverser la Manche sur un avion, pour la première fois.
Il aura fallu un énorme empilement de refus de l’habitude pour parvenir à poser le pied sur la Lune et en revenir.

L’habitude par calage sur les astres, sur les saisons, sur les voisins, sur les copains, existe mais chacun en diverge plus ou moins.
"Et bien moi, je prends pour habitude d’arriver toujours à l’heure pile"
"Et bien moi, je prends pour habitude d’arriver toujours en retard de 5 minutes au travail"
"Et bien moi, je prends pour habitude de n’avoir aucun horaire habituel et je ne me rends que un lieu de travail que quand ça me chante"

L’habitude est très importante mais elle sert de repère à partir duquel chacun se lance avec plus ou moins d’audace plus ou moins au-delà. Les fougères et les fourmis aussi tentent des aventures.

Arrive ensuite la question des habitudes qui échappent à notre contrôle, les réflexes et pseudo-réflexes. Là encore on voit que si 50% de nos entreprises sont réflexes, nous sommes nombreux à tenter de corriger quelque manie ou tic toc. Tel le vertige, l’agressivité ou l’agoraphobie
A partir d’un certain niveau de conscience et de foi dans la possiblité de modifier certains de nos réflexes, nous entreprenons parfois cette modification. Et cette entreprise difficile ne va par forcément toujours dans le sens d’une normalisation. C’est souvent que nous désirons acquérir des réflexes inhabituels à la moyenne des gens.

S’il n’y avait que l’habitude, rien que l’habitude, il n’y aurait qu’une seule espèce vivante sur Terre et elle n’aurait jamais changé.

""""Pour définir au plus simple la psychologie synthétique, on pourrait dire qu’elle est basée sur l’idée que tout individu est une population ou un écosystème — c’est-à-dire, un ensemble organisé — d’habitudes.""""

Oui, un individu est une population ou un écosystème mais il n’est pas fait que d’habitudes car un bébé ne reste pas un bébé.

""""" Ce qui suit devrait nous permettre de constamment vérifier qu’en disant cela — en posant que l’habitude constitue l’unité élémentaire de la psychologie, l’objet fondamental pourrait-on dire de cette science encore jeune — nous avons dit l’essentiel, au sens où ce que nous aurons à ajouter par la suite ne devrait être qu’une conséquence — théorème, corollaire ou commentaire — de ce postulat fondamental """"

J’ai eu à observer une amibe sous microscope. A la voir se déplacer en exploratrice, à éviter de tourner en rond, à rester au même endroit, je n’ai pas eu l’impression que son animation relevait de la seule habitude sinon de celle de toujours faire autrement.
Etant donné la diversité du vivant et des destins, étant donné le poids des acquisitions et transfomations au fil de la vie, étant donné qu’il surgit un nouveau loisir et une nouvelle façon de se coiffer tous les jours, il me semble maladroit de considérer l’habitude, la répétition, le statique, le cyclique, le pareil, comme étant apodictique d’une théorie très générale de la psychologie.

Je comprends très bien que les théoriciens systémiques préfèrent articuler leur thèse sur des régularités, sur des répétitions donnant une allure scientifique. Mais si la Nature se réduisait à des régularités, à des répétitions ou des cycles, elles ne serait pas aussi follement diversifiée et aventureuse.
 

"""" l’habitude est l’argile dont nous sommes faits.""""

On voudrait imager l’habitude, on serait plus avisé de la comparer à une brique qu’à une argile.

"""""" Le postulat est donc que tout ce qui est d’ordre psychologique pourra être ramené à l’habitude, à son organisation et à son fonctionnement. """

Comme il est possible de ramener tout déplacement à l’immobilité, il est bien entendu possible de ramener toute notre psychologie à l’habitude.
Mais comme on peut aussi ramener l’immobilité au déplacement, il est tout aussi possible de ramener toute notre psychologie à l’exploration du nouveau.
On peut définir le noir à partir de la lumière et la lumière à partir du noir. Mais rien n’impose un choix plus qu’un autre.

Nuit et Jour sont différents, toujours associés et se définissent mutuellement 
Habitude et changement sont différents, toujours associés et se définissent mutuellement. On s’égare en théorisant plus sur l’un que sur l’autre

"""" L’habitude, c’est avant tout cela : la propension à reproduire, qui se renforce avec... la reproduction et qui fait qu’à un moment donné nous ne pouvons nous empêcher de retomber dans nos habitudes — la suite infinie de nos difficultés, mais aussi de nos jouissances, venant de cette compulsion ! """"

Prenons la masturbation. Elle procure du plaisir et on est donc tenté de la reproduire. Habitude alors. Cependant, pour la plupart d’entre nous, cela ne suffit pas. Une stricte reproduction à l’identique de nous suffit pas. Il nous faut ressentir à chaque fois un vent de nouveauté.
"Tiens si j’essayais là, entre deux oliviers" ’’Oh et si j’essayais sous l’eau"
Sans cela, pas de kamasutra.
Pour les bestioles, on dirait bien qu’elles ne cherchent pas la nouveauté, sinon en termes de partenaire. Mais pour les humains c’est le contraire et cela malgré la contrainte matérielle qui fait que pour ressentir l’orgasme il faille se concentrer sur une gamme réduite d’objets.

Là, pendant que certains théorisent sur l’habitude, d’autres sont en train de nous bricoler des sex toys qui vont tout changer de nos habitudes. Le pied rien qu’avec des électrodes dans les narines.

D’autre part, je crois devoir vous faire remarquer que la sensation physique (douce ou rude) provient toujours d’un changement. Poser un doigt immobile sur un tissu ne permet pas d’en ressentir la texture. Nous ressentons à partir de changements, de contrastes, de frictions.
Le coït peut donc sembler régulier, cyclique, habituel, et il l’est en grande partie mais c’est pour produire une friction, un changement, une variation "Immobile dedans, on ne ressent rien"

A peine une fraise est-elle mâchée et avalée que s’ensuit un vide de sensation et qu’on s’empresse d’en remettre une autre dans la bouche. C’est l’alternance entre sentir ne plus sentir, qui provoque la sensation finale et qui pose le principe de frustration-satisfaction.
On ne jouit des vacances que quand on s’y rappelle que le reste de l’année on doit se lever de bonne heure pour aller bosser. Et on en jouit d’autant plus qu’on sait qu’elles ne durent pas.

"""" c’est-à-dire, d’un contrôle sécurisant qui, nous le verrons, est la véritable source de nos de satisfactions, aussi variées soient-elles.""""

Trop simple.
Il y a effectivement une satisfaction ou arrogance à savoir d’avance qu’on sera capable de produire un certain résultat, de contrôler les choses.
Mais la lassitude vient très vite dans ce savoir-trop et à peine parvenons nous à jongler avec trois oranges que nous avons envie d’essayer avec 4 oranges.

Un artiste de cirque ne ressent de la jouissance devant son public qu’en se retrouvant placé à l’extrême limite de ce qu’il contrôle. Il faut qu’il ressente la possiblité de rater son 4 ème salto pour ressentir, s’il le réussit, de la jouissance. On ne tire aucune jouissance de ce qu’on contrôle parfaitement et Zidane ne ressentait du plaisir qu’à se risquer chaque jour dans de nouvelles conditions (de loin elles nous semblent identiques mais pour lui, il n’y a pas deux matchs pareils). Quand on demande à un virtuose du piano de nous jouer la Lettre à Elise, on le dégoute. Un champion de course automobile ne jouit de son niveau de maîtrise que si chaque virage manque de lui être fatal. Il se sait talonné par d’autres champions et que tous jouent sur la seule limite de la perte de contrôle.

Par ailleurs je trouve que l’ouroboros n’illustre pas un phénomène général. Il n’illustre ni le phénomène de l’habitude seule ni celui de l’habitude enrichie de l’exploration.

Je trouve qu’il n’illustre que les phénomènes de cercles vicieux

Exemple : Un homme, va savoir pourquoi, tient à être fidèle à sa belle, à lui démontrer sa fidélité et à lui offrir alors la tranquillité, la sérénité et la quiétude. En étant ainsi fidèle, cet homme deviendra un emblème du genre et sera particulièrement ciblé par des femmes curieuses de le tester, de prouver qu’elles sont capables de le faire craque. Ce fidéliste va donc subir des tentations au-dessus de la moyenne, il finira par craquer et sa trahison sera alors un drame absolu pour lui. Il est victime de son engagement trop visible et vit alors un tourment en ouroboros.

Jeune, je m’entraînais à différents arts martiaux. Entre autres performances, il s’agissait de s’endurcir aux coups, en particulier sur le ventre. Confiant en mes capacités maintes fois éprouvées, je me trimbalais le ventre à l’air (je veux dire que quelque chose dans ma manière de marcher, de bouger ou de me tenir devait montrer aux autres que je ne craignais aucun coup). Résultat : des armoires à glace m’ont lancé des défis "Tu plieras sous mes coups". Et bien j’en ai bavé et j’aurais souvent pu en mourir de ces conneries. On se croit invulnérable aux coups alors on y est plus exposé et on en meurt. Achille et son talon en savent quelque chose. Voilà encore un ouroboros.

Il existe aussi des ouroboros sociétaux. On vaccine tout le monde et on empoisonne tout le monde d’hydroxyde d’aluminium. On veut plus de contribuables et on se retrouve avec une démographie qui dévore tout le substrat naturel. On veut scolariser tout les enfants et on dépense une fortune pour se retrouver avec des Bac + 5 à ne plus savoir qu’en faire.

Mais il n’y a pas d’ouroboros systématique, inéluctable. Ils proviennent tous d’une volonté, d’un plan, d’une stratégie, d’un choix. Il est très souvent vécu par les théoriciens (dont les psychanalystes, dont les ReOpenistes, dont les marxistes) mais n’est pas vécu par tous. 

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